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Quelle lampe, quelle huile, quel sommeil ?

Prédication du dimanche 12 novembre 2023, par Bertrand Dicale

 

« Quelle lampe, quelle huile, quel sommeil ? »

 

Prédication du dimanche 12 novembre 2023, par Bertrand Dicale

Lectures bibliques :

  • 1 Thessaloniciens 4, versets 13 à 18
  • Matthieu 25, versets 1 à 13

 

Dans notre culture chrétienne de langue française, nous avons l'habitude d'entendre parler de vierges folles et de vierges sages. L'écriture ne donne pas de définition précise de ce qu'est la folie mais on sait bien ce qu'est la sagesse. Le programme des lectures dans cette église et dans la plupart des églises chrétiennes de langue française est la Bible en 6 ans ; et la Bible en 6 ans nous propose aujourd'hui, avec les deux textes que nous venons d'entendre, un passage du livre des Proverbes, qui est transcrit sur la feuille de culte et qui nous décrit ce qu'est la sagesse. Cela nous aide à voir que ce texte de Matthieu n’évoque pas le manque de cette sagesse mais bien autre chose, comme nous allons le voir.

Car dans ce que nous venons de lire, on ne voit plus les mots de folie et de sagesse. Les traductions plus récentes conservent l'opposition entre ces deux tempéraments de jeunes filles mais avec d’autres expressions : dans la Bible en français courant que nous utilisons comme support de la plupart des prédications dans cette paroisse, on parle plus de vierges folles et de vierges sages, mais de jeunes filles imprévoyantes et de jeunes filles avisées.

Et cette histoire, dans un vocabulaire peut-être moins spectaculaire que dans nos vieux souvenirs, nous percute peut-être avec une force décuplée. Relire et méditer ce texte aujourd’hui dans cette traduction le dépouille de son aspect de conte moral, d’image d’Épinal parfumée à l'encens, qui est souvent ce que nous connaissons, pour la plupart d'entre nous depuis notre enfance.

Ce n'est pas par plaisir de corriger le travail de leurs prédécesseurs que les traducteurs modernes utilisent des termes moins stigmatisants que la folie opposée à la sagesse. Je ne rentrerai pas dans le détail philologique, mais il est clair qu'il y avait quelque chose de déplaisant à appeler systématiquement « vierge » toute jeune fille qui n’était pas encore mère ou en charge d'un foyer.

Et donc si parlons aujourd'hui de jeunes filles avisées, il ne s'agit pas seulement de la volonté de ne pas stigmatiser les anciennes vierges folles désormais appelées jeunes filles imprévoyantes, pas uniquement par souci d'une douceur d'expression qui aurait été recommandée par un collège de psychologues de la jeunesse, mais surtout parce que la jeune fille raisonnable n'est pas seulement une figure beaucoup plus contemporaine, c'est aussi un personnage de nos propres vies.

En parlant d'une cérémonie de mariage, le Christ évoque à la fois un moment extrêmement important de l'existence de chacun de ses contemporains, et un événement quotidien, très facilement visualisable par ses auditeurs, et même par nous qui n'avons guère de renseignements sur le détail du déroulement des mariages à cette époque.

D’ailleurs, avec les lectures du jour, nous sommes en pleine actualité spirituelle du Ier siècle, puisque ces dix jeunes filles de Matthieu rencontrent un texte du Nouveau Testament presque exotique dans son propos : le récit concret du retour du Christ tel qu’il doit survenir très bientôt, dans la Première Épître aux Thessaloniciens.

