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L'amour au temps de l'intelligence artificielle

Texte de la prédication du dimanche 5 mai 2024, par le pasteur Christian Baccuet.

 

L’amour au temps de l’intelligence artificielle

 

Prédication du dimanche 5 mai 2024, par le pasteur Christian Baccuet. 

 

Lectures bibliques : 

  • 1 Jean 4, versets 7 à 10
  • Jean 15, versets 9 à 17

 

 

Notre monde va à toute vitesse, la vitesse de calcul des ordinateurs croit de manière exponentielle et la réalité semble nous dépasser. La réalité, voire la virtualité, et notre intelligence peine à suivre. Comment vivre cela ?

 

1. Fascination ou répulsion ?

Nous avons eu trois soirées, en mars-avril, sur les questions d’intelligence artificielle, de réalité virtuelle et de transhumanisme (vision d’un humain cherchant l’immortalité), avec trois intervenants de qualité : Bernard Calvino, professeur de neurophysiologie, Thibault Viort, entrepreneur et Vincens Hubac, théologien. Ils nous ont décrit les évolutions immenses et ultra-rapides qui se déroulent en ce moment et qui vont peut-être changer notre manière de vivre. Une partie de celles et ceux qui étaient présents ont été passionnés par ce qui arrive, d’autres ont été effrayés, toutes et tous sont repartis avec plein de questionnements sur notre vie à venir.

Par certains aspects, cela est fascinant. Les progrès informatiques et techniques permettent des opérations médicales jusqu’alors impossibles, la prise en charge de tâches lourdes, des fabrications d’une précision infinie, des calculs à une vitesse exponentielle, des réservoirs de mémoire et de tri bien au-delà de ce que l’on peut penser, des manières de communiquer en étant sur des continents différents comme si on était dans la même pièce, des expériences nouvelles… Emerveillement devant les capacités humaines.

Et pour moi, la résonnance avec le Psaume 8 : « 4Quand je vois les cieux que tu as créés, la lune et les étoiles, que tu y as placées, 5je me demande : L'être humain a-t-il tant d'importance pour que tu penses à lui ? Mérite-t-il vraiment que tu t'occupes de lui ? 6Or tu l'as fait presque l'égal des anges, tu le couronnes de gloire et d'honneur. 7Tu le fais régner sur tout ce que tu as créé : tu as tout mis à ses pieds… »

Mais cette fascination est mêlée de répulsion, quand on songe à ce que l’humanité fait des inventions qui sont les siennes, s’en servant pour le meilleur comme pour le pire. Qu’en sera-t-il de la vie humaine si la machine pense, invente, construit à notre place ? L’humain sera-t-il dépassé, contrôlé, dominé, mis de côté ?  Comment ferons-nous pour distinguer le vrai du faux quand le virtuel sera aussi précis que le réel ? Et qu’en est-il du coût social et écologique de ces nouvelles technologies, consommation énergétique, exploitation des « travailleurs du clic », chômage de masse, exclusion de ceux qui n’ont pas l’argent ou les compétences pour accéder au monde numérique, voire, dans les délires les plus grands, la constitution de quelques super-humains régnant sur une masse de sous-humains ?

Et là, c’est un autre texte biblique qui est venu résonner en moi, celui de la construction de la Tour de Babel, quand les habitants de la terre se mettent en tête de construire « une tour dont le sommet touche les cieux » (Genèse 11, 4), dans une folie totalitaire car, en langage biblique, « toucher les cieux » cela veut dire « prendre la place de Dieu ». Et cela, dans le récit de Babel comme dans toute l’histoire humaine, conduit à la catastrophe.

Alors, fascination ou répulsion ? En tout cas, une réalité qui est là et qui se développe, qui va impacter nos vies et peut-être nos représentations du monde. Il nous faut prendre acte de cela. La question n’est pas d’être pour ou contre, mais : comment vivre cette réalité, si on ne veut ni la refuser – c’est impossible sauf à quitter ce monde – ni la subir comme une aliénation qui nous prive de notre humanité ?

 

2. Aimer

Et voilà, pour ce matin, deux textes qui nous sont proposés dans les « lectures du jour ». Deux textes de la tradition de Jean : l’évangile, et la première Lettre. Deux textes qui portent une parole qui dans la foi résonne pour nous comme Parole de Dieu. C’est-à-dire comme Parole « extra nos », comme disait Luther, parole venant d’un autre que nous même, parole qui n’est ni l’écho de nos fascinations ni celui de nos répulsions, parole qui n’est pas l’expression de nos désirs ou de nos peurs, mais un cadeau qui nous est fait pour nous aider à penser, agir, vivre, un espace critique, espace de résistance, espace de libération.

