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Oh oui, lave-moi les pieds : les bonnes résolutions de la rentrée !

Prédication du dimanche 7 septembre, par Natacha T.

 

« Oh oui, lave-moi les pieds : les bonnes résolutions de la rentrée ! »

Prédication du dimanche 7 septembre, par Natacha T.

 

Lecture biblique : Jean 13, versets 1 à 17

 

Bien que certaines églises proposent de vivre le soir du jeudi saint le rite du lavement des pieds, la plupart des traditions issues de la Réforme ont abandonné cette pratique, ainsi décrite par Jean Calvin dans son Commentaire sur l’Evangile de Jean :

tous les ans ils auront une manière de faire, qu’ils lavent les pieds à quelques gens, comme s’ils jouaient une farce sur des échafauds. Ainsi quand ils ont usé de cette cérémonie vaine et folle, ils pensent s’être bien acquittés ; et ayant fait cela, ils baillent congé de ne plus tenir compte de leurs frères tout le reste de l’an. Il y a bien pis ; car après avoir lavé les pieds à 12 hommes, ils déchirent ensuite cruellement tous les membres du fils de Dieu, voire crachent contre la face du Christ même. Pour cette raison tout cet appareil de bâteleurs n’est rien d’autres qu’une vilaine moquerie du Christ. Ainsi, le Christ ne nous commande point une cérémonie qui se fasse tous les ans, mais il veut que nous soyons appareillés à toutes les heures et tout le temps de notre vie, à laver les pieds de nos frères et de nos prochains.[1]

 

C’est parce qu’effectivement le lavement des pieds est appelé à être une réalité de tous les instants dans nos existences que nous nous y intéresserons en ce premier dimanche de la nouvelle année scolaire, temps marqué pour beaucoup d’entre nous par la reprise de nos engagements divers et variés après la pause estivale ou bien un investissement dans de nouveaux projets, souvent accompagné de bonnes résolutions censées marquer un nouveau commencement pour les temps à venir.

 

Pour comprendre le sens de cet épisode, transportons-nous un instant à Jérusalem et relisons l’évènement, tel qu’il a pu se dérouler. Nous sommes le soir de la Cène, la veille de la crucifixion de Jésus. La nuit est tombée.

Jésus se trouve avec les apôtres dans une chambre haute, que la tradition localise au premier étage du Cénacle, bâtiment méditerranéen sis sur le mont Sion. Bien que probablement éclairée par des lampes à huile, la pièce devait être assez sombre.

Assis autour d’une grande table, Jésus et les disciples partagent le repas traditionnel de la Pâque juive, comprenant du pain azyme, de la viande d’agneau et des herbes amères, ainsi que des coupes de vin.

 

Alors que le repas a débuté, soudain, Jésus se lève, enlève ses vêtements, prend un linge qu’il noue autour de ses reins, s’empare d’un bassin, probablement en terre cuite, y verse de l’eau, venant sans doute d’une cruche posée sur la table.

 

Se saisissant du récipient, Jésus s’avance vers les disciples, qui s’interrogent peut-être sur la suite des évènements. Devant un premier disciple, Jésus s’agenouille, pose le récipient sur le sol, procède au lavement des pieds, avant de les essuyer avec le linge porté à sa ceinture. Ensuite, il refait ce même geste devant chacun. Tous se laissent laver sans protestations ouvertes sauf Pierre, qui exprime ouvertement son trouble.

 

Jean est l’unique évangéliste à relater le lavement des pieds, Marc, Luc et Matthieu ayant retenu l’autre geste accompli par Jésus dans les mêmes circonstances, celui que nous appelons communément la Cène. Le lavement des pieds tel que le pratiqua Jésus et que le vécurent les disciples est stupéfiant.

 

 

Once the story is told together with a  a vision of communion, a new liberating common memory of the past is shared.

This leads to an open ecclesial identity, formed by an identified heritage, and a vector of consensus. Legitimate differences can then be worked out.

