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Venir à la lumière

Texte de la prédication du dimanche 4 juin 2023, par le Pasteur Christian Baccuet

 

Venir à la lumière

 

 

Pentemont-Luxembourg, 4 juin 2023.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

Matin : baptême de Jeanne et Edouard (3 ans), et confirmation de Mathilde  (22 ans).

 

Lecture biblique : Jean 3, versets 1 à 21

 

 

« Être ou ne pas naître » est une très belle chanson de Serge Gainsbourg, écrite pour Jane Birkin, chanson triste et mélancolique, presque désespérée :

« Que vaut-il mieux : être ou ne pas naître ? […]

Avec cette difficulté d'être

Il m'aurait mieux valu peut-être

Ne jamais naître ».

« Être ou ne pas naître » : j’ai songé à donner ce titre à ma prédication sur le texte que nous venons d’entendre, car il y est question d’« être et de « naître ».

 

1. Être : Nicodème

Voilà un homme nommé Nicodème. Si un mot devait le caractériser, on pourrait peut-être employer le verbe « être ».

Il est un homme qui « est ». C'est quelqu'un de bien placé dans la société de son temps. Un docteur de la Loi, un homme qui étudie la Torah. Un pharisien, membre de l'élite du judaïsme de son temps, qui cherche à être parfait dans les règles rituelles, les normes de pureté, l’obéissance à Dieu. Un membre du Sanhédrin, tribunal religieux suprême à Jérusalem. Un notable. Un homme installé, bien établi. Son nom même signifie en grec « peuple victorieux ». Un homme qui sait. Et quand il vient voir Jésus il s'exprime en « nous » – « nous savons » –, tout à la fois porte-parole d'un groupe et homme enfermé dans son savoir. Nicodème est un homme qui « est ».

Nicodème désire rencontrer Jésus et voici que lui, l'homme public, s'approche en cachette. Il vient voir Jésus de nuit, dans le noir, dans l'obscurité. Lui qui « est », le voilà qui vient comme s'il n'osait pas « être ». Lui qui est un homme en vue, il ne veut pas être vu. Il ne veut pas que son « être » soit vu.

Extérieurement, il est enfermé dans un « être » qui est un « paraître », mais qui ne correspond peut-être pas tout à fait à l’aspiration qu’il a au fond de lui ; il a une quête en lui, puisqu’il vient voir Jésus. Mais il vient le voir comme un savant rencontre un autre savant, un maître qui rencontre un « rabbi » - c’est comme cela qu’il s’adresse à Jésus.

Il vient voir Jésus secrètement. Notre texte commence dans la nuit, et Jésus va conduire Nicodème vers la lumière.

 

2. Naître : Jésus

Jésus le déplace d’emblée. À ce Nicodème qui parle avec le « nous » de ceux qui savent, Jésus parle en disant « je » et en lui disant « tu », en déplaçant la discussion du registre du savoir à celui de la relation. Il ne s’agit pas de doctrine mais d’existence. Il ne s'agit plus de savoir, mais de naître. Jésus l'interpelle, le renvoie à lui-même. Nicodème, toi qui « es », toi qui crois « être », si tu veux me connaître il faut avant toute chose que tu naisses !

Pour « être », il faut d'abord « naître », dit Jésus.

Cela semble une évidence. Nicodème, comme nous, le sait bien ; puisque nous sommes tous nés un jour, tous nous « sommes ». Seulement, lui dit Jésus, cela ne suffit pas. Il faut naître « anothen » (ἄνωθεν), terme grec qui peut se traduire par « de nouveau », « depuis le début » ou bien « d'en haut ». Nicodème, tant que tu n'es pas né de nouveau, tant que tu n’es pas au début de ta naissance, tant que tu n'es pas né d'en haut, tu n'es pas !

Naître de nouveau...

Il ne s'agit pas de retourner dans le ventre de sa mère comme le croit Nicodème coincé dans une logique chronologique. Il s’agit de ne pas se contenter d'être, d'occuper sa place dans la société et de briller par ses mérites ou ses connaissances. Il s'agit de ne pas se croire installé, mais de se redécouvrir petit et faible, dépendant et vulnérable, fragile et émerveillé. Pour vivre, il faut accepter de ne pas tout savoir, il faut accepter d'être faible.