Cette Parole, aujourd’hui, nous parle d’amour ! Le mot « amour » et le verbe « aimer » sont présents 18 fois dans les 13 versets que nous avons lus tout à l’heure. Ah, l’amour ! Est-il bien raisonnable de parler d’amour devant les défis colossaux qui se présentent à nous ? N’est-ce pas encore la naïveté chrétienne que d’utiliser ce mot qui devient insipide à force d’être prononcé ?

Ici, une précision s’impose. Le grec ancien, langue dans laquelle le Nouveau Testament est écrit, connaît trois verbes principaux pour dire « aimer », là où nous n’en avons qu’un en français. Il y a le verbe φιλέω (philéo), qui dit l’amour dans sa dimension d’amitié et de tendresse. Il y a le verbe ἐράω (erao), qui est l’amour sentiment amoureux, passion et désir - et c’est important le désir dans la vie. Et il y a un troisième verbe en grec pour dire « aimer », avec le mot « amour » qui lui correspond et que l’on trouve dans ces passages comme fréquemment tout au long du Nouveau Testament. C’est le verbe ἀγαπάω (agapao) et le mot ἀγάπη  (agapè), qui disent un lien fort, une relation volontaire faite de partage, d’accueil et de mise en commun. L’amour, ici, est de l’ordre de la volonté, d’un choix de vie, d’un engagement, la volonté de construire ensemble, de développer la justice, la solidarité, le respect, l’attention à l’autre.

L’amour n’est pas une naïveté romantique, aimer n’est pas une fuite dans la faiblesse. C’est un engagement fort.

 

3. La foi, l’espérance et l’amour

Deuxième précision. Dans la première Lettre de Paul aux Corinthiens, au chapitre 13, l’apôtre développe cet amour agapè dans un magnifique texte qui met à bas toutes les prétentions à la toute-puissance : « Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ! ». Et il l’articule à deux autres dimensions fondamentales, la foi et l’espérance : « Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et l'amour » (1 Corinthiens 13, 13). La foi, l’espérance et l’amour.

C’est un programme de vie qui nous est proposé.

 

a. La foi

La foi, bibliquement, résonne en termes de confiance, elle dit la relation de Dieu à l’humain (la grâce) et la relation de l’humain à Dieu (la confiance). Confiance que Dieu place en l’être humain, comme le célèbre le Psaume 8 en chantant la grandeur de l’humanité. Confiance en Dieu que l’humain perd souvent, comme le rappelle le récit de la tour de Babel qui pointe la folie de l’humanité.

Dans la Bible, le péché – c’est-à-dire la séparation d’avec Dieu – n’est pas une dimension morale mais une dimension existentielle, la perte d’une relation de confiance. Et le péché le plus important, c’est l’orgueil, vouloir être à soi-même sa propre finalité, se passer de Dieu, devenir des dieux.

Les Dix Paroles données par Dieu à Moïse portent les dimensions essentielles pour que la confiance puisse se construire et la liberté se vivre : « aimer Dieu et aimer son prochain », ainsi que Jésus l’a résumé (Matthieu 22, 37-40). Jésus qui, dans l’extrait de l’évangile de Jean, le dit à ses disciples avant son arrestation : « Si vous obéissez à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, tout comme j'ai obéi aux commandements de mon Père et que je demeure dans son amour. […] Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (v. 10 et 12).

Il le leur dit pour leur joie ! Pour notre joie : la foi, la confiance. Même si la réalité de notre monde nous trouble et son évolution plus encore, confiance en l’amour que Dieu a pour nous. Plus fort que notre orgueil, plus fort que nos craintes, plus fort que le péché, le pardon de Dieu se donne comme le lien qui ne se rompt pas. Nous avions intitulé le cycle de soirées de mars-avril « Humain augmenté, Dieu diminué ? ». Il aurait été plus juste de l’appeler : « Humain augmenté ou diminué, Dieu toujours présent ! ».

Appel à la confiance en Dieu, au sein de ce monde qui avance si vite !

 

b. L’espérance

La foi, et l’espérance. L’espérance est une autre dimension fondamentale qui traverse toute la Bible, qui la fonde et qui l’oriente. Toute l’histoire humaine est exprimée dans la Bible, et chaque fois que la perte de foi des humains entraîne la catastrophe, la présence de Dieu ouvre un avenir.