La première épître de Paul aux Thessaloniciens est le premier texte que l'on possède de lui et donc par conséquent le plus ancien texte du Nouveau Testament, écrit en 51 à Corinthe. Paul est plutôt joyeux quand il s'adresse à la communauté de Thessalonique qu’il a quittée quelques mois plus tôt et dont il sait qu'elle est en pleine santé. Il répond à une question des Thessaloniciens : que se passera-t-il quand reviendra le Christ, puisque le Christ a annoncé son retour, une vingtaine d’années plus tôt ? C’est un point théologique presque pratique : Paul déploie un scénario, tout à fait en cohérence avec d’autres textes, comme dans sa première épître aux Corinthiens (écrite quatre ou cinq ans plus tard, en 55-56), au chapitre 15 – au verset 22 : « comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ » ; au verset 52 : « nous ne mourrons pas tous mais tous seront changés ».

D’un texte à l’autre, on voit une franche évolution dans l'histoire de la foi : Paul et ses amis Thessaloniciens ou Corinthiens sont convaincus qu'ils verront de leur vivant le retour du Christ. Mais le rédacteur de l'évangile de Matthieu, une trentaine d’années plus tard, se place dans une perspective moins immédiate. Son attention se porte moins sur le scénario de la montée au ciel des uns ou des autres mais sur l'Église – oui, l'Église que personnifient les dix jeunes filles.

Ce passage de Matthieu vient après une série d’exhortations à se tenir prêt pour son retour. Au chapitre 24, il dit « Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne le sait » ; il dit aussi « Car, comme l'éclair part de l'orient et se montre jusqu'en occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme » ; et le Christ fait entendre d'autres avertissements quant à la vigilance et aux signes cataclysmiques avant-coureurs de son retour.

Et donc, ici, il ne s'agit pas de raconter l'histoire de cinq jeunes filles qui croient et de cinq jeunes filles qui ne croient pas, de cinq jeunes filles qui attendent l’époux et de cinq autres qui ne l'attendent pas. Non : les dix jeunes filles sont sur un pied d'égalité dans leur position de départ par rapport à l'époux et – on peut le croire – dans l'amour qu'elles lui portent. Ce qui les distingue, c'est leur personnalité.

Si, une fois encore, on se débarbouille des deux qualificatifs de « folles » et de « sages », on ne voit plus que la distinction entre deux tempéraments, deux manières de vivre, deux attitudes face au futur, deux manières d'espérer. Deux manières d'espérer.

Cette parabole nous parle moins du temps de la prédication de Jésus – le moment où il est censé prononcer ces paroles – que de ce qui survient des années après sa Passion, quand l'église a déjà commencé à fonctionner et se pose des questions d’avenir.

Quand s’écrit l'évangile de Matthieu, nous n’en sommes plus à une époque qui peut croire imminent le retour du Christ. Peut-être la majorité des fidèles dans cette église primitive sont-ils installés dans la même espérance que nous, dans notre vingt-et-unième siècle, quelques années avant que l’on compte 2000 ans depuis la mort du Christ sur la croix. Dans cette espérance, le Christ reviendra, mais sans doute pas de notre vivant. Instruits par l'expérience de milliards de chrétiens depuis des centaines de générations, nous pouvons penser que nous mourrons, vous et moi, avant le retour du Christ parmi nous. Et c'est en cela que le texte de l'évangile nous parle – immédiatement, à chacun et à tous à la fois, dans cette paroisse, dans notre Église protestante unie de France, dans toutes les dénominations à la surface de la terre. Ce texte discute de l'attitude à observer quant à cette attente de la parousie, du règne, du royaume, de la fin des temps, de la seconde Jérusalem...

Ces jeunes filles ne sont pas différentes de vous et moi – je dis cela à ceux qui, dans ce temple, n'ont pas l'air de jeunes filles –, elles ne sont pas différentes de nous tous : elles se préparent à la venue de l'époux c'est-à-dire du Christ. Les jeunes filles avisées ont envisagé que la promesse serait accomplie et avaient rempli leur lampe. Cela ne veut pas dire qu'elles aimaient plus l'époux, qu’elles étaient plus impatientes, qu’elles lui étaient plus fidèles – non, seulement plus avisées. Nulle part le texte, dans cette traduction comme dans les traductions antérieures, ne nous dit que certaines aimaient plus l'époux que les autres, ni qu'elles étaient plus désireuses de le voir. Et d'ailleurs, elles s'endorment aussi, ces jeunes filles avisées.

