La querelle des anciens et des modernes
La querelle des anciens et des modernes
Prédication du dimanche 25 mai 2025, par Loup Cornut
Lecture biblique : Actes 15, versets 1 à 11
« Une violente discussion »… Une dispute ? Un affrontement ? Une querelle entre les tenants de l’ordre établi, de l’habitude, de la Loi, et les nouveaux qui souhaitent s’affranchir de cela. Une querelle entre anciens et modernes qui secoue la toute jeune Église.
Nous assistons dans le livre des Actes, et tout particulièrement dans ce récit, à la naissance de l’Église. Cela a quelque chose d’émouvant. On découvre, au fil de la lecture, comment l’Église s’est constituée puis répandue. Elle est désormais répandue sur toute la terre, mais à l’époque que relate le texte, elle n’est encore qu’une petite collection de communautés, bien fragiles par rapport aux éventuelles attaques extérieures. La communauté chrétienne a grandi progressivement, à la suite de l’annonce de la résurrection du Christ mais aussi, suite au don de l’esprit Saint. Jésus et les disciples étant juifs, elle s’est développée au sein du judaïsme et, dans les premiers temps, le christianisme était proclamé dans les synagogues. L’Église des premières années se développe à Jérusalem où elle est bientôt persécutée.
Dans le passage du livre des Actes sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui, les choses commencent à changer. Petit à petit, l’Église s’ouvre aux non-juifs et se développe dans de nouvelles régions. Et, dans le chapitre 15 que nous venons d’entendre, l’annonce de l’Évangile commence à s’envisager de façon « universelle », jusqu’aux «extrémités de la terre ».
Mais cette ouverture ne se fait pas sans heurts et c’est ce que nous découvrons dans ce texte.
Pour cette toute jeune Église, composée de plusieurs communautés réparties dans plusieurs villes, se posent un certain nombre de questions. Notamment, celles de l’assimilation des nouveaux venus. Elle voit arriver des juifs convertis mais aussi des non-juifs. Et la difficulté est de faire évoluer tous ses membres de concert.
Dans le passage qui nous intéresse aujourd’hui, une question est en train de déchirer la communauté : les nouveaux convertis qui ne sont pas juifs de naissance, doivent-ils être circoncis et obéir à la loi de Moïse pour faire partie de l’Église ? Pour les juifs convertis, c’est un point non-négociable puisque l’Église est née au sein du judaïsme et qu’elle est enracinée dans l’Ancien testament. Ce à quoi Pierre s’oppose fermement : « Mes frères, vous le savez : dès les tout premiers jours, Dieu a fait un choix parmi vous pour que, par ma bouche, les non-juifs entendent la parole de la bonne nouvelle et deviennent croyants. Et Dieu, qui connait les cœurs, leur a rendu témoignage en leur donnant l’esprit saint tout comme à nous. »
Pierre pose ici un élément fondamental : ce ne sont ni la circoncision ni le respect de la Loi qui font de vous un croyant. C’est le don de l’Esprit saint et il n’appartient qu’à Dieu de le donner. Un glissement qui va devenir une véritable séparation est en train de s’opérer. Jusqu’alors, pour être lié à Dieu, il revenait aux hommes de respecter des rites et des interdits. Nés juifs, ils faisaient certes parti du peuple élu, mais il leur fallait y apporter une réponse pratique. Dieu les avait choisis, ils répondaient à cet appel par des gestes et des rites. Ce que dit alors Pierre est radicalement différent : tout vient de Dieu. C’est lui qui choisit de donner l’esprit saint. Chacun se contente, dans un premier temps, de le recevoir, puis d’en vivre. Le fait d’en vivre, va conduire les uns et les autres à devenir « missionnaires » en répandant, de plus en plus loin sur la terre leur témoignage et donc l’annonce de la Bonne nouvelle.
Plus que cette querelle qui peut nous sembler très datée, parce que très marqué dans un temps ancien, pour nous, ce qui se joue ici c’est la question de la grâce. En filigrane, dans ce texte, se pose à cette communauté, la question de ce qu’il faut accomplir pour être sauvé. Pour les juifs convertis, la réponse est claire : être circoncis et obéir à la Loi. Pour les non juifs, ayant reçu la bonne nouvelle, il n’est rien d’autre à faire que de recevoir l’esprit. Il est donné par Dieu, qui offre, sans condition, la grâce.
Nous pourrions nous arrêter là. Pour nous, avec notre théologie chrétienne bien installée, la question est tranchée depuis longtemps. La Loi a été abolie avec la mort et la résurrection de Jésus et nous vivons sous le seul régime de la grâce.
Alors, aujourd’hui, je voudrais vous inviter à regarder le texte autrement. Vous le savez, quand on lit un texte de la Bible, on peut prendre plusieurs perspectives de lecture. Une première intention pourrait être de considérer tous les écrits bibliques comme des « textes sacrés ». Des mots couchés sur le papier, après avoir voyagés pendant des siècles et des décennies, de bouche à oreille. Des mots presque figés, qu’il faudrait recevoir comme des absolus.
A l’opposé de cette lecture, il y a ce que nous appelle dans le milieu universitaire : la démarche historico-critique. Il s’agit de considérer le texte comme un objet d’étude, un peu comme le ferait des archéologues découvrant un objet. On peut en admirer la beauté mais on va surtout chercher à savoir comment il a été réalisé, par qui, avec quel matériau, comment il a pu arriver jusqu’à nous. Le sens qu’il recèle passe alors très loin derrière.