C’est Dieu qui, après le déluge, promet que plus jamais la terre ne sera détruite. C’est Dieu qui, face à la tour de Babel, crée la diversité humaine. C’est Dieu qui, au cœur de l’esclavage en Egypte, conduit son peuple vers la liberté. C’est Dieu qui, à ceux qui sont en exil à Babylone, envoie le prophète Jérémie dire : « Je vais vous donner un avenir et une espérance » (Jérémie 31, 11). C’est Jésus qui, à tous ceux et toutes celles qu’il rencontre et qui sont écrasés par la vie, dit « lève-toi et marche », « retrouve la vue », « moi, je ne te condamne pas », « vis du pardon de Dieu », « réjouis-toi d’être aimé ». C’est le Christ qui, après la croix, n’est plus dans le tombeau et ouvre l’espace de l’espérance. C’est l’Esprit saint qui, à Pentecôte, alors que les disciples étaient encore enfermés sur eux-mêmes, leur ouvre les portes et les envoie témoigner de cette espérance dans toutes les langues, comme dans un récit d’anti-Babel.

Cela est exprimé dans la première Lettre de Jean : « Voici en quoi consiste l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés ; il a envoyé son Fils qui s'est offert en sacrifice pour le pardon de nos péchés. » Le mot « sacrifice » est daté, il s’inscrit dans la culture sacrificielle du judaïsme du temps de Jésus. Jean, par ces paroles, dit que la mort et la résurrection de Jésus ouvrent le temps du pardon, du don au-delà, de l’espérance. C’est un cadeau d’amour qui nous est fait, cela vient de Dieu.

Et c’est un envoi. C’est ce que Jésus exprime dans ses paroles à ses disciples dans l’évangile de Jean : « Je vous ai donné une mission afin que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure » (v. 16). Il va être arrêté et crucifié, il les envoie déjà porteurs du fruit de l’espérance.

Malgré nos craintes pour l’avenir, la foi se conjugue avec l’espérance que Dieu ne nous abandonne pas. Il y a un avenir et une espérance, comme dit le prophète Jérémie. Ce n’est pas une parole pour nous endormir, mais un appel pour nous réveiller, nous redresser, nous engager comme témoins d’espérance.

Appel à l’espérance en Dieu, au sein de ce monde qui avance si vite !

 

c. L’amour

La foi, l’espérance… et l’amour. L’amour don de Dieu, qui nous appelle à aimer. L’amour de Dieu si fort en nous qu’il infuse de nous, qu’il sort de nous, qu’il est contagieux. Amour agapé, volonté du cœur, engagement de vie, attention aux plus faibles, lutte pour la justice, résistance contre les forces de haine et de mort. La force d’aimer, comme disait Martin Luther King.

Ce n’est pas une option, un choix, une possibilité. C’est une nécessité ! Cet amour agapé est un commandement, nous disent les deux passages de ce jour : « Aimons-nous les uns les autres », dit la Lettre de Jean. « Ce que je vous commande, dit Jésus, c’est de vous aimer les uns les autres ». C’est un commandement. Les commandements, dans la Bible, sont des marques de foi : confiance en cette parole donnée pour notre joie. Ils sont des marques d’espérance : espérance d’un monde nouveau, renouvelé, éclairé par la présence de Dieu dans nos gestes et nos engagements. Ils sont des marques d’amour, déclinaison de cette volonté de mettre de la relation humaine là où il n’y en a plus.

« Maintenant, ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et l'amour », écrivait Paul aux Corinthiens. Il ajoutait : « mais la plus grande des trois est l'amour. » L’amour, force de la relation. La relation, finalement, c’est ce dont nous avons le plus besoin dans un monde où intelligence artificielle et réalité virtuelle se développent à la vitesse de l’éclair. Que le progrès technologique ne soit pas une finalité – celle de dépasser voire de remplacer l’humain – mais un moyen – celui de favoriser les relations entre les humains, pour un monde plus juste et solidaire.

Pour cela, il ne faut pas parler de foi, d’espérance et d’amour comme des mots creux, des formules vides, des vœux pieux, mais les vivre comme des forces vives. Car si nous croyons en Dieu, si nous croyons en Jésus-Christ, si nous croyons en l’Esprit saint, si nous leur faisons confiance, nous avons la force de construire de vraies relations, de les défendre, de les entretenir, de les reconstruire. Si nous mettons notre foi, notre espérance et notre amour en Dieu, si nous les recevons en Jésus-Christ, si nous les partageons dans l’Esprit saint, alors nous n’avons pas à craindre le monde qui vient. Nous avons la force de le traverser, de le lire, d’y construire les espaces de solidarité, de justice, de fraternité, de paix. Nous avons cette force, et nous avons le devoir de la mettre en œuvre.

C’est un commandement du Seigneur : aimez-vous les uns les autres. Alors, plus que jamais, aimons-nous les uns les autres !

Amen.