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Seul ? Non, plus jamais

Prédication du dimanche 21 février 2021, par Emmanuel Argaud

Seul ? Non, plus jamais

 

Lectures textes (NFC)

  • Genèse 9, versets 8 à 15
  • 1 Pierre 3, versets 18 à 22
  • Marc 1, versets 12 à 15

 

Prédication

Titre : Seul ? Non, plus jamais.

            En regard de notre texte de l'évangile de Marc, je voudrais réfléchir avec vous sur la solitude.

            Avant cette pandémie, nous avions déjà nos solitudes. Par exemple, dans nos frénésies, lorsque nous courions dans tous les sens, écrasés de responsabilités, agités d'actions, boulimiques de rencontres éphémères, mais aussi dans nos « vraies » solitudes en EHPAD, en prison ou en hôpitaux, ou même chez nous. Tous accélérés par l'instant présent.

            Mais cette pandémie qui dure a transformé la période en crise aiguë de solitude collective et individuelle, nous enfermant dans un temps présent d'incertitude sans fin. L'action nous semble figée dans l'attente angoissée d'un futur qui ne veut pas se dessiner, même avec des vaccins qui se profilent. Le temps s'est suspendu et la crainte de l'ultime s'est emparée de nous, obsédante. Nous craignons tous pour notre vie, impuissants contre cet ennemi invisible toujours là, incrédules à toute embellie. L'enfant est parfois inquiet à l'écoute de l'adulte abasourdi, l'adolescent plus interrogatif face à ce monde qui le contraint, l'étudiant plus seul dans sa construction d'un avenir sans perspective, l'adulte plus affairé à se battre pour essayer de faire tourner le monde, la personne âgée plus vulnérable et seule sans ses proches. Nous sommes tous inquiets, recroquevilliez malgré nous face à l'inconnu, dans ce monde qui se bâillonne et refuse tout contact physique. Cette solitude mondialement connectée nous a terrassé par sa soudaineté. Elle nous a arraché au tourbillon virevoltant du temps plein, pour nous plonger dans le temps suspendu du désert, de l'inconnu de ce qui nous attend.

            Avec des questions lancinantes : comment nous relever de cette crainte que l'ultime nous emporte ou que nous soyons blessé irrémédiablement ? Comment nous relevez et vivre comme avant ? Mieux qu'avant ?

            Notre texte concis de Marc nous parle aussi de solitude. Celle de Jésus dans le désert. Jésus vient de rencontrer celui qui l'a propulsé en avant, Jean le Baptiste. Il a reçu la bénédiction de son Père et son Esprit. Il va commencer son ministère de Fils bien-aimé. Notre texte nous dit alors qu'il est poussé par ce même Esprit dans le désert, lieu de solitude avant d'être celui de la tentation, poussé d'un coup, dans l'immédiateté haletante de l'« aussitôt », εὐθὺς en grec, premier mot de notre texte. Ce terme si cher à Marc (42 fois dans son évangile) est employé ici pour nous ancrer dans l'urgence du temps présent, le temps du verbe qui débute notre court récit. Ce verbe grec utilisé, « ἐκβάλλω », employé dans les évangiles pour les expulsions de démons, se traduit littéralement par « jeter dehors », comme si Jésus était arraché au monde et jeté en dehors. « Tu es mon fils bien-aimé, je mets en toi toute ma joie. Aussitôt l'esprit le jette dehors au désert... ». Ces mots sous-entendent une certaine violence, une résistance à ce mouvement qui extrait de force Jésus au monde. Comme nous le sentons aujourd'hui (pour nous) au fond.

            Jésus se retrouve alors 40 jours dans le désert, seul. Ou plutôt seul comme nous le sommes, c’est-à-dire dans un temps qui suspend les rencontres habituelles. Ce chiffre 40 est très signifiant dans le monde du judaïsme : il paraît être un temps d'intense préparation spirituelle dans la tradition juive, et, dans le désert, de rencontre avec Dieu. En effet, Jésus n'est pas le seul à avoir passé 40 jours dans le désert : Moïse l'a déjà fait en présence de Dieu (dans le livre de l'Exode, Ex 34,28), Elie aussi en marche vers l'Horeb (dans le livre des Rois, I Rois 19,8). Cela, Jésus le sait, c'est dans son bagage culturel. Il est accompagné par sa tradition juive dans ce désert, mais si seul à la fois face à ce Satan qui l'éprouve, le tente. En « jetant dehors » Jésus pour cette période de mise à l'écart de 40 jours, l'évangéliste Marc nous laisse entrevoir le motif même de la tentation, comme s'il voulait nous faire comprendre combien la découverte de l'affection du Père bouscule férocement Jésus et devient, en quelque sorte, une déstructuration de sa personnalité. Comme nous le sommes dans notre monde d'aujourd'hui, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons sans doute… mais sommes-nous si sûr que ce ne sont pas les mêmes motifs ? Car au fond, c'est bien de la rencontre avec l'ultime, la mort, dont nous avons peur, et qui mieux que Dieu représente cet ultime consciemment ou inconsciemment pour nous ? Jésus, en étant tenté dans le désert après avoir reçu l'Esprit, débute sa vocation, vient vers nous, nous rejoint dans notre condition humaine, dans notre solitude au désert. Comme Jésus, nous sommes bouleversés, questionnés sur nos essentiels et nos tentations présentes ou passées que nous ne pouvons ignorer dans ce temps mis à part.

