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Chant de délivrance, combats d’espérance

Prédication - Chant de délivrance, combats d’espérance

Prédication du dimanche 24 juin 2018, par le pasteur Christian Baccuet

Lecture : Luc 1, 57-80

 

« J’entendis une voix intérieure me dire : « Martin Luther, lève-toi, lève-toi pour le droit, lève-toi pour la justice, lève-toi pour la vérité. Et je serai avec toi. Même jusqu’à la fin du monde ». Oui, je vous le dis, j’ai vu l’éclair. J’ai entendu le grondement du tonnerre. J’ai entendu les forces du mal se jeter sur moi en essayant de s’emparer de mon âme. Mais j’ai entendu la voix de Jésus me disant de poursuivre le combat. Il promit de ne jamais m’abandonner, de ne jamais me laisser seul… Et maintenant je marche, en croyant en lui. » [1]

L’essentiel est dit dans ces mots de Martin Luther King, prononcés le 27 août 1967. L’essentiel de ce qui fait une vie de croyant engagé dans le monde : l’épreuve traversée, la force d’un appel du Seigneur, le combat dans l’espérance.

 
1 – Martin Luther King

 

L’essentiel est dit : l’épreuve traversée. Je ne rappelle pas ici le contexte des Etats-Unis dans les années cinquante-soixante, avec le racisme largement répandu et les lois ségrégationnistes de certains Etats ou municipalités. Dans cette situation contre laquelle il lutte ardemment depuis plus de dix ans, après le succès de ses campagnes contre la ségrégation raciale, la grande marche sur Washington, le prix Nobel de la Paix, Martin Luther King traverse une période de doute. Il fait face à la violence de l’opposition contre lui, d’un côté celle des suprémacistes blancs ou de la police, de l’autre celle du Black Panther qui vient d’être créé et qui trouve que le pasteur King est trop irénique avec sa non-violence. Il est empli de doute devant l’inertie ou la résistance de nombreux chrétiens modérés, qui l’appellent à remettre à plus tard sa lutte contre l’injustice car cela entraîne des perturbations à l’ordre public – il dira que cette opposition des modérés est plus pesante pour lui que celle des racistes violents. Il élargit aussi sa compréhension de l’injustice en développant une critique et des luttes contre la pauvreté et contre la guerre du Vietnam. Son combat est immense et il sent que le temps est court. Et le voilà face à un ennemi plus pernicieux encore : lui-même. Le sentiment de fragilité, le découragement, la peur pour lui et pour les siens, l’envie de tout laisser tomber. Une crise existentielle. Il fait alors mémoire d’une expérience spirituelle vécue onze ans plus tôt, alors qu’il venait de recevoir des menaces de mort par téléphone en pleine nuit : « J’ai entendu les forces du mal se jeter sur moi ».

L’essentiel est dit : « J’entendis une voix intérieure me dire : Martin Luther, lève-toi ». La force d’un appel. Lui, pasteur baptiste, porté par la vocation d’annoncer l’Evangile et de le vivre, reçoit à nouveau, au fond de lui, la conviction intime qu’il est appelé à une mission qui, bien qu’elle lui pèse, est de l’ordre d’un impératif. Cette voix intérieure qui lui dit « lève-toi » comme elle lui dirait « ressuscite », il reconnaît en elle la voix de Jésus. Une voix qui lui demande de se dresser encore pour le droit, pour la justice, pour la vérité. Le Christ qui lui promet d’être avec lui, de l’accompagner jusqu’au bout, de ne jamais l’abandonner. C’est l’expérience d’une vocation que rapporte ici Martin Luther King : « J’ai entendu la voix de Jésus me disant de poursuivre le combat ».

L’essentiel est dit : les forces du mal se déchaînent, Jésus appelle à continuer le combat, « et maintenant je marche, en croyant en lui ». Le relèvement, la poursuite de l’engagement de foi, la marche en avant, l’espérance sont au cœur de cette vie. Cette citation est typique de ce qui portait Martin Luther King dans toute son existence. La lutte contre l’injustice, enracinée dans une foi vive, portée dans des combats où foi et engagement se nouent.

 

2 – Les croyants

 

Au-delà de Martin Luther King, elle est typique de ce qui habitait les Noirs américains, depuis des générations, de l’esclavage jusqu’aux mouvements de lutte pour l’émancipation : un combat d’espérance suscité par une foi vive dans le Dieu qui libère. Cette foi, cette culture religieuse de l’espérance au cœur de l’injustice, était portée à la fois par l’expérience de vie et de souffrance, et par la fréquentation vivante de la Bible et de son Dieu qui, toujours libère son peuple. Elle était exprimée par les sermons des pasteurs et, sans doute plus encore, par le chant.

