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Une bénédiction à toute épreuve

Texte de la prédication du dimanche 30 janvier 2022, soir, par le Pasteur Christian Baccuet

Une bénédiction à toute épreuve

 

Genèse 14

 

Paris, rue Madame, 30 janvier 2022. Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

Nous poursuivons notre chemin à la suite d’Abraham. Dimanche après dimanche, nous nous mettons dans ses pas pour entendre résonner son histoire dans notre histoire. Et je vais d’émerveillement en émerveillement, tant cette histoire de vie est riche de sens pour nos existences. Ce qui m’émerveille particulièrement, c’est que la vie d’Abraham n’est pas un déroulement serein, une belle histoire avec Dieu sans heurts ni doutes. C’est une histoire qui se déroule difficilement, qui se développe lentement. Le quotidien d’Abraham est un long cheminement de foi et de vie, et chaque étape le fait progresser, parfois à contre-temps, parfois de manière évidente. Le récit de ce jour est un jalon de plus sur sa route, sur nos routes.

 

1. Dans la tourmente

Au départ, dans la vie étriquée et sans perspective d’Abram qui est âgé, sans enfant, en exil loin de chez lui, entouré de morts, a surgi une parole qui a résonné en lui comme une reconnaissance (« Abram ! »), un appel (« Pars ! »), une promesse (« Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand, et tu seras une bénédiction »)[1]. Sur cette parole, en laquelle il a reconnu celle de Dieu, Abram a vu sa vie s’ouvrir, son avenir s’éclairer et, porté par la promesse de la bénédiction, il est parti vers la vie. Parfois, dans nos vies, une parole surgit ainsi qui nous met en route.

Mais la route est difficile, on ne vit pas que de promesses. Très vite dans l’histoire d’Abram, des épreuves ont surgi : une famine, la fuite en Egypte et un mensonge pour sauver sa peau[2]. Puis une dispute a éclaté dans sa famille, qui a conduit à la séparation d’avec son neveu Loth[3]. Le fait d’être porté par la promesse de Dieu ne dispense pas Abram d’une vie pour le moins mouvementée. Et les problèmes continuent. Maintenant c’est la guerre, Loth en est une victime collatérale et Abram va se retrouver plongé dans le conflit.

Au chapitre précédent, le trop plein de richesse a apporté des problèmes : trop de troupeaux et pas assez de ressources, les bergers d’Abram et ceux de Loth se sont disputés, l’oncle et le neveu se sont séparés. Loth est descendu s’installer dans la plaine du Jourdain près de la ville de Sodome. Crise familiale. On aurait pu penser qu’enfin, la crise est derrière et la vie devient tranquille. Maintenant, un autre problème vient du trop-plein de rois dans ce petit territoire : neuf rois ! Et comme toujours quand il y a du pouvoir en jeu, la violence arrive. Quatre rois attaquent les cinq autres. C’est la guerre, avec des batailles, des morts, des vainqueurs et des vaincus. Parmi ces derniers figure le roi de Sodome, près de qui Loth cru pouvoir trouver la prospérité. Loth est pris dans la tourmente, et avec lui son oncle Abram. Loth et Abram sont à l’écart de ces guerres, elles ne les concernent pas, ils n’ont pas de territoire à défendre puisqu’ils sont des nomades. Mais, comme cela arrive souvent, ils sont rattrapés par le conflit, plongés dedans malgré eux. Loth, habitant près de Sodome, est emporté dans la défaite du roi de cette ville. Lui et tous ses biens sont fait prisonniers par les rois vainqueurs, ils deviennent butin, ils sont emportés. Victimes innocentes d’une guerre qui n’est pas la leur.

Quel écho à nos vies, qui passent par des moments de crise, par des épreuves qui nous tombent dessus sans que n’y soyons pour rien ! Personne ne cherche à vivre des épreuves, mais parfois elles sont là, tragiques, dramatiques. Quand elles nous arrivent, comme à Loth, on peut se sentir seul et abandonné. Comment, dans ce contexte de crise, Dieu est-il présent ? Quel est l’efficacité de sa parole, de la bénédiction promise ?

Loth est emporté par l’épreuve, et Abram aussi. Quand les épreuves arrivent à d’autres, on peut être tenté de regarder ailleurs, de fuir, de se protéger en restant en dehors de tout cela ; Abram aurait pu être comme nous. Mais, prévenu du fait que son neveu est prisonnier, il ne reste pas indifférent. Il aurait pu ne pas se sentir concerné, puisque lui et Loth se sont séparés. Mais la solidarité familiale demeure, ils sont restés dans un lien de fraternité[4]. Alors il mobilise des hommes de son clan pour aller chercher Loth. Il s’engage dans la guerre, attaque, poursuit les ennemis, en est vainqueur, s’empare de tous leurs biens, revient avec Loth. Cet épisode nous dit la beauté de la solidarité, ici celle d’Abram envers son neveu. Abram montre sa générosité, sa solidarité. Pour Loth, il quitte sa tranquillité et plonge dans la lutte.

