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L’Evangile ici et maintenant

Prédication du dimanche 9 décembre, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Luc 3, 1-6

 

Il est de bonne méthode de toujours remettre un texte dans son contexte. Ce contexte peut être celui dans lequel il a été écrit. Il est aussi celui dans lequel il est entendu. Nous traversons un contexte de crise importante. Je pense à ces semaines agitées en France, aux derniers samedis à Paris, mais plus largement à ce que notre société vit de souffrances et de tensions, aux défis devant lesquels notre monde se trouve. Cela nous occupe et nous préoccupe nécessairement. Je n’ai pu faire abstraction de cela en préparant cette prédication, et je voudrais partager avec vous quelques résonnances du récit de l’évangile de Luc qui nous présente la vocation de Jean-Baptiste.

Quelque chose m’a intrigué en écoutant la lecture du texte, tout à l’heure. C’est le début du passage, versets 1 et 2. Je vous le relis : « La deuxième année du secrétariat général aux Nations Unies d’António Guterres, Emmanuel Macron étant président de la république française, Valérie Pécresse présidente de la région Ile de France, Anne Hidalgo maire de Paris, du temps où Emmanuelle Seyboldt était présidente du conseil national de l’Eglise protestante unie de France et Arnaud Latscha président du Conseil presbytéral de Pentemont-Luxembourg, la parole de Dieu parvint à Jean, fils de Zacharie ». Etonnant, non ?

 

1. Dans l’histoire

Bien sûr, j’ai actualisé. Bien sûr on ne peut pas faire d’équivalence entre les fonctions d’autrefois et celles d’aujourd’hui, encore moins avec leurs titulaires ! Mais c’est ainsi que commence le passage proposé pour ce jour. Il situe ce qui est rapporté dans une époque historique précise.

La quinzième année du gouvernement de Tibère César, l’empereur de Rome, le successeur d’Auguste, qui est sur le trône depuis l’an 14 ; nous sommes donc en 28, d’après Luc. En Judée, le préfet est depuis l’an 26 un romain nommé Ponce Pilate ; il est chargé de gouverner la province romaine de Judée, c’est-à-dire la charge de fonctions administratives, militaires et juridiques et de la levée des impôts. La province est divisée en quatre « tétrarchies », à la tête desquelles se trouvent des « tétrarques » : Hérode Antipas, fils d’Hérode-le-Grand, règne sur la Galilée, son frère Philippe sur l’Iturée et la Trachonitide (au nord, dans les actuels Liban et sud de la Syrie) et Lysinias sur l’Abilène (au nord de Damas). A Jérusalem, le grand-prêtre juif en fonction est Caïphe, gendre d’Hanne, lequel fut avant lui un grand-prêtre très important et qui, bien qu’il n’ait plus le titre, continue à être très influent.

En citant tous ces personnages aux fonctions importantes, Luc situe dans le temps et dans l’espace ce qu’il va partager. Dans les deux chapitres qui précèdent, Luc a raconté ce qui s’est passé environ trente ans auparavant : l’arrivée inattendue d’un fils, Jean, chez le vieux couple sans enfant formé par Elisabeth et Zacharie, prêtre. Et la naissance tout aussi surprenante de son cousin Jésus, fils de Marie. Puis Luc fait un bond de trois dizaines d’années pour arriver à l’âge adulte de ces deux hommes et à leur ministère, ici celui de Jean. Luc aurait pu tout simplement écrire : « environ trente ans plus tard »… Et voilà qu’il donne cette longue liste de personnages aux fonctions importantes. C’est très important car cela montre une volonté de sa part : celle de situer dans l’histoire ce qu’il va transmettre. Les récits qui concernent Jean puis Jésus ne sont pas des histoires intemporelles, ils sont incarnés dans le temps – vers la fin des années vingt de notre ère – et dans l’espace – sur ce petit bout de terre nommé Palestine, Judée, Galilée. Dans un contexte politique, religieux, économique, social particulier. Un contexte de crise. Les inégalités sont criantes, le pouvoir est sans pitié, la rancune vive et l’agitation permanente, contre les romains qui occupent le pays, contre les collecteurs d’impôts qui collaborent, contre les prêtres et les chefs du peuple enfermés dans les rites et le sacré. En ce Ier siècle de notre ère, des révoltes surgissent périodiquement en Judée et en Galilée, et l’attente messianique se colore d’un zèle nationaliste.