Dans la tradition afro-américaine, le chant est un prolongement du sermon. Les « spirituals » tissent la mémoire du peuple hébreu esclave en Egypte et l’espérance du Royaume où les opprimés seront enfin libres. Ce sont des chants par lequel les Noirs opprimés reconnaissaient dans leur histoire celle de Jésus. Ces chants se fredonnaient dans les champs de coton et se partageait le soir dans le campement des esclaves, plus tard ils accompagnaient les réunions d’Eglise, les cultes, les meetings, les manifestations aussi. Les « freedom songs », cantiques religieux, avaient une dimension politique. Ils étaient une forme de résistance, car l’oppresseur ne peut avoir de prise sur un chant. Résistance avec les mots partagés qui disent l’espoir (« oh freedom », « let my people go », « oh when the saints go marching in », « we shall overcome », etc.), avec les airs qui rassemblent, avec surtout cette dimension du chant qui est celui de la mobilisation de tout le corps, du cœur et de l’esprit, de l’existence entière, qui place celui qui chante dans le vaste chœur de ceux qui le précèdent, l’entourent, le suivent sur le chemin de la liberté.

Le chant a d’ailleurs toujours été le compagnon des croyants, notamment dans les périodes difficiles à traverser. Chant de Moïse après la traversée de la Mer Rouge, Psaumes de David et de Salomon, cris depuis le bord de fleuve de l’exil à Babylone, hymnes chrétiens des premières communautés, cantiques des Eglises. On sait l’importance du chant dans la Réforme, comme louange, catéchèse et rassemblement. Les camisards qui, au début du XVIIIe siècle, luttaient pour la liberté de conscience entonnaient le psaume des batailles (psaume 68 : « que Dieu se montre seulement, et l’on verra en un instant le camp des ennemis épars s’enfuir de toutes parts ! »). Etc. Le chant est essentiel. Nous le partageons culte après culte et, bien souvent, au soir de notre vie, il reste imprimé en nous au-delà de notre mémoire, car il fait appel à notre cœur et à notre foi. Le chant est expression de foi et porteur de délivrance.

 

3 – Le cantique de Zacharie

 

Tout cela, je le retrouve dans le texte de l’Evangile de ce jour. Etre délivré de tout ce qui nous enchaîne, c’est le thème principal du chant de Zacharie, au début de l’évangile de Luc. La tradition chrétienne appelle ce cantique le « benedictus », car il commence par ce terme : « Béni » soit le Seigneur. Ce chant se situe à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il est cantique vétérotestamentaire par son insertion dans la culture biblique, dans la mémoire et l’espérance de tout un peuple, avec des paroles truffées de termes et de références à la Torah et aux prophètes. Il est cantique néotestamentaire car il se situe dans la perspective de la venue de Jésus, le Christ.

Petit rappel. Ce chant sort des lèvres de Zacharie. Zacharie est un prêtre, en service régulier au Temple de Jérusalem. Il est marié à Elisabeth, une descendante d’Aaron, le frère de Moïse, le grand-prêtre par excellence. Bon croyant, pieux, juste, fidèle aux commandements de Dieu, il est le pur produit de la foi juive. Mais il porte une souffrance en lui : Zacharie et Elisabeth sont âgés et sans enfant. Un jour l’ange du Seigneur lui annonce qu’Elisabeth va être enceinte ; Zacharie, qui doute de cela, devient muet et ne retrouvera l’usage de la parole que plusieurs mois plus tard, à la naissance de l’enfant, Jean. Les premiers mots de Zacharie sont alors cette louange adressée au Seigneur, remerciement pour la délivrance dont il a bénéficié, mais plus largement pour la délivrance qui advient pour le peuple de Dieu. Car son fils va devenir Jean le Baptiste, celui qui va préparer le chemin du Messie, son cousin, fils d’une jeune fille appelée Marie et parente d’Elisabeth, qui est enceinte et va bientôt accoucher d’un fils qu’elle appellera Jésus, ce qui veut dire « Dieu sauve »… La naissance de Jean est le début de la délivrance de tout le peuple de Dieu ! Ce chant de délivrance qui sort de la bouche de Zacharie comporte trois dimensions essentielles.