 

 

Dans la Palestine des premiers siècles, où les routes goudronnées n’existaient pas, il était courant de se déplacer en marchant avec des sandales ouvertes sur des chemins poussiéreux et sales, sous une chaleur étouffante. Du fait de l’ouverture des chaussures, les pieds devenaient facilement crasseux, et les gens se blessaient assez facilement, les sandales n’étant pas très protectrices.

Aussi, après être parvenu à destination, il était courant de se laver immédiatement les pieds souillés par le contact avec le sol. Cette pratique relevait également des actes purificatoires devant être accomplis par les prêtres, ainsi que par les pèlerins visitant le temple de Jérusalem.[2]

Mais au-delà de toute considération hygiénique ou rituelle, la première marque d’hospitalité qu’un hôte manifestait à un arrivant était de lui proposer un bassin et de l’eau. Le service du lavement des pieds était accompli par les esclaves, si l’accueillant en possédait.  La réalisation de ce geste comme marque suprême de bienvenue est relatée dans divers épisodes bibliques,[3] en particulier la réception réservée par Abraham en Genèse 18 aux trois messagers de Dieu qui parvinrent auprès de lui à Mambré.[4]

Les églises orientales qualifient cet épisode de « Philoxénie d’Abraham », ou en d’autres mots d’amour de l’étranger. Il est souvent opposé à la xénophobie des gens de Sodome, décrite plus loin dans le même livre.[5] Là où en pleine journée, Abraham lave les pieds des envoyés divins et leur propose un repas, la nuit, les habitants de Sodome veulent fracasser des portes pour violer des étrangers.

 

Par deux fois, dans le Nouveau Testament, Jésus comparera à Sodome et Gomorrhe les villes refusant la visite de Dieu, en le refusant, lui.[6] C’est également dans le Nouveau Testament qu’est racontée une scène où les pieds de Jésus sont lavés plusieurs fois avec des pleurs et de l’huile par une femme à la moralité douteuse.[7]

Si la pratique du lavement des pieds n’était donc pas une nouveauté apportée par Jésus, le fait de l’effectuer au milieu du repas constitue une innovation et interroge, car les pieds des Apôtres n’étaient certainement pas sales. Conformément aux rituels juifs, ils avaient dû prendre un bain avant le repas et accomplir les ablussions rituelles.

Le geste du lavement des pieds correspond en réalité à une révolution silencieuse. Le ton choisi par Jean est solennel, presque liturgique. Il nous relate un geste accompli par Jésus dans le plus grand silence, laissant la parole de Dieu s’exprimer puissamment dans le langage non verbal de son fils. Sous nos yeux éberlués, peu avant sa mort, Jésus, ôte ses vêtements et se découvre, s’offrant soudain à notre regard dans un moment de tension extrême. Sa nudité « s’expose jusqu’à l’épanchement », selon les mots du philosophe Emmanuel Levinas, révélant « une vulnérabilité s’épuisant comme une hémorragie ».[8]

Alors que les vêtements que nous portons sont un symbole de notre statut social, voire un vecteur d’identité, selon le proverbe « l’habit fait l’homme », le déshabillage christique, parfois qualifié de « strip tease » théologique, consiste en un acte totalement subversif et hautement politique d’après le théologien anglican Kenneth Leech, renversant complètement les hiérarchies strictes régissant le judaïsme, et nous contraignant à voir ce que nous refusons habituellement de voir.[9]  

 

Le Jésus qui se révèle à nous sans ses vêtements peu avant sa mort est celui qui fut le prophète d’une prédication radicale, détournant des chemins balisés, de la douce tonalité ambiante des pensées conformes. Ce Dieu, ayant fait sienne notre aventure humaine, insoumis aux puissants, aux biens pensants et aux donneurs de leçons, qui, avant sa fin prochaine, se débarrasse de ses oripeaux, libère la foi de ce qui la rend obscure, repoussante et inaccessible.