            De multiples interprétations des tentations de Jésus ont été proposées. Mais l’évangéliste Marc ne nous en dit rien, il reste dans une absolue discrétion sur ce désert de Jésus, peut-être pour mieux laisser la place à notre imagination avec ce vide, ou pour interroger nos propres tentations sans doute.

            Aujourd'hui, quelles sont-elles ? Dans le monde d'avant, le rêve du succès, du pouvoir, ou de la facilité ne nous enserrait-t-il pas souvent ? Aujourd'hui, la crainte de faillir et la peur des liens physiques avec les autres ne nous obsèdent-t-elles pas ? Non pas que ces tentations soient « mauvaises » en soi, mais elles empoisonnent nos existences de frustrations, les encombrent de calculs, les assombrissent d'occasions ratées…

            Le texte nous dit seulement que Jésus « était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient ». Peut-être que, comme pour Jésus, ces bêtes sauvages sont avec nous, et sont nos tentations, nos ruminations dangereuses qui nous renvoient à nous-mêmes, à notre solitude indomptable dans ce temps de désert où nous sommes collectivement figés. Dans la tradition prophétique, Jésus figurerait peut-être aussi un nouvel Adam, et avec ces bêtes sauvages, inaugurerait un temps eschatologique dans un univers réconcilié où les bêtes sauvages vivraient paisiblement. Serions-nous au début de temps eschatologique où nos peurs et nos tentations sont à amadouer pour vivre d'une autre réalité ?

            Nous sommes aussi avec les anges. Comme le rappelait dernièrement notre pasteur aux catéchumènes, les anges, ce sont des messagers dans la Bible, les messagers de Dieu. Jésus avait ses messagers du Père dans la solitude du désert. Nous avons aussi certainement nos propres messagers à reconnaître dans notre quotidien : un texto, un sourire des yeux d'un proche ou prochain masqué, un coup de fil inattendu nous apportant des nouvelles, un livre lu qui nous transporte au-delà… bref des petits messages, des signes de bonté, qui nous servent à tenir face à nos démons.

            Mais ce temps du désert ne dure qu'un temps. La suite de notre bref passage de ce matin nous indique que le ministère de Jean-Baptiste est finie, et, après l'achèvement de la parenthèse du désert, le mouvement reprend son droit : Jésus est mis en mouvement et va à l’essentiel ! Nous sommes exhortés à changer, et à reconnaître le temps favorable qui pointe.

            Souvenons-nous alors des derniers mots de l'évangile de Marc au chap. 16, verset 7 : « Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit. ».

            Ces mots bouclent avec notre texte et le début du ministère de Jésus en Galilée : c'est une manière de renvoyer le lecteur de son évangile, après Pâques et les événements de la croix, au début de l’évangile de Marc, en boucle, avec le début de notre verset 14 où Jésus se rend en Galilée, afin que nous entendions à nouveau le « commencement de l’évangile, de la bonne nouvelle de Jésus Christ ». Ce qui compte ici, c'est la prédication de Jésus qui prend tout son sens et tout son relief par l’interprétation de l'évènement de Pâques.

            Cette clé de lecture révélée au lecteur lui permet de relire l'évangile pour y découvrir à nouveau cet appel à la foi lancé par la prédication de Jésus, et pouvoir y répondre, puisque « le règne de Dieu est tout proche ! Changez de vie et croyez à la bonne nouvelle ! ». En relisant sans cesse l'évangile, nous découvrons peu à peu celui qui nous précède en Galilée, qui nous fait sortir des solitudes de nos déserts, par sa Parole qui nous unit à l'autre, par injonction d'amour, parce que nous avons reçu d'abord une infinie bonté.

            En ce premier dimanche de carême, ce texte de l'Evangile, ne nous invite pas tant à amaigrir nos tables, qu'à sortir de nos sombres solitudes tentatrices, de nos déserts, pour enfin saisir ce qui fait notre essentiel. Il est probable que ces 40 jours seront bienvenus pour une réflexion de sagesse, pour une maturité spirituelle, pour accepter d'accueillir un Christ humble et sans puissance, pour accueillir et mesurer l'abaissement du serviteur jusqu'à la croix, qui mène à cette Bonne Nouvelle, cette amour sans fin du Père pour sa créature.

            Deux versets du récit de la Genèse que nous avons lu ce matin résonnent alors particulièrement pour nous aujourd'hui : « 14 Chaque fois que j'accumulerai des nuages au-dessus de la terre et que l'arc-en-ciel apparaîtra, 15 je penserai à l'alliance établie entre moi, vous et toutes les espèces d'animaux : il n'y aura jamais plus de déluge pour anéantir la vie. ». Alors distinguons l'arc-en-ciel qui apparaît dans notre ciel nuageux, et souvenons-nous de cette alliance ancienne qui nous permet d'être confiant pour nos vies. Cette assurance change notre vie, convertit nos solitudes pour regarder lucidement et en confiance notre quotidien, croyant à la bonne nouvelle de la rencontre pour nous dès aujourd'hui.

            Alors oui, nous ne serons plus jamais seul.

Amen

(Emmanuel Argaud)