La première est la libération, le thème central de ce cantique. Elle se décline en plusieurs mots fortement chargés de sens dans la culture biblique : « racheter » (v. 68), « sauver » (v. 69, 71, 72), « arracher » – de la main des ennemis (v. 74), « redresser » (v. 74). Autant de mots qui résonnent dans la vie de celui qui est opprimé. Autant de verbes qui trouvent écho dans l’histoire du peuple hébreu. Autant d’expressions dont la connotation est fortement ancrée dans la réalité d’un peuple qui a traversé des épreuves fortes (esclavage en Egypte, exil à Babylone) et qui a connu dans sa chair à la fois la souffrance et l’espérance, qui a toujours compté sur son Dieu, qui a toujours regardé plus loin que sa douleur pour continuer à avancer, non pas dans une attente passive mais dans une espérance active, forte, puissante. Espérance pour l’horizon des jours traversés (sortir d’Egypte, revenir d’exil) et espérance pour l’horizon de l’humanité, le temps messianique. Cette libération n’advient pas d’un coup, car l’oppresseur, jamais, ne la donne de lui-même, jamais il ne renonce à son pouvoir s’il n’y est pas contraint. Elle est un combat dans lequel l’homme est engagé, mais Dieu aussi, par sa promesse et sa présence. Elle est un combat qui se vit dans la présence de Dieu qui trace un « chemin de paix » (v. 79). Ce chant est une confession de foi !

Deuxième dimension : il est une confession de foi, car il est inspiré non pas par la détresse ou la joie de celui qui chante, encore moins par ses talents de chanteur ou d’écrivain, mais par Dieu lui-même. Le texte nous le dit : Zacharie est « rempli du Saint-Esprit » (v.67). Le Saint-Esprit, c’est le souffle de Dieu, sa respiration, sa présence. Le souffle de Zacharie est traversé par le souffle de Dieu, Zacharie respire au rythme de la respiration de Dieu, Zacharie se trouve en présence du Seigneur. Comment mieux dire que c’est un chant de foi qui jaillit de lui ? Et, comme pour bien insister sur cette dimension, Luc précise qu’en chantant Zacharie « prophétise » (v. 67). Prophétiser, c’est, étymologiquement, « parler au nom de quelqu’un ». Dans la Bible, c’est parler au nom de Dieu. Pas à la place de Dieu, mais en étant traversé par sa parole, en étant porteur de sa parole ; le prophète est un porte-parole de Dieu. Zacharie prophétise, c’est-à-dire que les mots qu’il prononce sont ceux de Dieu. Le grand cantique du combat contre les oppresseurs, de la délivrance des humains par Dieu, du chemin de paix que le Seigneur offre, c’est Dieu lui-même qui le donne et le fait chanter. La libération est au cœur de la Parole de Dieu, au centre de l’Evangile, elle est l’axe de l’intervention de Dieu pour les êtres humains. Dieu est un dieu « plein de tendresse et de bonté » (v. 78) !

Et, troisième dimension, cette libération n’est pas un rêve. Le temps de cette libération est arrivé. Cette tendresse et cette bonté de Dieu vont se manifester dès le chapitre suivant, par la naissance de Jésus. Même si son nom n’est pas cité dans le cantique de Zacharie, Jésus se trouve en son cœur, parce que c’est par lui que le chemin de Dieu vient croiser les routes des hommes. C’est en lui que le temps de la paix s’ouvre. C’est par lui que l’oppression – qu’elle soit extérieure ou intérieure à l’homme – est chassée ; elle est nommée ici « ennemi » (v. 71 et 74), « pouvoir de la haine » (v. 71), « peur » (v. 74), « péché » (v. 77), « nuit » (v. 79), « ombre de la mort » (v. 79)… C’est par lui que le Royaume s’ouvre, et il s’épanouit ici par les mot « bonté » (v. 72), « alliance » (v. 72), « service » (v ; 74), « sainteté » (v. 75), « justice » (v. 75), « salut » (v. 77), « pardon » (v. 77), « lumière » (v. 78) et « paix » (v. 79). Jésus n’est pas nommé par son nom, mais il est désigné : « puissant Sauveur » (v. 69) apparu « parmi les descendants du roi David » (v. 69), « annonce » (v. 70) et « promesse » (v. 71), « Seigneur » (v. 76), « lumière d’en haut semblable à celle du soleil levant » (v. 78). Au cœur de la foi, c’est en Jésus-Christ que s’épanouit la lutte contre les oppressions, la présence de Dieu, le chemin de paix. Et Jean, le fils de Zacharie qui vient de naître, est « prophète du Dieu très haut » (v. 76), appelé à « marcher devant le Seigneur pour préparer son chemin et faire savoir à son peuple qu’il le sauvera » (v. 76). La prophétie chantée par Zacharie va se poursuivre dans la vie de son fils, Jean le Baptiste, porte-parole de Dieu qui ouvrira la voie au Messie, le Christ Jésus.

