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Apprendre à discerner

Texte de la prédication du dimanche 13 novembre 2022, par le Pasteur Christian Baccuet

Apprendre à discerner

 

Lecture : 1 Samuel 9, 1 à 10, 1

Pentemont-Luxembourg, 13 novembre 2022. Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

 

L’expérience de vie est propre à chacun mais nous sommes tous, par moments, confrontés à la question du choix. Nous nous trouvons parfois à des carrefours de vie, dans des situations complexes, parfois ambigües, qui offrent plusieurs chemins possibles, et on ne peut pas les prendre tous. Il faut décider. Là, se pose la question du discernement.

Cette question traverse le récit de ce jour. Il s’agit de la désignation de Saül comme roi d’Israël par le prophète Samuel, au 11ème siècle avant notre ère. Samuel va discerner qui est appelé à cette fonction.

Ce chapitre nous donne quatre indications précieuses sur ce qu’un processus de discernement doit prendre en compte. Je vous propose 4 mots qui en rendent compte.

 

1. Situation

Premier mot : « situation ». Le premier élément du discernement, c’est la prise en compte de la situation.

Ici, la situation est complexe. Au chapitre précédent, le peuple et les anciens du peuple ont demandé à avoir un roi qui les protège et les guide, un chef pour faire comme toutes les autres nations. Par la voix de Samuel, Dieu les a mis en garde : un roi va tout prendre, vos fils comme soldats, vos filles comme servantes, vos biens, il fera de vous ses esclaves. Avertissement fort pour les Israélites qui savent ce que cela signifie, eux dont les ancêtres étaient esclaves en Egypte avant d’en sortir sous la conduite de Moïse pour devenir un peuple libre. Vouloir retourner en esclavage, c’est ne plus mettre sa foi en Dieu qui a libéré son peuple ; c’est une tentation permanente pour les Hébreux, préférer une fausse sécurité à la vraie liberté, préférer se soumettre à une puissance humaine plutôt que mettre sa confiance en Dieu. Malgré cet avertissement clair, le peuple et ses anciens ont persisté dans leur désir d’avoir un roi. Et Dieu a accepté ce choix. Son peuple a fait un mauvais choix, mais Dieu continue à l’accompagner. Le peuple ne choisit pas le chemin du Seigneur, alors le Seigneur va emprunter le chemin de son peuple. Dieu a accepté que le peuple ait un roi. Et voilà Samuel, lui qui était contre ce choix, appelé à être celui qui va désigner le futur roi.

Situation complexe qui mêle plusieurs plans : la demande du peuple, l’urgence d’unir les tribus face à la menace des Philistins, le souci de trouver quelqu’un de compétent, et la réticence de Samuel. Situation d’autant plus complexe que les Israélites n’ont jamais eu de roi. Il n’y a pas de modèle, pas d’expérience, c’est un chemin nouveau et risqué.

Et puis voilà un candidat, qui n’a rien demandé et qui est même étonné que le choix tombe sur lui (v. 21). Saül. A vues humaines, Saül a des qualités que l’on attend d’un roi : il est le fils d’un homme « fort et vaillant » (v. 1), c’est-à-dire « de condition aisée » (traduction Français courant) ou « vaillant guerrier » (traduction Nouvelle Bibe Segond). Lui-même est « un beau jeune homme : personne en Israël n'a plus belle allure que lui, il dépasse tout le monde d'une tête » (v. 2).

Mais il ne faut pas fier aux apparences, il ne suffit pas d’être « fils de » et d’être jeune, beau et grand pour être un bon roi. Saül a aussi des handicaps pour une telle fonction. Les ânesses de son père se sont égarées : quelle compétence pour garder le troupeau en lieu sûr ? Et quel mauvais présage, les ânes étant une monture royale ! Saül les cherche pendant plusieurs jours en vain, incapable de les retrouver. Il est prêt à abandonner sa mission en cours de route. Il se trouve à court de pain, d’argent, il ne lui reste rien et c’est son serviteur qui trouve une solution. Quelles compétences a-t-il, quel courage ?