Car le plus souvent, en lisant ce texte, on ne remarque pas cet événement extrêmement important : les jeunes filles s'endorment toutes. Les imprévoyantes et les avisées, les folles et les sages. Et si nous conservons cette appellation de vierges sages, c'est même plus troublant encore : il faut croire que la sagesse ne demande pas de veiller, d'attendre toute la nuit ; que la sagesse n’empêche pas de trouver le temps long, que la sagesse permet de céder au sommeil.

Donc, toutes les jeunes filles attendant l'époux pour la fête se sont endormies, c'est-à-dire toute l'Église. Et le Christ ne le leur reproche pas. La nuit avançait et l'église a pris sommeil ; le temps était bien long et l'église s'est assoupie. Mais vous le savez, vous qui avez attendu vos parents un soir dans votre enfance et n’avez pu veiller jusqu'à leur retour ; vous le savez qui avez attendu un adolescent qui devait rentrer à minuit et vous assure au matin qu'il est rentré à minuit cinq et que vous dormiez déjà ; vous le savez, vous qui étiez si impatient qu'arrive l'être aimé, qui vous a trouvé assoupi sur le canapé devant un film idiot ; vous le savez, s'endormir en attendant l'objet de son amour ne veut pas dire qu'on ne l'aime pas. Cela nous révèle quelque chose sur la physiologie du sommeil peut-être, mais cela veut plus en dire plus sur ce qui, en nous, permet au sommeil de venir malgré l’attente.

Le sommeil des dix jeunes filles nous parle aussi de la puissance de la quiétude face à l'inquiétude, de la puissance de la sérénité face à l’angoisse, de la puissance de la confiance face au sentiment d’abandon. Je parle à l'instant de l'enfant, du parent, de l'amoureuse ou de l'amoureux : on s'endort parce qu’on sait que le parent rentrera, que l'adolescent est finalement raisonnable, que l'amour a besoin de son nid ; on s'endort, parce qu’on n'a pas peur et parfois même pour raccourcir le temps. S'endormir, alors, c'est aussi aimer, c'est aussi manifester une forme singulière de confiance.

Alors, le Christ conclut pourtant sa parabole par ces mots : « Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l’heure ». Paradoxe : veiller, mais sans que dormir vous soit reproché ; car la lumière a veillé à la place des jeunes filles – est-ce que je dois rappeler qu’une veilleuse, dans notre langue, c’est une lampe ? Veiller, c’est aussi attendre quand l’on dort – c’est-à-dire ne pas compter sur sa seule agitation, et accepter que l’on puisse ne rien faire.

 

Un détail, au passage : le réveil des jeunes filles. Je cite : « À minuit, un cri se fit entendre ». Quelqu'un veillait. On ne sait de qui il s’agit : un gardien de la ville sur les remparts, un serviteur à la porte de la maison, un ivrogne qui dormait dans la rue et qui a été réveillé par l'arrivée de l'époux. On ne sait pas et ce n'est sans doute pas un hasard si le texte de l'évangile ne le précise pas. La parabole dit que nous serons avertis, qu'il se trouvera toujours une voix, un signe, une trompette, une alarme, que sais-je, pour nous dire que le Christ arrive.

C'est intéressant, cette trouvaille narrative : vous pouvez vous endormir malgré votre impatience ; il y aura toujours un guetteur pour vous réveiller. Et c’est aussi une promesse faite à l’Église.

On entend alors un écho de l’extrait du Psaume 127 que vous avez aussi sur la feuille de culte : « C'est en vain, vous aussi, que vous vous levez tôt, que vous vous couchez tard et que vous peinez à gagner votre pain. Le Seigneur en donne autant à ses bien-aimés pendant qu'ils dorment. » Ce n’est pas une incitation à ne rien faire, mais une exhortation à une quiétude prévoyante, à une sorte d’attente active – avoir de l’huile dans sa lampe.