Ce cantique de Zacharie est formidable, car il porte en lui la foi en Dieu qui délivre son peuple, la parole de Dieu qui est présence de tendresse et de bonté, et la venue de Jésus.

 

4 – Aujourd’hui

 

C’est ce même Dieu, ce même élan, cette même espérance et ces mêmes combats qui ont été ceux de Martin Luther King. Le chant, à chaque génération, est porteur de foi, de parole et d’espérance. A chaque génération, au temps de Zacharie, au temps de Martin Luther King… et donc aujourd’hui !

Aujourd’hui encore, nous chantons, culte après culte. Nous chantons après le culte, avant de manger. Nous chantons au début du groupe biblique du mercredi, nous chantons à la fin des réunions du Conseil presbytéral, à la chorale et au Spiritual Workshop bien sûr, et dans bien d’autres occasions encore. Parfois des psaumes du XVIe siècle, parfois des airs de Bach, parfois des cantiques du Réveil, parfois des negro-spirituals, parfois des chants contemporains. Et j’espère que vous chantez aussi, chez vous, même quand vous êtes tout seul (mais alors on n’est pas tout seul, le chant nous met en communion avec les autres croyants) ! Nous avons le goût du chant. Pour le plaisir d’une mélodie ou d’un texte, bien sûr, pour les souvenirs qu’il réveille ou les sensations qu’il procure, mais aussi – et surtout – pour la confession de foi qu’il exprime. Confession de foi, qui comme pour Zacharie, comme pour Martin Luther King, est à la fois reconnaissance pour le Dieu qui libère et mise en route à sa suite dans les combats contre le mal. Chant de délivrance et combats d’espérance.

Chant de délivrance qui nous appelle aux combats d’espérance, qui nous entraîne à vivre notre foi de manière active, engagée, non pas enfermée entre les murs d’un temple mais ouverte aux vents de ce monde, ancrée dans la réalité de notre temps, parmi les hommes et les femmes qui souffrent encore de multiples manifestations d’oppression. Je pense notamment aux hommes, femmes et enfants sur les routes de l’exil, maltraités et rejetés par notre société qui se referme de plus en plus, ne s’émeut plus devant la détresse et les noyés dans la mer, refuse l’accostage d’un bateau de sauveteurs, sépare les enfants de leurs parents, enferme des enfants dans les centres de rétention, laisse dans la nuit et l’ombre de la mort ceux qui aspirent comme nous à marcher sur un chemin de paix.  Monde terrible où les inégalités se creusent, où les extrémismes religieux et politiques massacrent à tour de bras, où l’économie broie sans scrupule des vies, où la planète est détruite, où de plus en plus d’hommes et de femmes seront jetés sur les routes de l’errance, en un cercle vicieux devant lequel nous ne pouvons plus fermer les yeux. Notre cœur se dessèche-t-il ? Ou notre foi nous réveille-t-elle ?

Dans la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité pour tous les hommes, femmes et enfants de ce monde, salut du monde, je le crois fermement : nous sommes appelés de manière urgente aux combats contre le mal. Et le chant, la prière chantée ensemble, nous dresse dans une espérance active et engagée.

Que tout mon cœur soit dans mon chant ! Que notre chant soit ainsi véritablement l’expression de notre foi. Que, par notre chant, en Dieu, avec Jésus, par l’Esprit saint, nous renouvelions le goût de l’espérance, le courage du combat, la patience de l’espérance. Que nous ouvrions le chemin de la paix, dans la force de l’amour. Et que, comme Martin Luther King, nous nous levions. Que nous nous levions pour le droit, pour la justice, pour la vérité. Que nous entendions la voix intérieure qui nous dit : « je serai avec toi. Même jusqu’à la fin du monde ». Que nous entendions la voix de Jésus qui nous demande de poursuivre le combat. Que nous nous mettions en route, en croyant en lui !

Amen.

 

 

[1] 1967, cité par Serge Molla, Les idées noires de Martin Luther King, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 43.