Et puis, ce qui n’est pas rien, il est de la tribu de Benjamin, qui est une tribu toute petite et méprisée. Elle a autrefois gravement transgressé les règles de l’hospitalité, quand des Benjaminites, au lieu d’accueillir un Lévite de passage, ont violé jusqu’à la mort sa femme ; les autres tribus ont alors décimé la tribu de Benjamin, en guise de représailles (Juges 19 et 20). Saül est de cette tribu honteuse.

Des qualités et de défauts… comment discerner que c’est lui qui sera le premier roi d’Israël ?

Un discernement est toujours en situation. Dans un processus de discernement, l’analyse du contexte et des enjeux est importante. Pour repérer et analyser les différents aspects de la situation, de la décision à prendre, de ses conséquences, notre intelligence est sollicitée, avec la mise à distance des émotions qui peuvent la perturber. Tant que faire se peut, il importe de mettre en œuvre notre lucidité, notre objectivité, notre capacité à réfléchir. Mais, nous le savons d’expérience, nous n’avons pas toujours toutes les données. C’est pourquoi tout choix est difficile. C’est pourquoi le discernement n’est pas qu’une affaire d’intelligence humaine ; c’est aussi une question spirituelle, celle de l’accueil de la volonté de Dieu.

 

2. Accueil

Deuxième mot : « accueil ». Une deuxième dimension importante dans un discernement est l’accueil de la Parole de Dieu.

Dans notre récit, Samuel ne s’en remet pas à sa propre sagesse ; il est disponible à Dieu. Il est un « voyant », dit le texte qui précise que c’est comme cela que l’on appelait alors les prophètes. « Voyant », cela ne veut pas dire quelqu’un qui prédit l’avenir, cela veut dire quelqu’un qui regarde la situation en s’ouvrant au regard de Dieu. Le rôle de Samuel n’est pas de dire son propre choix, mais de laisser place pour la volonté de Dieu.

Ainsi, dans notre récit, Samuel est à distance de son propre avis, pour être simple porte-parole du choix de Dieu. Ce choix ne se fait pas selon de simples critères humains. L’intelligence ne suffit pas, il faut accueillir la Parole de Dieu. Samuel est dans cette position. Le texte nous dit que c’est Dieu qui l’avertit : « Je te ferai rencontrer un homme de la tribu de Benjamin ; tu le consacreras comme chef de mon peuple », puis, dès que Samuel aperçoit Saül, le Seigneur lui dit : « Voici l'homme dont je t'ai parlé ; c'est lui qui gouvernera mon peuple ». (v. 16-17).

Le texte biblique nous surprend quand il nous raconte qu’une personne entend Dieu lui parler ainsi, d’une manière évidente. Mais dans ce type de récit, le texte ne dit jamais comment Dieu parle, car ce n’est cela le centre ; le centre, c’est ce que Dieu dit. Et il peut être entendu de multiples manières, le plus souvent comme une parole qui fait écho au fond de nous. Il importe pour cela de se mettre à l’écoute.

Ce temps d’écoute de Dieu est essentiel dans une démarche de discernement.

La lecture de la Bible tient là une place fondamentale. Dans l’Esprit saint, l’Ecriture peut transmettre une Parole que Dieu nous adresse pour l’ici et maintenant de nos vies. La Bible peut devenir Parole de Dieu pour nous. Lire la Bible ne veut pas dire que l’on va y trouver la solution, la réponse, le choix à notre place ! Mais souvent la Bible remet à sa juste place le choix que nous avons à faire. Il ne s’agit bien sûr pas d’une lecture ponctuelle et utilitariste, mais d’une lecture continue et régulière, d’une irrigation de notre existence par la fréquentation durable de l’Ecriture. Cette imprégnation permet de se situer à sa juste place. Par exemple, être attentif au désir de toute puissance qui nous habite, nous avertir du risque de confondre goût du pouvoir et service des autres. Ou au contraire être relevés quand nous sommes enclins au manque d’estime de soi, au dénigrement, à la complaisance dans la médiocrité.