Au travers de ce corps dévêtu, c’est toute la réalité de l’Incarnation qui est offerte à notre contemplation. Le Dieu qu’il nous est donné à voir par son fils dénudé n’est pas le Dieu de l’omniscience et de l’omnipotence, puissance tutélaire surplombant le monde depuis des hauteurs inaccessibles pour y intervenir quand bon lui semble, mais le Dieu avec nous des Evangiles, qui nous a rejoint et aimé jusqu’au bout, après avoir durant sa vie brisé les chaines de l’exclusion et en ayant touché les lépreux, les malades, les morts.

 Après avoir partagé plusieurs fois la stigmatisation de ceux mis au ban de la société du fait de leur impureté, il n’est pas neutre que Jésus touche avec ses mains les pieds de ses compagnons, peu avant de les quitter.  

Tant les mains que les pieds sont des parties du corps exprimant particulièrement notre humanité et caractérisant notre identité. Le plus souvent, c’est au moyen de nos mains que nous entrons en contact avec l’autre. Ce sont les mains qui accueillent la vie, en recevant le nouveau-né émergeant du ventre de sa mère.

Avec nos pieds, nous touchons la création dont nous sommes issus, nous nous tenons debout, marchons, ressentons la fatigue, la douleur d’un chemin long ou éprouvant, la difficulté d’avancer sur une terre où ne manquent pas les cailloux, les escarpements, les fossés, les obstacles à nos marches d’humains.   

Depuis la légende grecque d’Achille, traditionnellement, les pieds sont réputés être l’endroit le plus vulnérable de notre corps, notamment les talons, considérés par les Gnostiques comme le siège du démon.

 

 En lavant les pieds de ses disciples avec ses mains, Jésus touche leur être entier. Il accueille et prend en charge leur humanité, les lave de la poussière qu'ils ont accumulée en traversant l'existence, touche leurs blessures délicatement, les soigne, les restaure pour qu'ils puissent reprendre la route, libérés pour de nouveaux horizons, sur des chemins jamais empruntés auparavant.

De plus, Jésus a renversé la pratique habituelle du lavement des pieds en accomplissant lui-même un geste réservé aux esclaves, avec une gestuelle significative, alors qu’il était en position d’autorité. En effet, c’est agenouillé devant chaque disciple que Jésus pratiqua le lavement des pieds. Il s’est abaissé vers chacun d’eux et non pas baissé ou penché. S'abaisser est de l'ordre de l'amour et diffère du geste de se baisser ou de se pencher, qui situent la relation dans un jeu de pouvoir.

 

L'amour ne demande ni de se pencher sur l'autre, ni de se rabaisser devant lui, mais plutôt de s'abaisser à son niveau, pour le servir et l’aimer, non seulement dans ce qu'il a de beau, de fort, mais aussi et principalement au cœur de sa fragilité. Déconstruisant la hiérarchie fondatrice d’un Dieu tout puissant régnant en maitre, le lavement des pieds introduit les disciples dans une nouvelle relation avec lui, ayant pour effet de briser tout modèle de subordination.

 

 

En s’abaissant, Jésus élève les disciples pour leur donner part avec lui, comme il le dira autrement plus tard : « je ne vous appelle plus serviteurs mais amis.  »[10] Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, mais l’ami sait ce que fait son ami.

 

C’est un autre monde que Jésus ouvre, une autre manière avec l’autre qu’il scelle par un amour n’élevant personne au-dessus de quiconque, mais inscrivant tous et toutes dans une destinée nouvelle inconditionnellement offerte, se nourrissant de la reconnaissance partagée de la grandeur de l’autre.

 

Au-delà des disciples, c’est devant chacun de nous que Jésus s’est abaissé le Jeudi Saint, pour nous élever, comme il a élevé les disciples, pour nous inviter à nous laisser aimer par Lui, mais aussi à aimer inconditionnellement comme Lui, au travers de l’injonction de répétition de son geste, répétée deux fois.[11] A la différence de l’action eucharistique effectuée « en mémoire de », il ne s’agit pas de reproduire un geste ponctuellement, mais de suivre un exemple dans la permanence de nos vies.