Naître depuis le début, naître depuis les origines…

Il s'agit d'être assez libre pour recommencer sa vie, prendre un nouveau départ, se remettre en chemin. Il s'agit d'aller de découverte en découverte, d'émotion en émotion, comme un petit enfant qui vient de naître, qui grandit, qui découvre, comme Jeanne et Edouard qui s'émerveillent de tout

Naître d'en haut...

Il ne suffit pas d'être par soi-même, bien à sa place dans ses fonctions et sa position sociale, installé dans sa suffisance. Tout cela n'est qu'extérieur. Il s'agit de s'ouvrir à une autre dimension, essentielle, la dimension spirituelle. La vie n'est pas que dans ce qui nous rend présent aux autres, notre corps, nos idées ou notre argent. La vie ce n'est pas que manger, dormir, travailler, amasser de l'argent. La vie c'est bien plus que tout cela. La vie est en nous, dans ce que nous avons de plus profond : nous réjouir, aimer, faire confiance, être avec d’autres, se souvenir, espérer...

La véritable vie est spirituelle : elle est davantage que matérielle, elle est vie reçue. La vie avec Dieu n'est pas une fuite hors du monde, elle inclut notre corps, mais dans une dimension où l'amour, la relation, la confiance sont essentiels.

Cela n'est pas au bout de nos efforts. Cela nous vient de l'extérieur, cela nous est donné. Il s'agit avant tout de s'ouvrir à l'amour que Dieu a pour nous, qui nous est offert. Comme quand nous naissons de notre mère la vie nous est donnée, l'amour de Dieu nous est donné pour nous faire vivre. Il n'est pas au bout d'une longue quête, mais présent comme un cadeau qu'il suffit d'accepter, tout simplement. Une grâce inconditionnelle, ce que signifie particulièrement le baptême de petits enfants.

Nicodème croit « être » et Jésus le bouscule, lui parle de nouvelle naissance, de chemin, de naissance d'en haut. Il l'invite à sortir de lui-même, à basculer, à se convertir, à s'ouvrir à Dieu, aux autres, à lui-même : à ne plus parler en « nous » comme un porte-parole, mais à devenir lui-même. À naître de nouveau, à naître chaque jour, à redécouvrir sans cesse l'amour de Dieu au fond de lui.

 

3. Passer du « nous » au « je »

C'est ce qui se joue dans le baptême : passer du « nous » au « je ».

Le baptême est un rite, et l’on sait bien l'importance structurante d'un rite. C'est-à-dire de gestes et de paroles qui nous échappent, nous accueillent, nous guident. Comme une langue, une culture. Une culture, une langue, cela se reçoit par la naissance ou l'apprentissage. Mais pour que cela devienne structurant, il faut se l'approprier. Il faut connaître la grammaire pour pouvoir parler en « je ».

Le baptême, c'est comme la langue chrétienne qui est offerte à Jeanne et Edouard, pour qu'un jour ils se mettent à la parler en leur nom propre.

Le baptême nous insère dans une culture, un groupe, une Eglise, mais il nous concerne personnellement. C'est un rite, mais dans ce rite c'est l'Evangile qui résonne, c'est-à-dire cette parole de Dieu au baptisé : C'est toi que j'aime, c'est toi que je fais naître à moi ! C’est toi qui es appelé à naître de nouveau, à naître au début, à naître d’en haut.

La vraie vie, la vraie existence, c'est de naître à Dieu.

Jeanne et Edouard, comme Nicodème, comme chacun de nous, sont appelés à naître chaque jour à nouveau à Dieu. À vivre dans son amour. Car Dieu n'est pas connaissance, savoir ou pouvoir. Dieu est relation, confiance, amour. Ce Dieu d'amour, nous le confessons comme Père, Fils et Saint-Esprit. C'est dans ces trois dimensions de Dieu que Jeanne et Edouard viennent d'être baptisés.