L’Evangile n’est pas un conte, une histoire pour nous faire rêver, un récit de sagesse hors du temps. L’Evangile est une parole qui vient au cœur de l’histoire, au cœur du monde, au cœur d’une région meurtrie par les conflits humains, au cœur d’une actualité dominée par des hommes politiques dont les noms ont traversé les siècles. L’Evangile n’est pas une parole désincarnée. Il est au contraire une parole qui surgit ici et maintenant, au cœur du monde, au cœur de l’histoire, au cœur de l’actualité avec ses défis et ses crises. La foi chrétienne n’est pas une invitation à fuir la réalité, à se couper du monde, à se retirer loin du bruit qui nous entoure. Elle n’est pas un rêve. Cela est très important car cela dit que la Parole de Dieu est, pour nous, une parole qui résonne aujourd’hui, ici et maintenant, dans ce monde troublé, dans ce pays en crise, dans cette ville sous tension. Ici, dans ce temple, nous ne sommes pas coupés de la réalité de notre temps, mais en son cœur.

L’Evangile est une parole qui concerne notre temps.

 

2. Un homme banal

L’Evangile concerne notre temps, mais il ne le concerne pas comme une parole extérieure, surplombante, évidente. Dans notre récit, la Parole de Dieu ne s’entend pas du haut du ciel pour tous les êtres humains. L’empereur romain et son préfet, les tétrarques et les grands-prêtres ne l’entendent pas.

Elle s’adresse un homme précis. Un homme banal, quasi anonyme : Jean fils de Zacharie, simple prêtre. A part son origine familiale et sa naissance marquée par un projet de Dieu pour lui, on en sait rien de lui. On ne sait même pas où il habite ni ce qu’il fait. Voilà une autre dimension très importante de ce texte. C’est à un homme quelconque que la Parole de Dieu advient. Pas besoin d’être un héros ou un puissant, pas besoin d’être compétent ou performant pour être touché par la Parole de Dieu. Ce jour-là, elle s’adresse à un homme comme vous et moi, comme, aujourd’hui, elle s’adresse à nous.

Précision de Luc : Jean est alors dans le désert. Cela dit qu’il est un homme loin des puissants cités plus haut, il est un simple parmi les simples, à distance des lieux de pouvoirs, inconnu et ignoré d’eux. Le désert, c’est ce lieu qui n’est pas un lieu, c’est un lieu dur à vivre, où le manque se fait pressent et la solitude vive, où l’on n’est pas loin de se sentir abandonné. C’est dans ces espaces de nos vies que l’Evangile nous rejoint. Le désert, c’est aussi le temps que l’on prend pour se mettre à part, pour faire silence loin du bruit et de l’agitation, pour se retrouver, se rendre disponible à soi-même et à l’essentiel. Etre dans un calme propice à recevoir la Parole de Dieu. Nos cultes, dans leur dépouillement, sont comme un temps de ressourcement au désert. Le désert, c’est aussi dans la symbolique biblique le lieu de la traversée, dure, longue, faite de doute et de confiance, de révolte et de providence, entre l’esclavage et la liberté. C’est le temps du passage de la servitude au service. C’est le temps fondateur pour la foi biblique.

Jean est un homme banal, il se trouve au désert quand la Parole de Dieu s’adresse à lui. Et c’est bien à lui que Dieu parle. C’est à nous, hommes et femmes banals, que Dieu s’adresse. Dans la furie du monde, pour l’entendre il faut se mettre un peu à l’écart, dans le désert. Il nous faut être disponible pour entendre la voix de Dieu qui nous appelle. Car aujourd’hui, c’est à nous qu’il parle.