 

Prise au pied de la lettre, il y a quelque chose d’incongru, voire d’insupportable dans cette demande christique, pouvant nous renvoyer à nos habilités défaillantes ou au ridicule de l’image de nous-même avec une bassine à la main dans tous les gestes de notre quotidien. Il n’est guère plus aisé d’accepter d‘imaginer l’autre à genoux devant nous, nous rendant humblement service. Quelque part nous sommes tous et toutes comme Pierre, qui a réagi violemment au geste de Jésus, impliquant pour lui de se laisser toucher dans ses vulnérabilités, tout en étant mis en face de son impuissance à se sauver et se guérir lui-même.

Et pourtant, même si nous portons des chaussures plutôt que des sandales et voyageons autrement qu’à pied, à l’orée de cette année scolaire qui débute, le lavement des pieds raconté par Jean ouvre pour nous la porte des temps nouveaux. A la lumière de l’amour de Dieu nous rendant pleinement vivants, il annonce et réalise le cadre de nos engagements individuels et collectifs, de nos actions, de notre humanité en Christ même.

 

Il ne s’agit nullement de faire dans la démesure, ni de nous engager dans une compétition quelconque, ni même de faire preuve d’une humilité de mauvais aloi, parce que fausse. Il n’est pas non plus question de faire davantage. Le sujet est plutôt d’opérer différemment, et de nous interroger sur la manière dont nous recevons notre humanité : être ou ne pas être, comme disait Shakespeare.[12]

 

Comment pouvons-nous être ? La mystique catholique espagnole Thérèse d’Avila aurait eu les paroles suivantes :

Le Christ n’a pas d’autre corps sur terre que le vôtre, ni d’autres mains que les vôtres, ni d’autres pieds que les vôtres. C’est par vos yeux que s’exprime la compassion du Christ pour le monde ; par vos pieds qu’il s’en va faire le bien ; par vos mains qu’il va bénir aujourd’hui l’humanité.[13]

 

Nous laver les pieds les uns et autres implique trois étapes. Tout d’abord, il s’agit d’aller au-devant de l’autre avec nos pieds, d’aventurer nos vies sans limites avec Dieu dans son monde dans lequel il nous a envoyé. Ensuite, il nous faut avec nos yeux accepter de regarder les pieds de l’autre, chargés de poussière, blessés par les cailloux du chemin, sans détourner le regard, mais aussi nous laisser regarder par cet autre, tels que nous sommes. Enfin, la dernière étape, qui n’est la plus simple, consiste à abolir par le toucher la distance que le regard permet de maintenir et à nous laisser toucher par ce que nous recevons de cet autre.

 

 

Alors, en ce premier dimanche de l’année 2025-2026, dans un contexte incertain, dans un monde où les apparences se font pressantes, que le geste du lavement des pieds nous aide à nous rappeler d’être, toujours et d’aimer, pleinement. Qu’il nous garde ouverts au oui sans réserve que Dieu nous a adressé inconditionnellement.

Amen.

 

 

 

 

 

 

[1] J. CALVIN, Commentaire sur l’Evangile de Jean, II, Genève, Labor et Fides, 1968, p.281

[2] Ex 30, 18-21

[3] Gn 43, 24 ; Gn 24, 32 ; JG 19, 21

[4] Gn 18, 1-5

[5] Gn 19, 1-9

[6] Mt 10, 15 ; Mt 11, 23-24

[7] Lc 7, 36-50

[8] E. LEVINAS, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Martinus Nijinhoff, 1974, p. 91

[9] K. LEECH, We preach the Crucified Christ, New York, Church House Publishing, 2005, p. 49.

[10] Jn 15, 15 ; 

[11] Jn 13, 14-15

[12] W. SHAKEASPEARE, Hamlet, Acte III, scène 1

[13] Cité par Th. RADCLIFFE, Enracinés et fondés en Christ, affermis dans la foi (Col 2,7), Taizé, 2010, p. 1