"Jésus, un homme renversant !" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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"Jésus, un homme renversant !"

Prédication par Lionel Thébaud, le dimanche 12 janvier 2020

Lectures bibliques : Esaïe 42, 1 à 7 ; Matthieu 3, 1 à 17

 

Jésus, un homme renversant!

En ce moment, vous le savez, on marche beaucoup à Paris, en raison des grèves de transports. Ce matin, pour venir ici, j'ai traversé le jardin des tuileries. Et je me suis retrouvé les deux pieds dans la boue. Je n'étais pas content, j'avais nettoyé mes chaussures pour le culte, et les voilà pleines de boue. Et ça m'a fait penser à cette petite histoire. C'est un homme qui va voir un maître spirituel.

- Maître, j'ai tout toute la bible, entièrement!

- Tu as traversé toute la bible?

- heu... oui j'ai traversé toute la bible.

- mais est-ce que la bible t'a traversé?

Je me suis dit que quand je suis traversé par la Parole, elle laisse des traces. Il n'est plus trop possible de rester dans les apparences quand elle nous marque. On a beau vouloir bien présenter, des fois, la Parole rend visible ce que nous sommes vraiment. Ça fait souvent mal, mais au fond, c'est bon pour nous.

Le texte du jour parle de ce moment si étrange où Jésus se fait baptiser par Jean, et vous allez peut-être voir, si je m'explique assez bien, que Jean le baptiseur, qui prêchait la Parole de Dieu, s'est fait renverser par Jésus : lui qui prêchait la conversion a dû se convertir.

1. Le baptême selon Jean le baptiseur

Jean le baptiseur est - selon les paroles mêmes de Jésus - le plus grand des prophètes. Et le plus grand des prophètes se sent tout petit à côté du messie. Jean le baptiseur voit en Jésus le messie l'homme providentiel dont j'ai déjà parlé. Il attend un juge. Dur et terrible. Il attend un homme qui n'aie rien à se reprocher. Et vous le savez tout autant que moi, quand nous pensons que nous n'avons rien à nous reprocher, nous sommes souvent impitoyables envers les gens qui fautent. Quand nous avons fait tous les efforts que nous estimions nécessaires pour rester droits, souvent nous traquons les erreurs des autres pour leur montrer qu'ils ne sont pas sur le bon chemin. Combien nous manquons de grâce quand nous nous sentons justes. C'est pourquoi les paroles de Jean sont si dures : il invective les Pharisiens et les Saducéens qui viennent se faire baptiser parce qu'il estime qu'ils ne sont pas sincères. Peut-être qu'il leur parle comme ça parce qu'il se sent supérieur à eux.

Jean annonçait, aux versets 11 et 12 : "Moi, je vous baptise avec de l'eau pour montrer que vous changez de comportement; mais celui qui vient après moi vous baptisera avec le Saint-Esprit et avec du feu. Il est plus puissant que moi: je ne suis même pas digne d'enlever ses chaussures. Il tient en sa main la pelle à vanner et séparera le grain de la paille. Il amassera son grain dans le grenier, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint jamais." Dans le passé, je comprenais ce passage sur le feu comme l'annonce de la promesse de l'enfer pour toute personne qui ne changerait pas de comportement. C'est terrible, je trouve, de comprendre ce passage comme ça. Jean savait que Jésus serait renversant. Il ne pensait pas qu'il allait lui-même être renversé.

Le baptême de Jean, c'est le baptême de la conversion. J'ai été injuste, je veux devenir juste, donc je me fais baptiser pour démontrer que je veux changer de comportement. Voilà ce qu'est le baptême de Jean le baptiseur. Concernant la conversion, les traductions hésitent et disent "changez de comportement" ou "repentez-vous". Changez de comportement, c'est l'appel des anciens prophètes. La conversion, dans le judaïsme ancien, c'est le fait de réparer le mal qu'on a fait, et de chercher à accomplir la justice. Tu as volé? Tu restitues. C'est la loi et les prophètes. Et c'est une bonne chose. Sauf que si on en reste là, on en vient à croire que nos œuvres sont déterminantes pour être aimés de Dieu. C'est horrible à entendre pour un protestant - est-ce que vous vous en rendez compte? C'est le problème avec "changez de comportement" : on risque de rester en surface, alors que Dieu nous appelle à la profondeur. Mais traduire par "repentez-vous" me semble pire, parce que ça nous charge d'une culpabilité. Et personnellement, je ne vois nulle part dans la Bible - mais je peux me tromper - une incitation à demander pardon pour quelque chose que nous aurions fait. Le pardon me semble non pas à demander, mais à recevoir et à donner. Il est donné gratuitement. En fait, metanoio, le terme grec ici que l'on traduit par "changez de comportement" ou par "repentez-vous", ne dit rien de tout cela. Ce terme exprime un changement de pensée, un changement de logique. Qui peut déboucher sur un changement de comportement bien sûr. La conversion est vraiment quelque chose de profond et d'intérieur. Le baptême de Jean est un baptême du volte-face, d'une prise de conscience : je ne suis pas à la hauteur de ce que Dieu attend de moi, je veux changer et je veux le montrer par mon baptême. C'est le baptême de la personne qui a le désir de faire mieux. Mais c'est le baptême de la personne qui croit que Dieu est si terrible qu'il ne peut pas l'aimer tant que son comportement n'a pas changé. C'est le baptême de la personne qui n'a pas fait l'expérience de la grâce de Dieu.

