La bourse ou la vie
La bourse ou la vie
Prédication du dimanche 21 septembre 2025, par Loup Cornut
Lecture biblique : Luc 16, versets 1 à 13
« Taxer les riches », « abolition des privilèges », « la taxe Zucman, vite ! » « Trouer les poches des riches pour boucher le trou de la Sécu »… Voilà quelques-uns des slogans vus dans les manifestations de ce jeudi. Les riches, ou supposés comme tels, semblent être pointés du doigts comme des égoïstes qui refuseraient de participer à l’effort commun pour garantir le mot « fraternité » auquel notre devise républicaine est attachée. Et, comme le hasard n’existe pas, il est aussi question de riche dans le texte que nous partageons aujourd’hui. Il n’a pas l’air très recommandable d’ailleurs, lui non plus…
Dans notre récit de ce jour, un intendant est accusé de mauvaise gestion. On ne sait pas par qui, le récit ne le dit pas. Nous savons d’ailleurs que ce n’est pas son maitre qui l’accuse. Celui-ci a entendu dire que son intendant n’était pas honnête et il le convoque pour des explications.
Nous ne disposons pas du dialogue entre ces deux hommes, signe que l’importance de l’enseignement de Jésus ne se situe pas là. Nous apprenons, par-contre, la réaction de l’intendant. Il sait qu’il va perdre son poste. Il sait aussi qu’il ne se sent pas la force de devenir à son tour producteur et il se refuse à mendier. Il lui faut donc chercher un moyen de subsistance pour le moment où il ne travaillera plus pour le maitre.
Pour bien comprendre le personnage, il faut s’attarder sur les quantités que les différents débiteurs doivent au maitre de l’intendant. Les quantités sont astronomiques ! Il est question, par exemple de plus de 2000 litres d’huile ! On le voit, ce ne sont pas de « petites » créances.
Mais, à cette époque, l’intendant était une sorte d’intermédiaire entre le maitre et les débiteurs. Il n’était pas payé par le maitre pour faire fonctionner le domaine qui lui était confié. Non, son salaire consistait dans la commission qu’il percevait sur les transactions. Il percevait une somme sur l’argent qui était versé au maitre, par les débiteurs. Un peu comme un agent immobilier aujourd’hui, qui prend une commission sur les biens qu’il vend, constituant ainsi ce qui sera son « salaire ». Et, dans notre cas, au vu des énormes quantités en jeux, le montant des commissions perçues par l’intendant devait être très élevé. Nous avons donc affaire à un intendant riche.
Le « riche » est une sorte de repoussoir dans la rhétorique de Luc. Depuis plusieurs chapitres, au travers de différentes paraboles, il épingle ce personnage qui revêt pour lui bien des tares. Le riche est celui qui est empêché d’accéder au royaume des cieux à cause de ses richesses. Il est celui qui ne pourra pas devenir un disciple non plus. Luc l’a évoqué quelques chapitres plus tôt et à différentes occasions. Pour avoir une chance de s’approcher de Dieu, de suivre Jésus, il faut renoncer à ses richesses. Cette thématique sera à nouveau abordée par Jésus un peu plus loin, au chapitre 18. Le texte nous dit alors : « En le voyant si triste, Jésus dit : Qu'il est difficile à ceux qui ont des biens d'entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile, en effet, à un chameau de passer par un trou d'aiguille à coudre qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. »
Les lecteurs de Luc comprennent donc tout de suite que cet intendant, de par sa situation sociale, ses revenus, n’est pas sur la bonne voie.
Or, le récit ne prend pas du tout le tour attendu : l’intendant se rend auprès des débiteurs ; il leur fait falsifier leur lettre de créance et s’en retrouve féliciter par son maitre ! Il fait noter à chacun qu’il doit moins d’argent que ça n’est réellement le cas. Et pour cela, le maitre le félicite… Quelle peut donc être la leçon de tout cela ?