Il faut être disponible pour entendre Dieu. La prière, le silence sont essentiels pour écouter et recevoir la parole de Dieu au fond de soi. C’est un vrai défi dans notre monde empli de bruit et de mouvement, de sollicitations et de paroles vides. Faire place au silence… pour pouvoir vraiment entendre. Le prophète est, avant d’être une personne qui parle, une personne qui écoute. Ce texte nous invite à faire place au silence, à l’écoute, à Dieu. La prière, centrale dans le discernement, n’est pas d’abord révélation du contenu de la décision à prendre, mais entrée en disponibilité. Dans un processus de discernement, on ne prie pas Dieu pour un résultat attendu, mais pour que le choix qui sera fait soit bon, même s’il est inattendu, voire opposé à ce que je voulais. Être disponible à cela. La prière, c’est la libération de sa propre subjectivité ou du désir du résultat, c’est un décentrage de soi-même, une liberté spirituelle, une ouverture à la confiance, une disponibilité à l’Esprit Saint. Prier, c’est demander la lumière sur soi-même et sur la décision que je dois prendre.

La lecture de la Bible et la prière peuvent être pure subjectivité, simple écoute de soi-même ; c’est pourquoi la dimension des autres est importante dans cet accueil de Dieu. Pour éviter d’être le jouet de ses propres désirs, de son orgueil, de sa faiblesse, et pleinement disponible à Dieu, partager le discernement avec d’autres est fondamental. Il importe de prier avec d’autres, de lire la Bible avec d’autres, au culte, ou dans d’autres occasions telles que la pause prière, les groupes de partage biblique, les groupes de maison. Le discernement communautaire n’est pas la recherche d’un consensus, même éclairé (qui impliquerait discussion, compromis, juste milieu, éventuellement pressions et désir de l’emporter...) mais une disponibilité commune au Seigneur.

La Parole de Dieu se donne dans l’Ecriture, se reçoit dans la prière, se partage avec d’autres.

 

3. Utilité

Situation, accueil. Troisième mot : « utilité ». Une troisième dimension est importante pour le discernement : son objectif, son horizon de la mission, ce vers quoi il tend, ce à quoi servira le choix à faire.

Dans ce récit, il s’agit de désigner celui qui deviendra roi. En situation – la demande du peuple – et dans l’accueil de la Parole de Dieu, il s’agit de discerner l’utilité de la démarche. Elle est prononcée par Dieu lui-même : « Tu lui conféreras l'onction pour qu'il soit chef sur Israël, mon peuple. Il sauvera mon peuple de la main des Philistins ; en effet, j'ai vu mon peuple, et ses cris sont venus jusqu'à moi ». Puis, le lendemain : « Voici l'homme dont je t'ai parlé ; c'est lui qui détiendra le pouvoir sur mon peuple » (v. 16-17).

A quatre reprises revient l’expression « mon peuple ». Le discernement, ici, n’est pas orienté vers la satisfaction de l’ambition d’un homme ou d’un groupe de personnes, mais vers le peuple de Dieu. En langage contemporain, il s’agit du bien commun. C’est l’orientation de tout discernement de fond. Vers quoi tend la décision à prendre, est-elle porteuse de fruit positif, est-elle source de bénédiction, ouvrira-t-elle à davantage de paix ou de justice ? Dans la bouche de Dieu, il s’agit de « mon » peuple. Ce ne sera pas le peuple du roi, mais celui de Dieu. C’est à la fois un horizon de discernement et une responsabilité pour celui qui sera appelé : le peuple est celui de Dieu, son roi devra donc être un roi fidèle à Dieu, à l’écoute lui aussi du Seigneur. A la forte tentation du pouvoir, danger auquel Samuel a essayé d’éveiller le peuple, devra s’opposer l’humilité du roi, sa foi. La suite de l’histoire nous montrera, hélas, que Saül ne sera pas à la hauteur de cette attente. Le discernement opéré aujourd’hui donnera un roi qui, au départ, sera fidèle, mais qui s’écartera ensuite de la voie de justice et de fidélité à Dieu.

