Mangez des questions ! (apport journalier recommandé) — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Mangez des questions ! (apport journalier recommandé)

Prédication du dimanche 12 mai 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures : 

  • Exode 16, 1-18 ;
  • Jean 6, 28-35.

  

Vous avez peut-être l’impression, comme moi, que nous sommes parfois dans le désert, marchant dans l’aridité des relations, la dureté du monde, traversés de faim et de doute. Parfois, ce n’est pas une impression mais la réalité… Dans ces moments-là, nous sommes comme les hébreux dans le désert, vers 1250 avant notre ère. Esclaves en Egypte, ils ont été libérés par Moïse. Fin de l’esclavage, marche vers la liberté, derrière eux l’enfermement, devant eux la terre promise, mais entre les deux un long parcours, la fatigue, la faim et la soif, le découragement. Alors Dieu leur vient en aide et leur donne une nourriture mystérieuse qu’ils trouvent chaque matin, la manne.

Aujourd’hui je voudrais vous parler de cette « manne », parce que je crois qu’elle nous concerne. Ma prédication sera en trois parties. La première partie sera une question : la manne, c’est quoi ? La deuxième partie une affirmation : la manne, c’est quoi ? Et la troisième une invitation : la manne, c’est quoi ?

 

1 – Une question : la manne, c’est quoi ?

Commençons par la question : la manne, c’est quoi ? Vous l’avez entendu dans le texte que nous venons de lire : la manne, c’est une nourriture que les hébreux, dans le désert, trouvent chaque matin. C’est une matière un peu bizarre, difficilement descriptible, peu identifiable, qui sert de pain (v. 4, 8, 12, 15). C’est menu, granuleux, comme du givre sur le sol (v. 14) ; cela ressemble à la graine de coriandre, c’est blanc et ça a le goût d’un gâteau au miel (v. 31). On ne sait pas exactement ce que c’est. Certains spécialistes pensent que cela pourrait être une sécrétion produite par des insectes qui se nourrissent du tamaris, que les Bédouins utilisent comme substitut du sucre ou du miel et qu’ils appellent « man » en arabe.

Cela est intéressant, mais ce n’est pas ce qui est le plus important. Le plus important, c’est que les hébreux trouvent cette nourriture chaque jour, au matin. Pour eux, elle est du pain que Dieu fait pleuvoir chaque matin depuis le ciel (v. 4), signe de la providence divine qui les accompagne dans ce long cheminement vers la liberté. Elle est donnée pour satisfaire les besoins de chacun, chaque jour, pour ce jour-là : chacun ramasse la quantité qui lui est nécessaire. La manne est symbole de la grâce de Dieu, qui se renouvelle jour après jour. Elle est signe de la présence quotidienne de Dieu.

Elle est donnée pour ce jour-là mais pas pour le lendemain, pas pour en faire des provisions, des stocks (v. 19-30) ; on ne peut la conserver car elle est pour le jour même, et demain il y en aura encore, et après-demain, et chaque jour. Elle est ainsi appel à la confiance, à ne pas se soucier du lendemain car celui-ci est entre les mains de Dieu, mais à profiter du jour que l’on vit. Elle est une expérience de foi, dont la prière que Jésus nous a enseignée fait écho : « donne-nous notre pain de ce jour ». Vivre la foi pleinement aujourd’hui.

