Le compte est bon — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Le compte est bon

Prédication epupl - Le compte est bon

Prédication du dimanche 12 décembre 2021, par le pasteur Christian Baccuet

Lecture : Luc 2, 1-14

 

Savez-vous compter ? C’est très important, dans notre monde, de compter. On fait des budgets, des statistiques, des comparaisons, des évaluations, des classements. On mesure nos richesses, nos biens, notre puissance. Et celui qui a plus compte plus que les autres. Cela est valable à l’échelle du monde, de nos sociétés, de nos vies. Il faut compter pour avoir le droit d’exister, il faut posséder pour montrer que l’on est quelqu’un, il faut avoir pour être. Et la peur s’empare vite de nous, peur de manquer, peur de devoir partager, peur que d’autres aient davantage que nous, peur de disparaître. Et le vide, souvent, nous apparaît. Car l’essentiel est ailleurs. La grande question existentielle est celle de savoir sur qui compter. Sur qui compter ? Cette question traverse la Bible, cette question croise le récit de la naissance de Jésus dans l’évangile de Luc.

 

1. César et le recensement

 

Le récit de la naissance de Jésus commence par un recensement. L’empereur romain, Auguste (qui a régné de 27 avant notre ère à 14 après), décide de compter toute la terre habitée. Il était courant dans l’antiquité que les rois fassent compter la population et les biens que les gens possédaient. C’était souvent pour pouvoir calculer les impôts et pour pouvoir recruter des personnes pour faire la guerre ou les forcer à effectuer des travaux. C’était une manière aussi de signifier leur autorité, leur puissance, le fait qu’ils étaient propriétaires de leur pays, de ses habitants et de leurs biens. L’empereur romain était considéré comme un dieu et contrôler la population de son empire est une manière de le montrer.

Parce que c’était l’occasion d’affirmer la toute-puissance du roi, les recensements n’étaient pas appréciés dans la Bible. Seul Dieu est en effet le maître de la terre. Aucun homme, aucun roi, aucun Etat ne peut prétendre prendre sa place. Le recensement, s’il est œuvre du roi qui se prend pour Dieu, est de l’ordre de l’impiété.

C’est un recensement que l’empereur romain met en place. Historiquement, on sait qu’il y a eu un recensement de la Judée en l’an 6 de notre ère, quand le légat romain de la province de Syrie était Publius Sulpicius Quirinius. Ce recensement a entraîné une révolte du peuple. Il est probable que Luc, en écrivant son évangile, évoque ce recensement en faisant une petite confusion de date, puisqu’il ne colle pas avec la date de naissance probable de Jésus, douze ans avant, en 6 avant notre ère. Mais peu importe la date exacte. Ce qui compte, c’est que ce recensement – ou un autre qui aurait eu lieu en 6 avant notre ère – est l’expression de la toute puissance de l’empereur romain.

Compter, dénombrer, ficher, contrôler est toujours la tentation du pouvoir. Aucun pouvoir humain n’y échappe. Il s’agit d’affirmer sa puissance, et les chiffres l’expriment. Amasser est comme se rassurer que l’on est puissant. Il n’y a pas que les chefs des peuples qui font cela. Tous nous sommes tentés par le fait d’amasser, de compter, de nous rassurer dans la possession de biens. Comme si nous devions compter sur nous-mêmes pour exister. Et notre société nous pousse à cela, qui nous dit que nous sommes valables si nous sommes jeunes, beaux, riches et performants, si nous pouvons compter nos qualités, nos diplômes, nos propriétés, nos particules, nos ancêtres ou nos cousins, nos relations. Et malheur si nous ne pouvons pas compter sur tout cela : nous ne comptons plus pour les autres. Compter, compter, compter… et c’est bien vide de sens, et bien fragile.

 

2. Je compte pour Dieu

 

L’empereur romain a beau vouloir tout posséder, tout compter, tout contrôler, quelque chose va lui échapper : la naissance d’un enfant, au fin fond de la Judée, dans l’étable d’une auberge du village de Bethléem. A l’opposé de la toute-puissance. Dans la discrétion et l’insignifiance. Et pourtant, cette naissance est un grand bouleversement. Elle réduit à néant la prétention de l’empereur. Il ne s’agit plus de compter pour amasser. Il s’agit de laisser l’essentiel advenir.