 

4. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit

Le texte entier porte en lui ce Dieu. Jésus parle de la naissance dans l'Esprit, puis du Fils de l'homme qui descend des cieux – dans le langage biblique, cela veut dire qui vient de Dieu –, puis de Dieu père du Fils unique.

Au cœur de ce texte, se trouve le verset que tous les protestants connaissent par cœur : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais ait la vie éternelle » (Jean 3, 16).

« Dieu a tant aimé le monde... »

Dieu nous aime. Pour nous il est prêt à tout, y compris à donner la meilleure part de lui-même. Non pas en récompense ou en salaire, mais comme un cadeau, un don, une grâce. C'est par seule grâce que Dieu se donne à nous. Nous n'y sommes pour rien. C'est le cœur de l'Evangile. Nous n'y sommes pour rien, Dieu nous aime gratuitement, généreusement, totalement. Il s'offre à nous. Comme un Père qui aime ses enfants. Voilà pourquoi Jeanne et Edouard ont été baptisés « au nom du Père ». Parce que Dieu les aime, avec tendresse et solidement, présent à chaque instant.

« Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils, son unique... »

Cet amour de Dieu prend son sens plein dans un don, celui du Christ, en particulier sur la croix, dans ce moment terrible de souffrances et de révoltes où Jésus meurt. Jésus, le fils, l'unique. La nuit au cœur de l'Evangile. Ce Jésus qui meurt fait mourir avec lui tout le mal qui nous tient prisonnier. Et puis il ressuscite. Le voilà vivant pour nous faire vivre. Il nous fait passer de la mort à la vie, de l'illusion du savoir à l'émerveillement de la foi, des ténèbres à la lumière. Voilà pourquoi Jeanne et Edouard ont été baptisés « au nom du Fils ». Comme un appel à se mettre en route derrière lui sur le chemin de la vie, de l'amour, de la justice. L’eau est le signe de la source qu’est le Christ et du chemin à sa suite, de la croix à la résurrection, comme un passage du mal à la vie.

« Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. »

Dieu nous aime comme un Père, à tel point qu'il se donne pour nous sur la croix de son fils pour nous faire vivre. La croix, signe de vie, comme autrefois le serpent d’airain dressé par Moïse dans le désert : ceux qui regardaient à lui alors que les serpents les mordaient, ceux qui levaient la tête au lieu de rester courbés dans leur désespoir, ceux-là vivaient. Ce qu'on appelle « la vie éternelle », c’est moins une question de durée que d’intensité : c'est la vie véritable, pleine, accomplie. C’est la transformation de nos vies par la Parole et l'Esprit. La vie en Dieu. Nous voilà alors invités à répondre, à entrer dans une relation véritable, faite de confiance et de proximité. À « croire » en lui. C'est-à-dire à « naître » en lui, « vivre » avec lui, « être » par lui. À cheminer, de jour en jour, de naissance en naissance, auprès de ce Dieu qui nous pousse en avant, qui nous fait vivre, qui est « esprit », souffle, vent, respiration. Naître de l’eau et de l’Esprit, dit Jésus. Voilà pourquoi Jeanne et Edouard ont été baptisés « au nom du Saint Esprit », présence de Dieu au long de nos vies.

Jeanne et Edouard ont été baptisés au nom du Père, du Fils et de Saint-Esprit. Ils auront besoin de chacun de nous pour cheminer de découverte en découverte avec Jésus, pour un jour répondre de toute leur vie à son appel. Le baptême, c'est le point d'attache de la vie chrétienne. Une nouvelle naissance proposée, à revivre jour après jour, pour continuer à cheminer avec Dieu. C'est vivre avec lui, ne plus venir de nuit et en cachette comme Nicodème, mais le rencontrer au grand jour, dans la lumière, dans la vie. A venir dans la lumière.

 

5. De l’obscurité à la lumière

C’est là le but de l’Evangile, le cœur de notre foi, comme le dit Jésus à Nicodème : « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (v. 17).

