Le Seigneur a besoin de moi… mais pour quoi ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Le Seigneur a besoin de moi… mais pour quoi ?

Prédication du dimanche 14 avril (Rameaux), par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Luc 19, 28-40

 

Je vais vous expliquer comment j’ai préparé cette prédication…

 

1 – Que prêcher ?
a. les Rameaux, fête connue

D’abord, j’ai ouvert mon calendrier et constaté que nous serions aujourd’hui le dimanche des Rameaux. En ce jour, il nous est proposé, comme chaque année, de célébrer l’entrée de Jésus à Jérusalem. Nous fêtons l’arrivée à la fois festive et solennelle de Jésus à Jérusalem, entouré de disciples qui louent le Seigneur, de gens étendant leurs vêtements sur le chemin. Jésus est assis sur un ânon. Joyeuse fête, image d’Epinal, album à colorier, branches à agiter, printemps qui s’installe, début de la semaine sainte, bientôt la fête de Pâques et les vacances.

Le problème avec cette fête, c’est qu’elle revient chaque année… On finit par s’y habituer, ne plus en saisir l’importance. Et le problème du prédicateur, c’est de prêcher à nouveau, encore, sur une histoire bien connue. Détresse personnelle en début de semaine ! Mais je ne me suis pas découragé et j’ai ouvert ma Bible pour lire le passage de l’évangile de Luc qui est proposé pour cette fête. Ce texte nous rappelle que la fête est aussi, déjà, un temps dramatique. Jésus en entrant à Jérusalem va sceller son destin et aller vers la mort. Déjà le drame est en place, ce jour-là : les pharisiens veulent faire taire les disciples. Ce même jour, Jésus va pleurer sur la prochaine destruction de Jérusalem, puis il va chasser les marchands qui ont fait du Temple, la maison de prière, une caverne de bandits. Et les scribes et notables vont chercher à le faire disparaître. Bientôt l’arrestation, le procès, la crucifixion et la mort.

Jour de fête qui annonce des jours sombres, qui sont en même temps ceux de la révélation. La croix, c’est le chemin ultime que Dieu fait pour nous rejoindre, au plus profond, au creux des souffrances, de l’abandon, de l’angoisse et de la mort. Pas pour disparaître avec nous ! Au contraire, pour nous élever avec lui, nous faire sortir de nos tombeaux au matin de Pâques, nous remettre dans la vie, la vie en plénitude, en lui, par-delà la mort. La croix est inséparable de la résurrection qui lui donne son sens (l’espérance), comme Pâques est inséparable du vendredi saint qui l’enracine dans notre histoire (l’incarnation).

Le jour des Rameaux (bien que chez Luc on ne nous parle pas des branches !), c’est le début de cette semaine appelée « sainte » car la révélation de Dieu en Jésus-Christ s’y donne pleinement, au cœur de notre foi.

b. le Seigneur en a besoin

Que prêcher cette année à partir de ce texte ? J’ai prié et j’ai relu avec attention le récit de Luc, en me demandant ce que je pourrais en partager avec vous. Je l’ai lu et relu, je l’ai laissé reposer en moi. Et puis une phrase s’est installée dans ma tête, qui a fini par prendre toute la place. Une phrase qui revient deux fois dans le récit : « Le Seigneur en a besoin » (v. 31 et 34).

Le Seigneur en a besoin. Cette phrase résonnait en moi comme s’adressant à moi : de quoi le Seigneur a-t-il besoin ? Et une réponse s’inscrivait en moi : le Seigneur a besoin de moi. Cette phrase faisait écho à mon existence de chrétien, ma présence ici aujourd’hui, ma place dans ce monde. Cette phrase m’a parue centrale dans ce texte, parce que centrale dans ma vie. Et dans chacune de nos vies. Et dans notre vie ensemble, en Eglise. Comme si notre mission y était contenue. Le Seigneur a besoin de moi, de toi, de nous.