L’huile de la lampe est une métaphore à usage multiple dans la culture biblique. Dans plusieurs passages de l’Ancien Testament, ce sont les œuvres pieuses, le savoir, l’onction messianique, la sagesse telle qu’elle est définie dans les Proverbes... Mais, ici, ce qui manque aux jeunes filles imprévoyantes, c’est d’avoir dans leur lampe, et avoir à côté de leur lampe, dans une fiole, une bouteille, que sais-je, de l’huile pour éclairer la nuit lorsqu’elles dorment, pour tout éclairer lorsque l’on annonce l’arrivée du marié, pour éclairer aussi la salle des noces…

Ce passage de l’évangile n’est pas un récit à prendre du point de vue moral. Parce qu’on peut évidemment être gêné par le sort fait aux jeunes filles imprévoyantes – on leur refuse un partage de l’huile, on les envoie chez le marchand en pleine nuit, on leur ferme la porte lorsqu’elles reviennent avec leurs lampes remplies… On a connu, ailleurs, des théologies dans lesquelles cette sorte de châtiment était valorisé comme une justice imposée aux vierges folles – et à toutes les vierges folles dans notre société. Et la vierge folle devenait un épouvantail commode pour les décrets du patriarcat, ce qui n’est pas tenir compte du fait que beaucoup de messieurs d’âge mûr peuvent aussi être des vierges folles.

La jeune fille imprévoyante, tout simplement, n’a pas stocké ce qui était nécessaire à la réception de l’époux, ce que le Christ prescrit à son église, et dont on ne sait si on doit plus l’appeler amour, ou esprit saint, ou espérance – en tout cas, tout ce qui rend possible la rencontre avec le Seigneur.

Les jeunes filles avisées, ou raisonnables – c’est-à-dire animées de la raison du Christ – ne sont pas accaparées ailleurs quand l’époux arrive, par exemple chez le marchand d’huile ; elles ne comptent pas sur l’huile des autres ; elles sont prêtes à entrer dans la salle où a lieu la fête, dès qu’un cri dans la nuit les avertit.

Je ne sais pas si ce texte nous invite à réfléchir à notre propre mort ou au retour du Christ parmi les hommes. Je ne sais pas s’il s’adresse d’abord à chacun d’entre nous au singulier ou d’abord au pluriel de l’église ; mais il nous dit surtout que l’enjeu n’est pas forcément de faire, d’accomplir des prodiges de veille – il est licite de s’endormir, répétons-le –, mais de se préparer pour l’arrivée de l’époux, qui viendra n’importe quand. Et ce qui y prépare, c’est la foi.

Veiller, sa lampe allumée, même en s’endormant, pourvu que l’on dispose d’assez d’huile, que cette réserve soit toujours renouvelée. Et le dernier verset éclaire tout : « Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l’heure ».

Cela veut dire aimer, espérer, ne pas perdre confiance dans la venue du Seigneur – qui d’ailleurs viendra par surprise, dans la nuit, quand nous serons assoupis. Un message qui invite à prévoir, à être avisé ; mais aussi un message rassurant pour les jeunes filles imprévoyantes.

Parce qu’il leur suffit de prévoir ; il leur suffit de se prémunir ; il leur suffit de ne pas se priver de l’amour du Christ, qui emplit toujours la lampe et sa réserve ; il leur suffit de ne pas perdre leur temps à toquer à des portes de marchands d’huile, en pleine nuit, affolées par l’imminence de la rencontre avec Dieu ; il leur suffit de ne pas oublier l’exhortation du Seigneur : veiller ; veiller dans l’amour et la confiance.

Et il n’y a rien d’aussi rassurant que de savoir que l’on peut se tenir prêt.

Amen.