Tout discernement est fragile. Même opéré dans l’analyse de la situation, l’accueil de la volonté de Dieu et le souci de l'utilité commune, un discernement n’est pas science exacte. Seul le temps peut indiquer, a posteriori, si le discernement aura été juste ou faux, ou maladroit.

 

4. Lendemain

Situation, accueil, utilité. Le temps est la quatrième dimension du discernement. Quatrième mot : « lendemain ».

Dans notre récit, trois fois, il est question du lendemain. La première fois, c’est quand Saül va rencontrer Samuel. Le texte précise que, « le jour précédent, le Seigneur avait averti Samuel de cette rencontre » (v. 15). Le jour précédent. Il y a un espace-temps entre le moment où Samuel est en disponibilité de recevoir la Parole de Dieu et le moment où il perçoit que cette parole désigne l’homme qui vient à sa rencontre. Puis, quand Samuel s’adresse à Saül, il lui dit : « Pour aujourd'hui, vous mangerez avec moi ; demain matin, quand j'aurai répondu à toutes les questions que tu te poses, je te laisserai aller » (v. 19). Demain matin, encore cet espace-temps qui sépare la rencontre et la mise en œuvre de la décision. Et à la fin du chapitre, c’est « le lendemain » (v. 26) que Samuel fait connaître la parole du Seigneur à Saül, puis lui verse un flacon d’huile sur la tête, l’embrasse et lui dit : « Le Seigneur lui-même t'a consacré comme chef de son peuple » (10, 1).

Le lendemain. Cette notion du temps est essentielle en discernement. L’urgence est toujours mauvaise conseillère, la précipitation mène souvent à de mauvais choix. Prendre le temps, ce n’est pas perdre du temps, c’est habiter le temps de la méditation, du mûrissement, de la sagesse. Ici, il est question d’un temps court, « le lendemain ». L’espace d’une nuit, pour poser, reposer, prendre de la distance.

Ailleurs le temps peut être plus long. Dans la suite du récit, d’autres moments viendront confirmer ce discernement. Au chapitre 10, Saül trouvera sur sa route trois signes qui lui confirmeront l’appel de Dieu.  Puis, toujours au chapitre 10, une assemblée du peuple procèdera à un tirage au sort pour désigner le futur roi – manière de dire que le choix est fait par Dieu – et c’est Saül qui sera désigné.  Enfin, au chapitre 11, le peuple, à la demande de Samuel, confirmera le choix de Saül comme roi.

Le temps est essentiel dans un processus de discernement, comme espace de respiration, mise à distance bénéfique. Quand Dieu parle, il insiste dans le temps, ce n’est pas une pensée fugitive qui nous traverse mais un écho au fond de nous qui demeure au-delà d’un instant. Il est important de prendre le plus de distance possible par rapport à l’urgence.

 

5. S.A.U.L.

Voilà, dans ce récit vieux de plus de trois mille ans, quelques pépites qui nous sont données pour résonner dans nos propres situations de décision, pour nous aider à discerner. Situation à analyser, accueil de la parole de Dieu, utilité du choix à faire, lendemain qui met à distance la pression. Ce n’est pas une méthode, mais quelques repères indispensables.

Samuel a discerné ainsi, lui dont le nom signifie en hébreu « Celui qui écoute Dieu ». Il a désigné comme premier roi d’Israël Saül, lui dont le nom en hébreu signifie « Désiré » : non pas son désir de puissance, non pas le désir du peuple, mais le désir de Dieu pour son peuple. Saül, bénéficiaire de ce discernement en quatre dimensions : situation, accueil, utilité, lendemain.

Juste pour le plaisir : S comme situation, A comme accueil, U comme utilité, L comme lendemain… S.A.U.L., Saül.

Amen.