En ce sens, elle est aussi une épreuve. C’est d’ailleurs ce que Dieu dit à Moïse : « Je vais faire pleuvoir pour vous du pain depuis le ciel. Le peuple sortira pour en recueillir chaque jour la quantité nécessaire ; ainsi je le mettrai à l’épreuve » (v. 4). Il peut sembler curieux de lire le mot « épreuve » ici, alors que la situation est déjà éprouvante pour les hébreux. Ils viennent de sortir d’Egypte, d’échapper à l’esclavage, d’entrer en chemin de liberté, et voilà qu’ils éprouvent la faim, à tel point qu’ils regrettent déjà le temps de l’esclavage car, alors, au moins, ils pouvaient manger. Eternelle tension entre la soif de liberté et le besoin de sécurité. Etre libre, avec ce que cela appelle de responsabilité et de risque ? Ou être en sécurité, avec ce que cela signifie en terme de privation de liberté et de souffrance ? La Bible appelle à la liberté mais, tenaillés par la faim, les hébreux ont oublié, déjà, si vite, leurs souffrance et la liberté que Dieu leur a offerte. Nous connaissons bien cette tentation d’abandonner notre liberté pour pouvoir mieux amasser, cette perte de confiance qui nous fait retomber en esclavage. C’est aussi une épreuve pour Dieu, car les hébreux le contestent. Ils s’en prennent à Moïse et Aaron, ils reprochent à leurs libérateurs de vouloir les faire mourir de faim, il se révoltent contre Dieu : ah, disent-ils, si nous étions morts de la main du Seigneur (v. 3) ! Triste remise en question de la présence de Dieu et de sa fidélité… Dans cette situation difficile, la manne est offerte par Dieu aux hébreux pour qu’ils continuent à avancer sur le chemin de la liberté, tout en ayant de quoi se nourrir, chaque jour. Et c’est justement cela, dit le texte, qui est pour eux mise à l’épreuve. Mais en quoi cela est-il une épreuve de recevoir chaque jour de quoi se nourrir ?

C’est une épreuve pour les hébreux car il s’agit maintenant pour eux de vivre d’un acte de foi. Vivre de la confiance en Dieu, en ce Dieu qui donne le nécessaire à chacun, chaque jour, sans qu’il y ait besoin d’accumuler. Là est le défi de la foi : vivre la confiance aujourd’hui. Pas l’angoisse qui se décline en nostalgie (regret du temps de l’esclavage) ou en peur de l’avenir (nous allons mourir). Pas hier ou demain, mais aujourd’hui. C’est dur de vivre cette confiance dans un monde qui nous pousse à remplir, comme si l’accumulation de biens nous permettait d’exister. La confiance en Dieu est une épreuve mais, quand on l’éprouve, c’est une libération.

La manne, c’est quoi ? C’est ainsi bien plus qu’un matière mystérieuse qui a permis aux hébreux de se nourrir dans le désert. C’est le signe de la foi, de la confiance, d’une vie qui se base sur Dieu et sa parole. Pour les hébreux, c’est l’épreuve de leur confiance. C’est pour nous l’invitation à laisser Dieu venir nous accompagner, chaque jour !

Vous remarquez ici que c’est le contraire du sens du mot « manne » dans la langue contemporaine, qui évoque l’abondance que l’on reçoit (c’est une manne financière), avec ce que cela comporte de chance mais aussi d’angoisse, car cette manne peut se tarir brutalement. La manne biblique est l’inverse, puisque celle-ci n’est justement pas l’abondance mais ce qui est suffisant au besoin de chacun, et justement pas l’éphémère mais la confiance puisqu’elle est donnée chaque jour ! Les mots, parfois, changent de sens. La Bible, parfois, nous change. Elle retourne nos angoisses en confiance, et nos certitudes en questions.

 

2 – Une affirmation : la manne, « c’est quoi ? »

La manne, c’est le signe de la confiance, de l’aujourd’hui de la foi. Mais le texte biblique nous invite à aller plus loin. Et je vous propose maintenant une affirmation : la manne, « c’est quoi ? ». Vous me direz : c’est une question, ce n’est pas une affirmation ! C’est pourtant bien une affirmation, ici : « manne », ça veut dire « c’est quoi ? ».

Cette chose, qui est signe de la fidélité de Dieu, appel à la confiance, nourriture quotidienne, s’appelle la « manne ». Ce mot est directement transcrit de l’hébreu מָן (man). En hébreu, מָן est une question : « qu’est-ce que c’est ? » ; « c’est quoi ? ». Quand les hébreux voient cette chose, le premier jour, ils ne savent pas ce que c’est, ils n’ont encore jamais vu cette nourriture, alors ils se disent les uns aux autres : « qu’est-ce que c’est que ça ? » (v. 15). En hébreu : מָן הוּא (man-hou). Littéralement : « c’est quoi ça ? ». Ils nomment cette chose « c’est quoi ? ». Ce nom n’est pas vraiment un nom. Il est une question. Le nom qu’ils donnent à la manne est une question ! Chaque jour, Dieu leur donne du « c’est quoi ? » pour les nourrir, leur signifier sa présence, les remettre en confiance. C’est une question que mangent les hébreux, chaque jour. Quotidiennement, dans leur parcours de foi, ils se nourrissent de questions.