Le Seigneur en a besoin. Mais à quel propos cette phrase est-elle dite dans le récit de Luc ? Elle justifie le fait que deux disciples peuvent prendre un ânon qui ne leur appartient pas pour l’amener à Jésus. De quoi le Seigneur a besoin ? D’un ânon ? Léger embarras, je croyais que c’était de moi dont il était question, et je ne suis pas un âne, quand même…

 

2 – Un ânon, signe du messie
a. Pourquoi un ânon ?

C’est d’un ânon que Jésus avait besoin, ce jour-là, pour faire son entrée à Jérusalem. Pourquoi un ânon ? Ceux d’entre nous qui connaissent la Bible savent que c’est pour entrer à Jérusalem comme le messie, roi pacifique annoncé par le prophète Zacharie (9,9-10) : « Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. A Éfraïm, il supprimera les chars de combat et les chevaux, à Jérusalem ; il brisera les arcs de guerre. Il établira la paix parmi les nations ; il sera le maître d’une mer à l’autre, de l’Euphrate jusqu’au bout du monde. »

Cet ânon est important car il permet de signifier que Jésus est le messie, c’est-à-dire le Christ, celui qui vient ouvrir le règne de Dieu, règne de paix pour la terre entière. Un messie juste, victorieux, humble. Pas à la mode des puissants qui s’arrachent le monde et détruisent des vies dans leur soif de pouvoir, mais à sa manière, douce et vraie, qui appelle à la vie et à la joie. Belle mission que celle de cet ânon, ce jour-là. Etre signe prophétique du messie qui vient !

Signifier que Jésus-Christ est celui qui vient donner la paix, la joie sur cette terre, pour tous les hommes et les femmes, ici et au loin, partout : cette mission est la nôtre, aujourd’hui ; c’est notre mission de chrétiens. Etre, comme l’ânon de la fête des Rameaux, témoins du Christ.

b. Mais pourquoi cet ânon-là ?

Je me suis alors demandé : pourquoi cet ânon-là ? Témoigner du Christ, c’est le rôle des chrétiens, c’est la mission de l’Eglise ; mais pourquoi moi ?

Alors j’ai fait ce que tout prédicateur doit faire à ce stade de sa méditation : retourner au détail du texte biblique. J’ai repris ce que l’on dit de cet ânon dans le texte de Luc, en me demandant : pourquoi lui ? Et là, grande joie ! Ce que j’y ai lu m’a semblé résonner existentiellement, spirituellement, pour moi, pour toi, pour nous.

 

3 – Au fil du texte, une résonnance existentielle

J’ai repris le texte, en regardant ce qui est dit de cet ânon, et comment cela fait écho avec ma vie. Et je voudrais maintenant partager la joie de ce que j’y ai lu.

a- avant

Avant que les disciples, aillent le chercher, l’ânon a quatre caractéristiques.

Aucun homme ne s’est jamais assis sur lui (v. 30). Sans doute parce qu’il est trop jeune, il n’a pas encore été dompté. Il est sans doute encore impétueux, capricieux. Il est trop fragile. Il ne sait pas porter quelqu’un sur son dos. Il est incompétent. Et voilà déjà un écho à ma vie, à mes fragilités, mes limites, ma non-préparation !

Il est attaché (v. 30). Il n’est pas libre de ses mouvements, retenu par une corde qui l’empêche de s’éloigner de son piquet ou de son muret. Peut-être pour le protéger, mais cela l’enferme. Le verbe utilisé est δέω (attacher, lier). Un verbe du quotidien, mais aussi un verbe qui résonne dans une dimension existentielle : ainsi, dans le même évangile de Luc, est-il question d’une femme « que Satan tenait liée depuis dix -huit ans » (Lc 13,16), liée par la souffrance et l’isolement. Echo à ce qui me retient attaché dans la vie, prisonnier d’une corde trop courte, limité dans mes mouvements et empêché d’être libre.

Il appartient à des maîtres (v. 33). Il est comme un objet entre leurs mains, ils peuvent l’attacher, le dresser, le vendre. Echo à mes dépendances, à ce qui me possède.