Epreuve et solidarité sont deux dimensions de nos vies. Epreuves subies, solidarité choisie. Je m’émerveille de ces textes bibliques qui résonnent dans la réalité de nos vies. Et je crois qu’un début de réponse à la question de savoir comment, dans un contexte de crise, Dieu est présent, se joue là : sa présence se manifeste dans la solidarité que nous pouvons vivre en Eglise, dans la fraternité qui nous unit.

 

2. Recevoir une bénédiction

Et le bénédiction ? Quel est le sens de la promesse de la bénédiction qu’Abram a reçue, si elle n’empêche pas de vivre des épreuves ?

Une bénédiction, c’est un acte qui dit le bien ; c’est le sens étymologique : bene dicere, dire le bien. C’est aussi un acte qui dit la présence de celui qui peut aider à vivre ce bien. C’est un acte qui appelle celui qui reçoit la bénédiction à vivre en confiance. C’est une parole pleine de force, une parole performative, qui réalise déjà ce qu’elle annonce. Au chapitre 12, la bénédiction a été promise à Abram par Dieu : parole qui a dit à Abram que Dieu marchera avec lui dans une vie appelée à s’épanouir et à devenir bénédiction pour d’autres. A ce stade de l’histoire d’Abram, la bénédiction est encore une promesse. Une promesse déjà là, puisqu’elle l’a mis en route, mais encore à recevoir.

Et voilà que, dans le contexte de guerre de notre chapitre, au cœur d’une grande épreuve, cette bénédiction va être reçue par Abram. De manière fort surprenante. En effet, voilà un autre roi qui surgit, venu on ne sait d’où, qui disparaitra 3 versets plus loin ; on ne le retrouve pas ailleurs dans l’Ancien Testament, à part une mention dans le Psaume 110 (verset 4). Ce roi s’appelle Melkisédek. Dans un contexte de guerre, de domination, de mort, son nom est tout un programme : il signifie littéralement « roi de justice ». Il est roi de Salem, qui signifie « paix », comme Shalom.  Il est prêtre d’El Elyou, « Dieu très-haut » ; c’est un Dieu bien connu des Araméens et des Phéniciens, qui n’est pas le dieu d’Abram ; le dieu d’Abram s’appelle « Yahvé » dans le texte biblique, nom prononcé « Adonaï » par les Juifs et traduit par « le Seigneur » dans notre traduction.

Ce roi qui surgit aurait pu être encore un roi qui fait la guerre – mais il est roi de paix. Il aurait pu venir s’emparer des biens qu’Abram vient de récupérer – mais il est roi de justice. Il aurait pu… mais ce n’est pas ce qu’il fait. Il apporte du pain et du vin, geste de convivialité, signes de paix, occasion de relation. Et il bénit Abram. Abram, porteur de la promesse de bénédiction du Seigneur, la reçoit ce jour-là. Le « je te bénirai » promis par Dieu au chapitre 12 devient « je te bénis » prononcé par Melkisédek. Abram reçoit cette bénédiction, et elle lui et donnée par le prêtre d’un autre dieu, elle lui est dite au nom de ce « Dieu très haut qui a créé les cieux et la terre ». Et Abram accepte cette bénédiction comme venant de Dieu, puisqu’il donne à Melkisédek un dixième de ce qui lui appartient, la dîme, offrande religieuse. Je trouve cela fort intéressant ! Ce passage nous dit la rencontre d’Abram avec quelqu’un qui croit en un autre Dieu, Abram accepte de lui, au cœur d’un moment de guerre, un geste de fraternité et même une bénédiction.

Plus fort encore, un peu après, Abram va évoquer son Dieu, Yahvé, en l’appelant « Yahvé, le Dieu très-haut qui a créé les cieux et la terre ». Il va ajouter à sa confession de foi (« Yahvé ») celle de Melkisédek (« le Dieu très-haut qui a créé les cieux et la terre »). Non seulement il ne rejette pas la foi de Melkisédek, non seulement il accepte d’en bénéficier, mais plus encore il s’en enrichit. Il élargit sa compréhension de Dieu : celui qui l’a mis en route par la promesse de sa bénédiction est aussi celui qui est le créateur du ciel et de la terre, aussi celui de Melkisédek. Il s’ouvre à une universalité, et il reçoit la bénédiction. Grâce à un autre croyant, dont la foi est proche et différente de la sienne.