L’intendant riche ne s’est pas accroché à ses richesses. Il n’est pas allé voir les débiteurs pour récupérer l’argent dû au maitre pour, ensuite, partir avec, et disparaitre dans la nature, laissant le maitre sans l’argent qui lui est dû.
Le débiteur a fait noter à chacun un montant moindre que le montant dû. Ce montant, bien qu’inférieur, sera tout de même versé au maitre. Et c’est l’intendant qui renonce, lui, à son salaire. Il renonce à la marge entre le débiteur et le maitre, cette même marge qui constituait son salaire.
Quel est pour lui le bénéfice d’un tel geste ? Il est dans un double mouvement : il ne cherche pas à contester les accusations qui sont dressées contre lui (quand bien même nous ne savons pas si elles étaient fondées) mais il montre au maitre qu’il est prêt à renoncer à son salaire, sans léser le maitre pour autant.
Mais, bien plus que cela, il améliore ses relations avec les débiteurs. Il n’est pas injuste avec eux non plus. Et il leur permet de payer moins que prévu au maitre. Il renonce à son salaire et les aide par la même occasion. Il s’en fait ainsi des alliés.
Et c’est pour cela que le maitre le félicite : il ne s’est pas emparé de l’argent, au contraire, il a renoncé à sa part pour tisser de meilleures relations avec les uns et les autres.
Pour une fois, une seule, l’argent est utilisé à bon escient : il n’est pas utilisé pour exploiter, opposer, diviser, il est utilisé pour tisser des liens entre des personnes.
Ainsi l’intendant devient meilleur que les autres exemples de personnages riches décrits avant par Luc.
À d’autres, Jésus faisait comprendre qu’il fallait renoncer à ses richesses. Ou, du moins, s’il ne fallait pas devenir indigent pour autant, il fallait s’en détacher totalement. Avoir des richesses mais faire comme si on n’en avait pas.
Luc nous propose aujourd’hui un autre point de vue. Nous ne pouvons pas le nier, l’argent régit le monde. Encore plus à l’heure actuelle, il le régit, il le gouverne. Nous voyons bien que bon nombre de décisions dites « politiques » sont prises au l’aune d’un bénéfice économique, d’un profit espéré, au détriment des personnes, de la planète… L’argent régit les relations entre états et, bien souvent aussi, entre les personnes. Et il était probablement de même à l’époque de Jésus et à l’époque de Luc. Et, puisque l’argent et si présent et qu’il est impossible d’imaginer une société capable de s’en passer, il faut faire avec.
Il faut faire avec mais en gardant à l’esprit tout ce que l’argent peut avoir de nocif. L’argent peut diviser, au sein d’une même famille, cela arrive bien souvent dans les héritages. L’argent peut aliéner.
Luc, à la suite de Jésus, propose d’utiliser l’argent. Non plus que ce soit lui qui régente nos vies, nos relations, mais, au contraire, que nous l’utilisions pour de meilleures relations. Une des illustrations pourrait être la philanthropie. Des personnes, disposant de richesses, qui créent des organismes afin que leur argent puisse, par différentes actions, bénéficier à d’autres. Et à d’autres qu’ils ne connaissent même pas.
Mais Jésus nous met en garde, nous devons toujours considérer l’argent avec distance et circonspection. Je vous relis les derniers versets du passage sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui : « Aucun domestique ne peut être esclave de deux maitres. En effet, ou bien il détestera l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez être esclaves de Dieu et de Mamon ».
Mamon, pour Jésus, c’est la personnification de l’argent. C’est la capacité de l’argent à agir de façon nocive sur notre vie. C’est un peu comme un démon. Il l’avait dit en filigrane dès le début de la parabole. Il y a une similarité en grec dans le mot utilisé pour « démon » ou « satan » et le mot « diffamer ». Le mot « diffamer » pourrait être rendu par « mis en accusation ». Et c’est bien ce qui arrive à notre intendant : il est victime de diffamation : « Un homme riche avait un intendant ; celui-ci est accusé de dilapider ses biens ». Nous l’avons vu, l’intendant est accusé par des tiers, qui ne sont même pas nommés. Et le maitre prend, « pour argent comptant », si vous me passez l’expression, les accusations qui sont portées contre son intendant.