Fragile, attaché, ne s’appartenant pas : trois caractéristiques plutôt négatives, si je pense à ma vie ! Mais Jésus le connaît. Cela est plus lumineux : Jésus le connaît déjà, puisqu’il indique à ses disciples où aller le chercher et comment ils le trouveront (v. 30). Dans ma fragilité, mon incompétence, mes enfermements, Dieu me connaît déjà !

Déjà, ma journée était illuminée : cet âne, c’est bien moi, dans ma petite existence et mes limites, mais connu du Seigneur.

b- une libération

J’ai poursuivi ma lecture. Trois autres dimensions apparaissent alors à propos de cet âne, à propos de moi.

Les disciples le trouvent (v. 32). Ils ont été envoyés le chercher… et ils le trouvent. Le verbe grec « trouver » est connu, c’est εὑρίσκω, qui au présent, à la première personne du singulier, se dit « euréka » ! Verbe du quotidien, verbe très présent dans l’évangile de Luc : 44 fois ! Et dans des moments essentiels. Par exemple, dans la nuit de Noël, l’ange dit aux bergers : « vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche » (Lc 2,12). Quand un officier romain vient demander la guérison de son serviteur, Jésus dit : « je n’ai jamais trouvé une aussi grande foi » (Lc 7,9). Plus loin, Jésus dit à propos de la prière : « cherchez , et vous trouverez » (Lc 11,9). Dans le chapitre 15, à propos du fait qu’il accueille les personnes de mauvaise réputation, il racontera trois paraboles : le brebis perdue et retrouvée (Lc 15,4.5.6), la pièce d’argent perdue et retrouvée (Lc 15,8.9), le fils perdu et retrouvé (Lc 15,24.32), et à chaque fois la joie qui s’ensuit. Et puis, comme en apothéose à la fin de l’évangile, les femmes qui trouvent la pierre roulée et le tombeau vide (Lc 24,2.3.23) et les disciples d’Emmaüs qui font demi-tour après avoir rencontré le Christ vivant, reviennent à Jérusalem et y trouvent les autres disciples qui, eux aussi, sont dans la joie de la résurrection (Lc 24,33). Dans ma petite vie, je suis trouvé, découvert, appelé, rejoint, et c’est grande joie pour Dieu, et c’est signe de résurrection !

Ils le détachent (v. 30.31.33). Le verbe « détacher » se retrouve quatre fois dans le récit. En grec, λύω est encore un verbe du quotidien, et dans l’évangile de Luc on le retrouve au sujet de la femme liée dans sa souffrance, dont je parlais tout à l’heure : Jésus la « délivre de cette chaîne » (Lc 13,16). Les disciples qui sont allés chercher l’âne le détachent, lui enlèvent ses liens, le libèrent. La parole de Dieu vient me chercher et quand elle m’a trouvé, je suis détaché, délié, libéré.

Ils l’amènent à Jésus (v. 35). Là encore, un verbe courant, ἄγω, qui revêt dans certains passages de l’évangile un sens existentiel fort, comme quand Jésus, au début de son ministère, est « conduit par l’Esprit dans le désert », (Lc 4,1). Ou quand on lui « amène » des malades pour qu’il lui impose les mains et les guérisse (Lc 4,10). L’ânon est amené en présence de celui qui a besoin de lui. Il est libéré de ses maîtres pour être en mis en présence du Seigneur. Je suis, devant le Seigneur, libéré de ce qui m’enferme !

A ce stade, ce n’était plus ma journée mais toute ma semaine qui était éclairée : non seulement Jésus me connaît, moi qui suis fragile, lié, ne m’appartenant guère, mais encore des frères et des sœurs envoyés par le Christ me trouvent, me délivrent et m’amènent au pieds du Seigneur ! Pourquoi ? Parce qu’il en a besoin !

c- une mission

Et puis j’ai continué à lire, pour suivre cet ânon jusqu’au bout. Et là encore, bonne nouvelle… Il a été trouvé, détaché et amené à Jésus, et sa mission alors, se réalise. Trois indications essentielles la caractérisent.