2. Jésus, un "autre" messie que ce qu'imaginait Jean?

Pourtant, la bible hébraïque donne des indices de ce que Dieu a en réserve pour nous. Le passage que nous avons lu dans le prophète Esaïe nous dit ceci à propos du messie (je vous fais subir ma propre traduction de l'hébreu. C'est moche, mais efficace) : "j'ai donné mon souffle sur lui, il fera sortir le droit pour les nations. Il ne criera pas et il n'élèvera pas la voix dans la rue. Il ne brisera pas le roseau écrasé et il n'éteindra pas la mèche affaiblie. Il fera véritablement sortir le droit. Il établira le droit dans le pays et les îles attendront ses enseignements [sa torah]." Vous avez entendu? Non seulement il n'est pas question ici d'un messie terrifiant, mais en plus il est 3 fois fait mention du droit. Le droit des personnes qui souffrent de l'injustice. C'est pourquoi la parole d'Esaïe continue : "Je t'ai formé pour faire de toi la lumière des nations, pour dessiller les yeux des aveugles, pour faire sortir le prisonnier du cachot et pour faire sortir les habitants de l'obscurité de la maison de captivité". Libération. Le droit qui libère. Le texte d'Esaïe nous présente un messie plein de grâce et de sensibilité, au point de ne pas blesser le roseau abîmé et de ne pas éteindre la flamme qui est fatiguée. Qui cherche à établir le droit pour les malheureux. En fait, quand Jean annonce qu'un autre que lui, plus grand que lui, viendra pour donner un baptême d'Esprit et de feu, j'ai l'impression qu'il ne comprend pas ce qu'il dit. Il ne s'agit pas selon moi du feu de l'enfer dans lequel seraient jeté·e·s les indignes du royaume. Car à ce titre, personne n'est digne, si on considère nos œuvres. Aucun être humain n'est assez juste. Nous faisons tous le mal, même si ce n'est que de temps en temps. Il s'agit d'un feu qui ne s'éteint pas et qui purifie nos êtres. Un feu qui - comme le feu du fondeur - enlève nos impuretés, avec le temps. C'est quelque chose qui se fait presque malgré nous. Nos efforts ne sont pas le moteur de ce changement. C'est le travail de Dieu. Il ne s'agit donc pas du tout de juger les êtres humains par rapport à leur comportement, jugement qui les destinerait au paradis ou à l'enfer, mais il s'agit de voir combien l'Esprit de Dieu est à l'œuvre en nous pour nous sanctifier. Il s'agit de voir combien, grâce à l'œuvre du Saint-Esprit, nous sommes meilleurs aujourd'hui que ce que nous étions. Ce n'est pas par nos propres efforts, mais c'est le don de Dieu. Et par conséquent, je ne peux pas juger mon prochain s'il n'est pas aussi parfait que moi... oups...