La naissance de Jésus, la présence de Dieu, le cœur de notre foi, c’est la mise à bas de cette prétention que nous avons de ne pouvoir compter que sur nous-mêmes. C’est accepter de se libérer de ce poids, à cause de ce cadeau que nous fait Dieu : nous comptons pour lui ! C’est le cœur de la foi chrétienne, telle que Luther l’a redécouverte : Dieu ne se trouve pas au bout de nos mérites, il vient à nous par pure grâce. Jésus ne naît pas à Rome chez l’empereur mais dans l’étable de Bethléem, et les premiers qui le voient sont des bergers modestes. La foi n’est pas une récompense mais un cadeau. Notre vie ne se justifie pas par ce que nous faisons, mais par le regard d’amour de Dieu sur nous. Luther a écrit que, si tu veux connaître Dieu, « mon cher, n’escalade pas le ciel ! Va d’abord à Bethléem ». Qui que tu sois, quels que soient ton parcours, tes questions, tes fragilités, tes erreurs, tes regrets, ta foi ou tes doutes, mon cher : va à Bethléem. Va à la source. Va à l’essentiel : tu comptes pour Dieu.

Et cela n’a pas de prix. Cela dépasse toute richesse, tout pouvoir. Dieu est plus grand que le pauvre empereur romain qui croit pouvoir tout compter. D’ailleurs, comme pour le dire dans un clin d’œil délicieux, Luc écrit qu’au moment où un ange – un messager de Dieu – annonce cela aux bergers, il se joint à lui une multitude d’autres messagers. Une « multitude », une foule innombrable. On ne peut même pas compter les messagers de Dieu, cela dépasse tout recensement, c’est d’un autre ordre. C’est plus fondamental.

Je compte pour Dieu. Compter pour Dieu, cela veut dire que l’on a du prix pour lui, de l’importance. Il nous connaît, il sait qui nous sommes. Pas pour nous surveiller et nous contrôler, mais pour être près de nous, attentif à nous, attentionné pour nous, dans la discrétion sans s’imposer, souvent en attendant patiemment que cela devienne pour nous une confiance vécue, une paix, une joie intérieure. La grâce de Dieu, c’est que nous comptons pour lui. La foi, c’est savoir cela et en vivre.

Cela résonne dans toute l’Ecriture. Du début, Abraham et Sara qui comptent pour Dieu et deviennent les ancêtres d’un nombre innombrable de croyants – plus ou moins croyants –, autant que les grains de sable au bord de la mer, autant que les étoiles dans le ciel : un nombre infini, fruit d’une bonté sans limite, qui ne compte pas avec des chiffres mais donne tout. Jusqu’à la fin, quand l’Apocalypse parle d’une « grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toutes tribus, de tous peuples et de toutes langues. Ils se tenaient devant le trône et devant l'agneau, vêtus de robes blanches, et des branches de palmiers à la main, et ils criaient : Le salut est à notre Dieu, qui est assis sur le trône, et à l'agneau ! » (Apocalypse 7, 9-10). Promesse infinie, pour tous et pour chacun, ainsi que l’annonce Esaïe dans ce magnifique verset : le Seigneur te déclare : « Tu as du prix à mes yeux, tu comptes beaucoup pour moi et je t'aime » (Esaïe 43, 4). Chacun de nous, ici dans ce temple, a du prix pour Dieu, compte infiniment à ses yeux, est aimé de lui. Bonne nouvelle !

 

3. Dieu compte sur nous

 

Oui, nous comptons pour Dieu. Et Dieu compte sur nous ! La naissance de Jésus est l’ouverture d’un temps nouveau, où le Christ nous dit que nous comptons pour Dieu, et va le montrer par ses paroles, ses actes, sa vie, sa mort et sa résurrection. Il va le signifier, et il va appeler des hommes et des femmes à le suivre, à devenir ses disciples. Hommes et femmes appelés personnellement, par leur nom, pour dire avec lui que, dans ce monde où l’on n’arrête pas de comptabiliser, ce qui compte vraiment est d’un autre ordre. Pour dire cela, Dieu compte sur nous. Il nous appelle à œuvrer avec lui. C’est notre vocation. Vocation à poursuivre l’action du Christ dans ce monde.

Car notre monde continue à vivre comme au temps de César Auguste. Les empires s’effondrent mais renaissent sans cesse, sur la terre comme au fond de nous-mêmes. Notre temps est douloureux, difficile, nos choix résonnent comme un défi urgent. Allons-nous continuer à compter ce que nous avons pour nous replier toujours davantage sur nous-mêmes, nous fermer aux autres ? Allons-nous sombrer dans la peur, la haine et la violence ? Allons-nous désigner des boucs-émissaires pour mieux croire en nous ? Allons-nous céder aux pulsions, aux mensonges, à la défiance généralisée ? Allons-nous continuer à détruire ? Ou allons-nous vivre de l’Evangile qui désamorce les peurs en regardant chacun comme une personne aimée de Dieu ?