C’est extrêmement intéressant ! Le don quotidien de la présence de Dieu, le signe de la confiance vécue chaque jour, la marque de la foi, ce n’est pas une affirmation, une certitude, quelque chose qui vient combler tous les trous, emplir tous les espaces, encadrer et enfermer, mais une question, un espace ouvert, un chemin qui se présente, une envie d’aller plus loin… Chaque jour, Dieu leur donne à manger une question ! Chaque jour, Dieu ne leur donne pas une réponse, quelque chose pour les faire taire, les soumettre, mais une question, une ouverture, une invitation à avancer.

Là où notre société nous gave, nous écœure, nous fait perdre toute envie, Dieu donne, jour après jour, ce qu’il faut pour que nous restions libres, légers, confiants et espérants. Il nous nourrit et nous garde en élan de vie. Là où les religions, les idéologies et les pouvoirs tendent à s’absolutiser, à ne plus admettre le questionnement, à faire de nous des esclaves qui ne pensent plus, là où les fondamentalismes sont tapis partout et jusque dans notre Eglise, l’Evangile se présente comme une question ouverte, une interpellation, une libération, une mise en route.  La foi est fondamentalement un questionnement, sinon elle est enfermement dans des certitudes aliénantes. Ce n’est facile à admettre : c’est une épreuve. Nous-mêmes, souvent, comme les hébreux dans le désert, pensons qu’il est mieux de renoncer à la liberté pour avoir des marmites pleines de viande, sommes tentés par l’aliénation qui consiste à abandonner le risque du questionnement pour le confort des certitudes, en oubliant que ces dernières sont mortifères. La foi, ce n’est pas des réponses toutes faites à réciter pour se rassurer, mais c’est des questions qui viennent bousculer nos réponses. C’est très important, dans un monde qui a peur des questions, des remises en question, des contestations, que de continuer à questionner, à résister, à avancer.

Manger chaque jour des questions. Ce n’est pas seulement être dans une position critique, c’est aussi être en capacité d’émerveillement. « C’est quoi ça ? », comme le cri de la foi qui se réjouit, chaque matin, de voir se renouveler la confiance en Dieu, sa fidélité, sa présence, même au cœur du désert, même au plus fatiguant ou désespérant de la vie. La foi, c’est cette articulation de points de vue critique sur ce qui aliène, et d’émerveillement devant ce que Dieu donne !

 

3 – Une invitation : la manne, c’est qu(o)i ?

Je fais le point. La manne, c’est quoi ? C’est une chose mystérieuse qui est signe de la présence de Dieu, qui appelle à la confiance, qui permet de vivre libre. La manne, « c’est quoi ? », c’est une question qui est à la fois émerveillement devant la fidélité de Dieu et mise en question de toutes les certitudes qui enferment. Et là, la Bible nous appelle à aller plus loin. Je partage avec vous une invitation : la manne, c’est quoi ? Si la manne est, comme le dit la Bible, la nourriture que Dieu donne pour accompagner chaque jour d’une vie croyante... Si la manne est, comme le dit le texte de ce jour, la transcription d’une question et donc l’appel à rester ouvert… Alors c’est quoi, la manne, aujourd’hui ?

A trois reprises dans le Nouveau Testament il est fait référence explicite à la manne. Dans l’évangile de Jean, après le récit de la multiplication des pains, Jésus se présente comme le pain vivant descendu du ciel, c’est-à-dire celui qui dit la présence quotidienne de Dieu, celui qui est cette présence qui permet de vivre véritablement dans la liberté, en toute confiance (Jean 6, 30-35, 47-51, 57-58). Dans la lettre aux Hébreux, il est question de l’ancienne alliance, de la manne gardée autrefois dans la sanctuaire en signe de la fidélité de Dieu, et du Christ, signe de l’alliance nouvelle désormais vécue dans le cœur de tous ceux qui croient en son pardon, en sa vie, en sa présence (Hb 9, 4). L’auteur de l’Apocalypse évoque la « manne cachée », qui à l’époque symbolisait la nourriture qui sera donnée quand le salut viendra ; pour lui, elle est signe d’espérance, de don de Dieu à celui qui a traversé l’épreuve – et celle qu’évoque l’Apocalypse, c’est la persécution des chrétiens par les romains, à la fin du Ier siècle (Apo 2, 17).