Les disciples jettent leurs vêtements sur lui (v. 35). Ils l’habillent ! Dans la Bible, le vêtement (ἱμάτιον) n’est pas qu’un habit, c’est aussi une part de la personne qui le porte, un symbole de son identité. Dans l’évangile de Luc, on voit par exemple une femme qui souffre d’une maladie qui lui fait perdre son sang ; elle « s’approche par derrière, et touche le bord du vêtement de Jésus. Au même instant la perte de sang s’arrête » (Lc 8,44). Les disciples donnent à l’ânon leurs vêtements, c’est-à-dire une part d’eux-mêmes. Ils le revêtent de leur habit de disciple. Devant le Christ, avec ses disciples, je suis habillé du manteau de la foi ! Comme l’exprime Paul aux Galates : « vous qui avez été baptisés pour être unis au Christ, vous vous êtes revêtus de la condition nouvelle qui est dans le Christ » (Gal 3,27). Amené devant Jésus, je deviens son disciple.

Puis on fait monter Jésus sur lui (v. 35). Le verbe « faire monter », « placer sur » (ἐπιβιβάζω), est utilisé dans la parabole du bon samaritain, quand celui-ci a vu le blessé au bord de la route, s’approche, le soigne et « le met sur sa propre monture, le conduit à une hôtellerie, et prend soin de lui » (Lc 10,34). L’ânon, qui qui n’a encore jamais porté quelqu’un, lui qui ne sait pas faire, qui est sans doute encore trop petit, est chargé d’une mission royale : porter le Seigneur. Avec ce que je suis – et je suis bien peu de choses – je suis chargé du Christ, et cette mission est belle.

Enfin, et ce détail n’est pas le moindre, ce sont les disciples qui font monter Jésus sur l’ânon (v. 35). L’ânon n’est pas seul à porter Jésus, il y a les autres disciples qui sont là autour, qui restent autour, qui aident. Je ne suis pas tout seul à porter le Christ. Quand je suis appelé, d’autres autour de moi participent de cet appel. C’est la solidarité, l’entraide, la communion entre croyants, la communauté, l’Eglise. Je suis chargé de porter le Christ, mais cette charge est légère car elle est partagée.

Là, ce n’était plus ma semaine qui était éclairée, mais toute ma vie !

 

3 – En route !

Arrivé à ce stade de ma lecture du texte, je me suis dit : eh bien voilà, ma prédication est prête. C’est cela que je me sens appelé à partager avec vous aujourd’hui. L’histoire d’un ânon, qui est mon histoire, ton histoire, notre histoire. Ce cheminement dans le texte, ce cheminement du petit village en face du mont des Oliviers jusqu’à Jérusalem, ce cheminement d’une petite vie fragile, attachée, à une libération, une mission, c’est le chemin de la foi.

Une situation : ma vie fragile, mon peu de compétences, ma tranquillité peut-être, mais aussi mon enfermement sur moi-même.

Une vocation : être connu de Dieu, déjà, avant même que je le sache, être appelé, rejoint par d’autres disciples qui viennent me chercher, amené au pied de Jésus pour en être honoré et participer à sa mission : voilà ce à quoi je suis appelé.

Et une mission : l’ânon va ainsi entrer à Jérusalem, portant le Seigneur sur son dos, au cœur de la fête, au cœur de la révélation. Sa mission – ma mission – est d’être témoin du Seigneur crucifié et ressuscité, fils de l’homme et fils de Dieu, compagnon quotidien et ouvreur d’espaces.

Ma prédication était alors terminée. Mais ce n’était que le début. Tout ne fait que commencer. Car c’est une mise en route sur un chemin escarpé – la croix – et joyeux – la résurrection. Je ne suis pas compétent pour cela, je suis trop fragile, pas prêt, mais le Seigneur en a besoin. Pour quoi ? Pour en être témoin auprès d’autres qui, à leur tour, peuvent vivre la même joie. Et pourquoi moi ? Parce que le Seigneur en a besoin.

Pour partager son Evangile de paix, la bonne nouvelle de sa présence apaisante, le témoignage de son entrée dans nos vies, c’est de nous que le Seigneur a besoin. Il a besoin de moi, il a besoin de toi, il a besoin de nous… Quelle chance nous avons ! Amen.