Et ce qu’il nous dit, c’est pour nous mais ce n’est pas que pour nous. C’est une parole à partager. Là, encore un point très important de notre récit : quand Jean entend la Parole de Dieu, Jean quitte sa solitude pour porter cette parole aux autres. Il ne reste pas enfermé, il sort. Il va, nous dit Luc, dans toute la région du Jourdain : il parcourt le pays à la rencontre des gens pour partager ce qu’il a reçu. La Parole de Dieu est pour lui, mais elle n’est pas que pour lui. Il en devient porte-parole, porteur pour les autres.
La foi est bonne nouvelle pour nous, mais elle est aussi, par nous, pour d’autres que nous. La recevoir dans notre vie, dans notre désert, dans notre espace à part, c’est être projeté là où sont les autres pour la partager avec eux. Le culte est cet espace à part où la Parole de Dieu résonne pour nous, et nous envoie dehors pour en être témoins. Ce n’est pas toujours confortable, on aimerait souvent y échapper ; la plupart des prophètes bibliques ont d’ailleurs essayé de trouver des arguments pour ne pas être appelés : ne sachant pas bien parler comme Moïse, trop jeune comme Jérémie, pas d’accord avec la trop grande générosité de Dieu comme Jonas… Jean, lui, ne parlemente pas, il se rend immédiatement disponible à sa mission.

Parce que l’Evangile est une parole qui résonne ici et maintenant, parce qu’il se donne à travers nous, nous voilà chargés de le partager dans notre temps, dans notre ville. En ce mois de décembre 2018 où notre pays est en crise, l’Evangile vient nous toucher pour que nous l’annoncions. En ce temps de l’avent où nous nous mettons en attente spirituelle de la venue du Christ, nous voilà témoins d’espérance dans un monde qui attend tout et n’espère plus grand chose.

 

3. Une espérance qui met en route

Oui, l’Evangile est pour ce monde, ici et maintenant. Et là encore, quelque chose d’important nous est dit dans ce texte. En quoi consiste cette Parole que Jean va partager ? Il annonce un baptême de conversion, pour le pardon des péchés. Pour le dire autrement, il propose un signe de changement radical, c’est-à-dire une transformation profonde, un nouveau démarrage, une nouvelle orientation, une vie renouvelée. Cela pour le pardon des péchés. On a souvent de la peine avec ce terme « péché », car on en fait quelque chose de moralisant, alors que, bibliquement, le péché est une réalité relationnelle : c’est ce qui coupe la relation avec une autre personne ou avec Dieu. Le pardon des péchés, c’est le rétablissement de la relation. C’est le don par-delà la rupture, c’est la vie qui peut reprendre quand elle a été suspendue, c’est l’espérance qui renaît après la crise. Le baptême de Jean est orienté vers le rétablissement des relations quand chacun vit replié sur lui-même, dans son égoïsme et sa rancœur.

Jean, pour appuyer cela, cite une parole d’espérance qui se trouve dans les versets 3 à 5 du chapitre 40 du prophète Esaïe. Ce sont des paroles essentielles, paroles qui pointent un avenir : vallées comblées, montagnes et collines abaissées, passages tortueux devenus droits, chemins raboteux nivelés… c’est-à-dire disparition des obstacles qui empêchent d’avancer, de croire, d’espérer, d’aimer. Une parole de Dieu qu’Esaïe a transmis au VIe siècle avant notre ère, quand le peuple juif était plongé dans une des plus grandes crises de son histoire, l’exil à Babylone. Le prophète annonce que la liberté est possible, le chemin pour Jérusalem ouvert, les obstacles aplanis par Dieu. Cette promesse est portée par le fait que le Seigneur vient, parce que son salut sera vu de tous ! Annonce messianique de la venue de Dieu que nous confessons en Jésus-Christ, dont nous nous rappelons l’attente en ce temps de l’avent, dont nous célébrons la venue à Noël, la solidarité absolue avec nous à la croix du vendredi saint, la lumière d’une vie en plénitude au matin de Pâques, la présence continue par l’Esprit saint à Pentecôte, la Parole vivante chaque dimanche, et dont nous savons la joie et la paix qu’il donne même dans les épreuves.

Parole de salut, parole d’espérance que proclame Jean en son temps. Parole de salut, parole d’espérance que nous avons à proclamer ici et maintenant. Car les hommes et les femmes de ce temps ont plus que jamais besoin d’espérance. Etre chrétiens, c’est relever le défi de vivre et partager l’Evangile en ce monde comme une réalité transformante, au cœur de la crise que nous traversons.