Dans la foi chrétienne, la manne prend cette dimension de présence du Christ, offerte chaque jour, nourriture sur le chemin de la vie, force donnée pour que nous puissions vivre la liberté des enfants de Dieu. La manne, aujourd’hui, c’est le Christ, lui qui nous dit la fidélité quotidienne de Dieu et qui nous invite à rester libres et à penser. Le Christ, dont la rencontre quotidienne nous donne de vivre dans la confiance.  Le Christ, dont la présence nourrit nos jours. Le Christ, qui se donne à rencontrer dans la Bible, ce livre qui nous dit le cheminement d’hommes et de femmes dans la foi et la liberté, dans la confiance et la relation à Dieu. Le Christ, dont la présence se vit dans l’Esprit saint, ce souffle de Dieu qui nous donne d’entendre la parole de Dieu pour nous aujourd’hui. Le Christ, présent en son Eglise, communauté des croyants qui cheminent ensemble, à travers le désert, parfois découragés, mais toujours au bénéfice de la grâce de Dieu.  Le Christ, présence fidèle chaque jour, pour chacun de nous, et dans ce monde, par chacun de nous.

Le Christ, au centre du repas que nous allons prendre. Dans quelques instants, nous allons partager la cène.  Comme autrefois les hébreux dans le désert, découragés et prêts à faire demi-tour pour revenir en esclavage, tentés de renoncer à la liberté pour se remplir de viande, prêts à rejeter Dieu pour se précipiter dans l’idole de la consommation, du trop-plein et des certitudes, nous sommes appelés à manger un repas que Dieu nous donne. Un repas dans lequel Dieu se donne à nous. Un repas tout simple, dans lequel nous partageons un morceau de pain et un peu de vin. Un repas essentiel, car ce partage est signe de la présence de Jésus-Christ vivant, signe de la foi qui nous libère, signe de l’amour qui nous rassemble, signe de l’espérance qui nous envoie comme témoins dans ce monde. Dans ce repas, le Christ se donne à nous, pour vivre en nous, pour vivre par nous.

En mangeant ce repas, nous devenons porteurs de sa présence. Libérés, questionnés, émerveillés, pour être dans ce monde des témoins de liberté, des engagés de la justice, des contagieux de l’émerveillement ! Nourris d’une présence qui nous pousse à nous questionner sans cesse – c’est-à-dire à être libres –, nous voilà nous-mêmes question pour les autres.

Je vois là notre rôle de chrétiens en ce monde. Etre une question pour les autres. Un « c’est quoi ? ». C’est-à-dire une occasion pour le monde de s’émerveiller, de se questionner, de se convertir. De s’émerveiller : c’est notre belle mission, que le monde croit parce qu’il voit comme nous sommes unis, combien nous nous aimons, combien nous sommes heureux et libres ! De se questionner : c’est notre belle mission que d’être dans ce monde témoins de celui qui est venu pour remettre en question l’ordre injuste, les exclusions, les abus de pouvoir, les systèmes écrasants, en devenant à notre tour des résistants, des guérisseurs, des compatissants, des non-violents ! De se convertir : c’est notre belle mission, que d’être dans ce monde signes, instruments et avant-goût du Royaume, c’est-à-dire de cette présence de Dieu, déjà là et encore attendue, qui donne vie et liberté et appelle chacun à se mettre en mouvement, chaque jour, dans la foi, l’espérance et l’amour !

La manne, c’est quoi, aujourd’hui dans ce monde ? Ou plutôt, c’est qui ? Et si c’était nous, signes de la fidélité de Dieu, question posée à toutes les certitudes mortifères, témoins nourris de la présence quotidienne du Christ ?

Amen.