Nous le voyons, l’intendant est directement victime du pouvoir nocif de l’argent sur sa vie. Cela le conduit à être accusé, peut-être à tort, nous ne le savons pas. Peut-être par jalousie de la part de certains qui aimeraient gagner autant d’argent que lui. Mais le reproche qui lui est fait n’est pas de voler son maitre, de garder l’argent pour lui. Il lui est reproché de « dilapider les biens de son maitre ». C’est ce que le démon Mamon le pousse à faire, à dilapider. Et ce terme n’est pas anodin ; on peut à la fois le comprendre comme « dilapider » ou comme « disperser ». La dispersion, c’est ce qui arrive aux Hommes dans le récit de la tour de Babel. Ils ont voulu tous se réunir, ils ont voulu construire une tour pour challenger Dieu. Leur punition sera la dispersion. L’éloignement les uns des autres, la séparation.
Dans notre récit, l’intendant évite cet écueil. Le démon Mamon l’a conduit à dilapider, disperser les biens de son maitre. Mais, in fine, en renonçant à sa part d’argent, il va éviter la dispersion, celle de ses liens humains, sociaux, amicaux. En renonçant à son salaire, nous l’avons vu, il tisse des liens avec d’autres. Il a su déjouer le pouvoir de Mamon sur sa vie. Comme Jésus le dit plus loin, il a renoncé à faire de Mamon un Dieu sur sa vie, pour s’attacher au seul Dieu véritable.
Avant de finir, je voudrais partager avec vous un dernier point. Cela fait plusieurs jours que je chemine avec ce texte. J’ai lu des commentaires, j’ai cherché à le comprendre, je me suis interrogée sur ce qu’il pouvait dire pour aujourd’hui. Et une réponse m’est venue de façon fortuite. Une réponse ou, plutôt, une image qui éclaire cette parabole. Peut-être connaissez-vous le groupe « Feu ! Chatterton » ; c’est un groupe de rock français ; ils sont parisiens, et les membres n’ont pas tout à fait 40 ans. Ils viennent de sortir un nouvel album qui est paru mercredi dernier. Dans une de leur chanson, « Labyrinthe », le chanteur Arthur Teboul dit ceci « les mains pleines ou les mains jointes, nous sommes perdus… dans le labyrinthe ». Les mains pleines ou les mains jointes… J’ai eu ici deux images qui se sont superposées :
Les mains pleines, ce sont celles du Prince Jean, dans le dessin animé Robin des Bois de Wald Disney ; vous savez, celui ou Robin des bois est un renard et le prince Jean un pauvre lion qui dort en serrant contre lui des bourses pleines de pièces d’or. Les mains pleines, c’est le Prince Jean qui consacre toute son attention, toute son énergie à retenir son argent (et aussi à en avoir toujours plus) C’est de l’argent sur lequel les mains restent crispées alors qu’il permettrait d’aider d’autres.
Les mains jointes, ce sont les mains, peut-être collées dans un geste de prière mais qui restent fermées l’une contre l’autre. Une amie m’a expliqué un jour le geste des mains dans la prière. Une main au-dessous de l’autre, les paumes ouvertes. Une main qui dépose et une main qui reçoit. Cette position des mains permet que les choses circulent : je peux déposer ce qui m’entrave et recevoir ce que Dieu me donne.
C’est peut-être cela, le mouvement auquel la parabole que nous venons de lire, veut nous amener. Ne pas garder les mains crispées sur nos richesses, nos possessions quelles qu’elles soient. Parce que cela nous enferme. Au contraire, il faut ouvrir largement les mains, laissant nos richesses bénéficier à d’autres. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons, à notre tour, recevoir.
Amen.