Dietrich Bonhoeffer, pasteur et théologien allemand engagé dans la lutte contre le nazisme et qui l’a payé de sa vie – exécuté à l’âge de 39 ans –, écrivait qu’« entre moi et mon prochain, il y a le Christ »[1]. Regarder l’autre comme aimé par Dieu, comme comptant aussi pour Dieu, c’est agir pour un monde où chacun a sa place, où justice, partage, solidarité, paix ne sont pas des slogans mais des réalités. Le petit enfant que Marie et Joseph mettent au monde dans l’auberge de Bethléem et qu’annonce l’ange dans la nuit des bergers ouvre ce temps nouveau dans lequel nous sommes, ce temps de Dieu avec nous, ce temps où Dieu compte sur nous pour être témoins de lumière dans ce monde, témoins de sa lumière.

Ce n’est pas facile. Car le monde du pouvoir, de l’accumulation, de l’enfermement sur soi résiste autour de nous et en nous. Ce petit enfant va grandir et des adversaires chercheront à le faire taire, depuis Hérode qui fera massacrer les enfants pour être sûr que le bébé Jésus meure avec, en passant par les pharisiens, les scribes, les autorités de son pays qui chercheront à le coincer, jusqu’à son arrestation, son procès bâclé et sa mort sur la croix. Ce n’est pas facile. Mais c’est le chemin de l’espérance, qui s’épanouira dans la nuit de Pâques, au tombeau vide, dans la rencontre avec le ressuscité, par l’envoi jusqu’aux extrémités de la terre – jusqu’ici – pour faite vivre l’Evangile. Dieu compte sur nous pour cela. Dans ce temps de crise que nous traversons, cet appel nous bouscule et nous engage.

 

4. Nous pouvons compter sur Dieu

 

Le Christ compte sur nous pour que son Evangile soit force vive dans le monde. Ce n’est pas facile, mais c’est notre vocation. Et parce que c’est note vocation, le Seigneur qui nous appelle nous donne sa force. Nous comptons pour Dieu, Dieu compte sur nous… et nous pouvons compter sur Dieu. Nos engagements sont entre ses mains. Bonhoeffer a écrit que « l’intercession est, de tous les chemins qui mènent à l’autre, le plus riche de promesse »[2]. Prier, ce n’est croiser les bras, c’est ouvrir son cœur. C’est se rendre disponible à la force de Dieu.

Jésus, dans l’évangile de Jean, dit à ses disciples – à nous – : « Je vous le déclare, c'est la vérité : celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je vais auprès du Père. Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Fils manifeste la gloire du Père. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai. » (Jean 14, 12-14). Il ne parle bien sûr pas ici de demander à avoir toujours plus de biens, de puissance, de pouvoir, mais de poursuivre son œuvre de foi, d’espérance et d’amour. Dans la prière, nous pouvons demander cela, et le recevoir. Nous pouvons compter sur Dieu. Car la prière, c’est le lien entre Dieu et nous, entre notre écoute de sa Parole et notre engagement à sa suite, entre le ciel et la terre, comme chantent les anges : « Gloire à Dieu dans les cieux très hauts, et paix sur la terre pour ceux qu'il aime ! ».

 

5. Le compte est bon

 

Tu comptes pour Dieu. Chacun de nous compte pour Dieu. Chaque être humain sur cette terre compte pour Dieu. C’est la grâce.

Dieu compte sur toi. Dieu compte sur chacun de nous. Dieu compte sur chaque être humain sur cette terre. C’est notre vocation.

C’est pourquoi tu peux compter sur Dieu. C’est la foi, la confiance.

En lui cette paix nous libère de toutes nos craintes, angoisses, pressions. Elles ne disparaissent pas, mais sont remises à leur juste place. Fondamentalement, c’est en Christ que notre existence a du sens. Dans la présence d’un Dieu pour qui l’on compte et qui compte pour nous, on peut compter sur ce Dieu de relation et de confiance. Dieu qui nous fait confiance, nous donne confiance et nous invite à partager cette confiance.

Et cela, c’est bon. Oui, le compte est bon. Plein de bonté à recevoir et à partager.

Je vous invite à prier, avec une prière de Bonhoeffer :

« Tu veilles, compagnon de nos attentes,

toi, visiteur caché de notre vie.

Fais-nous entendre ta voix qui redresse

quand nous ployons sous le poids du malheur,

et ouvre l’horizon de la tendresse

si crainte et peur font dériver nos cœurs.

Que ta Parole fasse lever l’aurore

de notre humanité transfigurée,

et fasse éclore, en toutes nos opacités,

un souffle neuf chantant la joie d’aimer.

Sous nos pas fleuriront pour notre terre

Justice et paix, amour et vérité,

et de nos mains, des perles de lumière. »

 

Amen.

 

[1] Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire, Paris, Labor et Fides / Cerf, 1997, coll. « Foi vivante ».

[2] Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple (Le prix de la grâce), Genève, Labor et Fides, 2009, p. 78.