3. La conversion de Jean est attendue

Jean le Baptiseur est en train de donner le baptême à des gens qui font une démarche de conversion. Et voilà que le messie se présente à Jean et dit : "Baptise-moi. Accomplissons toute la justice." Jean ne comprend pas. Et nous non plus nous ne comprenons pas. Le messie a-t-il besoin de se convertir? N'est-il pas déjà engagé avec Dieu? N'est-il pas choisi? Il existe bien des théories sur les motivations de Jésus, mais je ne vais pas en parler aujourd'hui. Jean accepte de le baptiser. Et c'est à ce moment que Jésus reçoit l'Esprit qui lui permet d'exercer son ministère de messie. Voilà ce que le texte nous dit. Le texte ne dit pas trop comment Jean a réagi, mais on le sent un peu embêté. Il s'aperçoit que l'image qu'il se faisait du messie ne correspond pas à ce qu'il voit. Il est renversé. Il ne sait plus si ce type est vraiment le messie. Ce doute va subsister jusqu'en prison, où il enverra ses disciples demander à Jésus "es-tu le messie qui doit venir, ou bien devons-nous en attendre un autre?" Et que répond Jésus? "Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts reviennent à la vie et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres." Pour résumer : regarde, Jean : le droit avance pour les plus malheureux. Et tout de suite après Jésus dit ce truc à propos de Jean : il est le plus grand des prophètes. Mais vous savez quoi? Il ajoute ceci : "Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui". C'est renversant. Toi, qui que tu soies, parce que tu es chrétien, parce que tu es chrétienne, tu es plus grand ou plus grande que Jean le baptiseur, qui était le plus grand des prophètes. Cependant, tu ne sais pas - et moi non plus - ce que ça signifie, d'être plus grand que Jean. Ce n'est sans doute pas un sujet d'orgueil. Jésus renverse toutes nos conceptions de ce que doit être un messie. Il renverse toute nos conceptions de ce que doit être la justice. Il renverse nos conceptions de ce que c'est qu'être le plus grand, le premier, le plus important... C'est vraiment un homme renversant, et Jean est un peu paumé. On ne sait même pas si Jean a vaincu ses doutes à propos de Jésus. Quand on nous raconte la mort de Jean le baptiseur, on ne nous dit pas s'il continuait de croire que Jésus était le messie.

4. En quoi ces questionnements nous rejoignent

Jean avait une conception du salut et du rôle du messie qui était bien fixée dans sa tête. Et Jésus ne lui a pas dit qu'il avait tout faux. Nous, nous vivons avec nos schémas, avec nos cultures, avec nos idéologies. Nous avons nos opinions, politiques, économiques, théologiques, etc. Et Jésus ne nous dit pas que nous avons tout faux. Jésus se situe ailleurs. Toujours. Il est comme le grain de sable qui vient perturber les rouages d'un système de pensée trop bien huilé. Il est le doute qui s'installe dans nos certitudes mortifères. Il est ce principe de vie, cette petite graine qui pousse précisément là où nous voudrions qu'elle ne pousse pas, pour nous rappeler que l'essentiel se trouve ailleurs. Son intervention dans nos vies, dans nos cœurs, nous renverse.

Quand nous nous faisons baptiser, nous recevons une parole de la part de Dieu. Et nous nous approprions cette parole : "tu es mon fils bien aimé - tu es ma fille bien aimée". Nous assumons le fait d'avoir reçu le Saint-Esprit. D'une part celui-ci nous conduit dans une vie plus droite que celle que nous menions avant - attention, on ne devrait jamais se comparer aux autres, mais nous devrions nous comparer à ce que nous étions avant de nous engager avec Dieu. Ce n'est pas un concours, et nous ne sommes pas appelés à juger. Et d'autre part, il nous envoie dans une mission messianique. Nous constituons un peuple, et nous sommes chargés d'une mission, ensemble, en tant que corps de Christ. Une mission qui prolonge les actes de Jésus le messie. Nous sommes appelés à accomplir tout ce que Jésus n'a pas pu faire. Il a réglé la question du péché, du salut, de l'assurance de l'amour de Dieu pour nous. Il a vaincu la puissance de la mort. Nous, nous avons à faire émerger le droit pour les plus pauvres. A être témoins de l'amour de Dieu. Tout cela, la plupart d'entre nous le savons bien. D'ailleurs, vous êtes pour la plupart déjà investi·e·s dans des actions concrètes, et vous pouvez vous dire "je fais déjà ma part". Mais je rappelle que Jean le baptiseur prêchait la conversion et était actif pour le Royaume de Dieu, selon ses convictions, sans se rendre compte que lui-même avait besoin de se convertir. Nous sommes parfois tellement focalisés sur nos activités que nous oublions de nous convertir. Si le baptême a eu lieu une fois pour toutes, la conversion elle n'est jamais achevée, et toujours à renouveler. Et il est bon, parfois, de nous laisser renverser par Dieu. Notamment dans la manière dont nous nous rangeons aux côtés des plus méprisé·e·s. "Il ne casse pas le roseau déjà plié, il n'éteint pas la lampe qui faiblit." Ne cassons pas le roseau abîmé. N'éteignons pas la flammèche. Soyons remplis de l'Esprit et marchons à contre-courant de la logique de notre monde, qui valorise la compétition, la supériorité et l'écrasement des plus faibles. Ensemble, prenons l'appel de Dieu au sérieux et soyons, à l'image de Jésus, un peuple renversant!

 

 

Lionel Thébaud

Janvier 2020