Là où tant de religions, de systèmes idéologiques, économiques ou politiques, établissent des normes, condamnent, excluent, culpabilisent, l’Evangile appelle au salut, c’est-à-dire à la vie pleine, joyeuse, sereine, en Dieu. A sortir du « jugement », ce jugement que nous aimons bien, au fond de nous-mêmes, nous qui retombons sans cesse dans une théologie des mérites, des comparaisons, des bonnes œuvres ou des justes doctrines, du regard des autres.

Mais croire au Fils, c’est être au-delà de ce jugement, dit Jésus, c’est être dans la lumière. Ne pas être confiant dans cet élan de vie et de lumière, dans cet appel à naître d’en haut, c’est rester dans l’obscurité de la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir faire, ou dans l’orgueil d’être supérieur et de savoir.

Jésus interpelle Nicodème. Tu viens de nuit, restes-tu dans l’obscurité, dans le poids du paraître, dans un être faussé ? Ou bien entends-tu mon appel à naître véritablement à toi-même en t’ouvrant à moi et à venir à la lumière ?

Entre l’obscurité et la lumière, ce Dieu Père qui est amour, ce Dieu Fils qui est la résurrection et la vie, ce Dieu Esprit qui nous met en route, ce Dieu nous appelle à naître dans cesse à nouveau, à notre origine, d’en haut.

On ne sait pas ce que pense Nicodème quand Jésus lui fait cette invitation si émouvante à entrer dans le souffle joyeux de Dieu. Mais on retrouvera Nicodème plus tard. Il affrontera les autres Pharisiens qui voudront condamner Jésus sans l’avoir écouté[1] et, après la mort de Jésus, recueillera son corps, l’embaumera et le déposera dans une tombe[2]. Nicodème va cheminer vers la lumière. Cela lui prendra du temps – toute la longueur de l’Evangile – mais il va naître de nouveau, naître à l’origine, naître d’en haut !

En nous il y a du Nicodème. Un tiraillement entre le paraître et l'être. Un déchirement entre ce que l'on voit ou attend de nous et ce que nous sentons être intérieurement. Une part d’obscurité et une part de lumière. L’appel à passer de l’une à l’autre. L’appel à cheminer avec le Christ. Le baptême est un appel à suivre ce chemin. Nous espérons que Jeanne et Edouard vivront joyeusement ce chemin !

Sur ce chemin, qui occupe toute la vie, la confirmation est comme une balise, où le « je » se dit. Le croyant ou la croyante qui a reçu le baptême enfant, qui a été inclus dans le « nous » de l’Eglise, exprime son « je » de foi, de confiance, d’espérance et d’amour. C’est ce que va faire Mathilde dans quelques minutes. Mathilde, toi qui as été baptisée dans cette paroisse le 25 novembre 2001, quand tu avais 11 mois, tu as cheminé jusqu’à ce jour, et tu vas partager avec nous ton « je crois », dans le « nous » de l’Eglise universelle, avec ton « je » subjectif, personnel, qui rejoint chacun de nos « je », des plus affirmés aux plus balbutiants. Mathilde, en disant « je crois », tu nous dis ton chemin vers la lumière, et tu nous invites, chacun, chacune, à continuer le nôtre. A venir à la lumière.

Mathilde, comme Nicodème, comme Jeanne et Edouard, comme chacun de nous. Sortir de l’obscurité pour venir à la lumière. Naître d’en haut. Etre ici-bas. Etre et naître, en harmonie.

Finalement, le titre de la chanson de Gainsbourg, « être ou ne pas naître », aurait été un bien mauvais titre pour cette prédication. Car Jésus ne nous propose pas le choix entre « être » ou « ne pas naître », choix pessimiste et désespéré.

Il nous propose un choix de bonheur : celui de « naître pour être ». Celui de naître à Dieu, de le laisser vivre en nous pour vivre véritablement et totalement. Il nous demande d'accepter en nous cette tranquille assurance que « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son fils unique pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle ».

Amen.

 

[1] Jean 7, 50-52.

[2] Jean 19, 38-42.