 

4. L’Evangile pour un temps de crise

Et maintenant je noue ces trois dimensions : la Parole de Dieu ici et maintenant, à vivre et à partager par chacun de nous, parole de salut et d’espérance. Comment cela résonne-t-il aujourd’hui ? Qu’est-ce qui se joue dans la crise que nous traversons – je ne parle pas seulement des tensions de ces dernières semaines, mais de la crise plus profonde dont elles sont le symptôme ?

Nous sommes dans une crise de confiance, où plus rien n’est cru car la parole a été dévaluée à force de mots tordus, de promesses vides, de communication manipulatoire et de fausses nouvelles ; et quand la parole n’est plus vraie, il n’y a plus de pensée, seulement des pulsions et de la violence (j’ai développé cela dans ma prédication d’il y a 15 jours[1]).

Nous sommes dans une crise de justice, alors qu’inégalités et injustices se creusent chaque jour davantage, à la fois objectivement et dans le ressenti profond de ceux qui en souffrent ; et quand le partage n’est plus équitable, les rancœurs et la colère se développent.

Nous sommes dans une crise d’espérance, où l’avenir semble obscurci, à moyen ou long terme sur le plan climatique – et ses conséquences en termes de conflits à venir –, comme à court terme quand tant de gens ont peur de l’appauvrissement qui se présente devant eux ; et quand on ne croit plus que demain sera viable, on sombre dans l’angoisse et la dépression.

Dans ce contexte l’Evangile résonne fort.

Crise de la parole et de la confiance, et voilà tout le message biblique ouvrant à la Parole de Dieu qui rend la parole aux êtres humains : depuis la Parole de Dieu créatrice à la première page de la Bible, en passant par la Parole de Dieu donnée dans la Torah, portée par les prophètes, annoncée par Jean, incarnée en Jésus-Christ, vivante en nos vies par le Saint-Esprit.

Crise d’inégalités et d’injustices, et voilà tout le message biblique rappelant, à chaque génération, qu’il n’y a pas de paix sans justice, qu’il vaut mieux la justice que les rites religieux, que la fraternité n’est pas un vain mot si elle se décline en solidarité pour le plus démuni et en réflexion sur les structures globales qui permettent un partage équitable.

Crise d’espérance, et voilà tout le message biblique qui tourne nos vies vers l’horizon du Royaume, non pas comme une anesthésie générale mais au contraire comme une piqûre de rappel pour nous redonner courage, vaillance, engagements, afin que nous soyons déjà, ici et maintenant, signe, instrument et avant-goût du règne de Dieu.

Tout l’Evangile nous dit cela, tout le message biblique, mais c’est plus encore qu’un message, c’est une réalité relationnelle, une personne en lien avec nous : le Christ. Il est lui-même, par ses paroles, ses gestes, sa vie et sa présence, l’élan qui nous redonne confiance en la parole, en la justice, en l’espérance. Jésus-Christ, incarné au début du Ier siècle de notre ère, dans un temps et un espace précis. Jésus-Christ, présent dans le temps et l’espace de chaque génération, de chaque vie. Jésus-Christ qui s’approche, incarné ici et maintenant dans ce qui est au plus proche de nous. Qu’est-ce qui est le plus proche de nous, le plus « ici et maintenant » ? C’est nous-mêmes ! Le plus proche, pour chacun de nous, c’est soi-même. Et ce soi-même dans la relation avec l’autre, celui qui est tout à côté de vous ce matin. Celui qui vit dans la même ville, le même pays, la même planète.

Dans les versets qui suivent notre passage, Jean s’adresse à chacun de ses auditeurs. Et il les bouscule, il les interpelle, il les renvoie à leur propre responsabilité : partager le trop plein que l’on a, ne pas profiter de son pouvoir, être juste avec les autres. Car le messie vient. Cela me concerne, cela m’engage à la vivre au cœur de ce monde. A prendre ma part dans la construction d’une société juste, apaisée, fraternelle.

Le messie vient. Temps de l’avent, de l’attente, de l’espérance. La Parole de Dieu parvint à Jean, fils de Zacharie. Qu’elle nous parvienne à nous, pour que nous la vivions et la partagions, ici et maintenant ! Amen.

 

[1] https://www.epupl.org/spiritualite/la-parole/predications-du-pasteur-christian-baccuet/vivre-et-parler-en-verite