Magnifique épisode qui nous dit que la rencontre avec les autres n’est pas nécessairement conflictuelle, que la foi d’autres croyants peut enrichir la nôtre, que d’autres religions peuvent nous apporter ouverture à notre propre foi. La bénédiction de Dieu peut passer par eux ! Pas tout le temps, pas n’importe comment, mais vraiment quand cela est vécu dans la relation de fraternité, de pain et de vin partagés, d’accueil échangé.

 

3. Etre remis en route

Au cœur de l’épreuve, la bénédiction est reçue. Et ça change tout ! La bénédiction n’enlève pas les épreuves, mais elle permet de les traverser, de les dépasser. C’est ce qui se produit dans le récit, après qu’Abram a reçu la bénédiction par Melkisédek.

Porté par la solidarité familiale, Abram est parti délivrer son neveu. Il a réussi au-delà de tout puisque non seulement il a ramené Loth, mais encore il a battu à plate couture les rois ennemis, les a chassés très loin et s’est emparé de leurs biens. Il est vainqueur sur toute la ligne. Normalement, à ce stade d’une histoire humaine, il devrait faire une fête, exécuter les rois ennemis et se réjouir du butin ramené, de sa puissance, de sa domination. Il devrait s’installer comme roi de tout le territoire. Il devrait être fier d’avoir réalisé tout seul la promesse de Dieu : une terre. Mais ce n’est pas ce qu’il fait.

Après le conflit et la solidarité, après la bénédiction qui élargit la foi d’Abram, voilà le temps pour Abram d’être porteur de bénédiction pour les autres. La confiance en Dieu le rend libre par rapport aux coutumes de son temps. Abram vainqueur devrait être le nouveau chef de sa région, il devrait être encore plus riche avec le butin amassé, il devrait devenir le roi de Sodome. Le roi de Sodome vient d’ailleurs le trouver, pour demander un peu de pitié : dans le butin, garde les biens matériels mais rends-moi mes gens. Abram alors, porté par la bénédiction de Melkisédek, s’affranchit de l’habitude : il refuse de prendre quelque butin que ce soit, il n’abuse pas de sa position, il reste libre par rapport au pouvoir et à la richesse. Il ne garde rien pour lui, il se garde tout entier pour la promesse de Dieu.

Et par ce geste libre, il permet que l’histoire reprenne son cours. Pas comme avant la guerre, puisque les rois guerriers ont été vaincus, chassés au loin. Mais, sortis de l’épreuve, chacun retrouve la place qui est la sienne : le roi de Sodome à Sodome, Loth près de cette ville, les alliés d’Abram dans la relation d’alliés, Abram dans sa marche avec le Seigneur, le Dieu très-haut, créateur des cieux et de la terre. Ils ont tous retrouvés leur liberté.

La bénédiction n’évite pas les épreuves, mais elle permet de les traverser et d’en sortir, éprouvé mais libéré, béni et ouvert. La route d’Abram va continuer mais il a progressé dans sa foi, dans sa confiance en Dieu, dans sa force de vie. Cette route sera encore complexe, avec des régressions et des grandes joies, avec des doutes et de l’espérance, mais elle avance. Ainsi sont nos routes, comme celle d’Abram. Portées par la présence de Dieu même quand elles sont difficiles, et jalonnées de moments qui nous permettent de repartir.

Parmi ces jalons, le culte de ce soir. Au cours de ce culte, la promesse de Dieu est affirmée à nouveau. Au cours de ce culte, se vit la rencontre fraternelle de croyants à la fois proches et différents les uns des autres, en lien avec d’autres croyants, ailleurs. Au cours de ce culte, le pain et le vin vont être partagés. A la fin de ce culte, la bénédiction sera prononcée pour chacun de nous. Après ce culte, la vie de chacun de nous continuera, mais éclairée par la présence du Seigneur, la communion fraternelle les uns avec les autres, la bénédiction vécue et partagée autour de nous.

Un dernier mot. Melkisédek est cité dans le Nouveau Testament, dans le Lettre aux Hébreux. Au chapitre 7 de cette Lettre, l’auteur fait de Melkisédek une préfiguration du Christ. Jésus-Christ vient à notre rencontre pour nous dire la présence de Dieu. Jésus-Christ nous offre le pain et vin de sa vie parmi nous, pour nous. Jésus-Christ nous donne la bénédiction de Dieu, pour nous et pour les autres.

Puissions-nous, comme Abram, vivre et partager cette bénédiction. Avec Abram, dire : « Je lève ma main vers le Seigneur, le Dieu très-haut qui a créé le ciel et la terre ». Recevoir la bénédiction au point d’en être porteurs dans ce monde !

Que Dieu nous bénisse !

Amen.

 

[1] Genèse 12, 1-9.

[2] Genèse 12, 10-20.

[3] Genèse 13.

[4] Comme « des frères » (Gn 13, 8).