Le texte biblique a la spécificité de pouvoir être vu d’une troisième façon : ce texte, certes écrits il y a près de 20 siècles, peut être reçu comme s’il avait été écrit hier. C’est toute la force de la parole de Dieu. Même prononcée au tout premiers siècles, ces mots peuvent encore être d’une actualité criante pour nous aujourd’hui. Et nous pouvons prendre ces textes comme un miroir. Nous pouvons chercher à nous approcher au plus près du récit, de ses personnages et être attentifs à la manière dont leur vie, leurs paroles, leurs questions se reflètent en nous.
Nous l’avons vu, ce texte pose la question de l’appartenance à la communauté chrétienne pour les juifs convertis et pour les non-juifs. Ils se demandent ce qu’il faut faire pour être sauvés. Mais, plus que cela, je pense qu’ils se posent une autre question, tout aussi cruciale pour eux à l’époque : comment faire communauté ? Comment faire pour que des juifs convertis et des non-juifs puissent se retrouver, se réunir, prier ensemble et former une véritable communauté ?
Et cette question se pose aussi à nous aujourd’hui. Nous ne nous interrogeons plus sur l’assimilation des « convertis ». Finalement, une sorte de passerelle s’est tissée entre les catholiques qui souhaitent devenir protestant et les communautés protestantes qui les accueillent. Le nouveau converti qui interroge les Églises aujourd’hui est peut-être plus celui qui vient de l’extérieur de l’Église ; de celui qui n’a pas reçu de culture, ou d’éducation religieuse, et qui entre un beau jour dans un temple. Nous sommes heureux de le voir et de l’accueillir mais comment faire pour faire communauté avec lui ?
Est-ce que, peut-être malgré nous, nous ne posons pas aussi des exigences pour faire partie de l’Église ? Par exemple, dans les statuts de l’Église protestante unie de France, il est stipulé que, pour être membre électeur de la paroisse, c’est-à-dire pouvoir pendre part au vote lors des assemblées générales, il faut reconnaitre « que Jésus Christ est le Seigneur ». Cela est aussi parfois annoncé au moment de la Cène quand le prédicateur dit « que ceux qui reconnaissent Jésus Christ comme le Seigneur forment un cercle ». Serait-ce cela notre socle minimal pour pouvoir être considéré comme faisant partie de l’Église ? Mais le mot « Seigneur » fait-il encore sens pour tout le monde aujourd’hui ? N’est-ce pas plutôt reconnaitre que c’est Jésus qui guide ma vie, sous le regard et dans l’amour de Dieu ?
Nous semble-t-il cohérent d’accueillir des personnes qui auraient une mauvaise connaissance, voire pas de connaissance du tout de la Bible ? Et, si ces personnes viennent assister à un culte, est-ce que nos prédications représentent une annonce de l’Évangile véritablement adressée à tous ? Et ce que le vocabulaire employé, les formules de style, les références culturelles ne sont pas potentiellement excluants ? On fait souvent au protestantisme le procès d’un certain intellectualisme, mais savons-nous encore garder la fraicheur et la vigueur de l’annonce de la Bonne nouvelle ?
Et, si de nombreux nouveaux convertis arrivent, comme cela a pu être le cas pour les Églises des premiers siècles, saurons-nous aussi poser simplement les questions et y chercher des réponses. Aurons-nous la volonté de reconnaitre les éléments qui peuvent prêter à débat, entre anciens et nouveaux, et chercher ensemble une réponse ? Je ne parle pas ici de voix médiane mais bien de saisir une occasion de réaffirmer ce qui constitue le cœur de notre foi. À l’époque, nous l’avons vu, Pierre s’est littéralement dressé parmi l’assemblée pour affirmer le choix fait par Dieu de s’adresser à tous, y compris aux païens, et de leur offrir l’esprit Saint.
Comme dans notre récit, lorsqu’ils font le choix d’aller interroger les « sages », nous avons des instances pour cela, des synodes régionaux et nationaux. Le synode national se réunira d’ailleurs la semaine prochaine. Nous l’avons vu avec l’enquête régionale menée il y a un an ; l’Église s’interroge. Elle se pose la question du socle de croyances communes de ceux qui la composent mais aussi sur la capacité de se laisser interpeler pour faire une place aux nouveaux venus.
Nous sommes dans un mouvement de balancier : nous sommes soucieux de l’accueil de nouveaux, des personnes qui viendraient sans connaissance préalable, sans, d’une certaine manière, les « codes ». Mais, pour que ces personnes se sentent bien parmi nous, il faut que nous soyons en mesure de dire clairement ce que nous annonçons.
C’est en cela que le texte que nous partageons aujourd’hui est d’une criante actualité. Dans notre Église qui a l’impression de perdre des fidèles par la sécularisation de la société, mais, qui sait aussi l’immense quête de sens qui anime des générations entières : comment se positionner ?
Peut-être en réaffirmer un des éléments du texte sur lequel je n’ai pas pris le temps de m’arrêter tellement ce texte est riche. Au milieu de ce texte, Pierre érige une affirmation centrale : « Maintenant donc, pourquoi provoquez-vous Dieu en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons été capables de porter ? En fait, c’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, de la même manière qu’eux. »
Nous affirmons que Dieu, par la mort et la résurrection de son fils, nous libère d’un joug. Nous sommes libres. Libres et responsables. Par la grâce. Il nous appartient d’être fidèle à son message et, comme les membres de ces premières communautés qui nous semblent si proches aujourd’hui, il nous revient de faire une place aux nouveaux en cherchant ce qui est, pour nous, le cœur de l’Évangile.
Amen.