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Fermer les yeux... pour ne pas être vu

Prédication du dimanche 18 février 2024, par Nicolas Liébault

 

« Fermer les yeux… pour ne pas être vu »

 

Prédication du dimanche 18 février 2024, par Nicolas Liébault

 

Lecture biblique : Jean 8, 12

 

Nous poursuivons le cycle de prédications qui dure sept dimanches, jusqu’à Pâques, autour des « Je suis » de Jésus dans l’Évangile de Jean. Dimanche dernier, Sophie Ollier a prêché sur : « Je suis le pain » et dimanche prochain la prédication de Christian Baccuet portera sur : « Je suis la porte ». Aujourd’hui ma prédication se veut une méditation le thème : « Je suis la lumière ».

 

Dans le premier chapitre du livre de la Genèse, nous avons lu : « Dieu appela la lumière “jour“, et il appela les ténèbres “nuit“. Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour » (Genèse 1,5). Le début des temps, le « premier jour », est donc intimement lié à la séparation entre la lumière et les ténèbres, appelés respectivement « jour » et « nuit ». L’apparition de la lumière marque donc le commencement de tout l’univers. La lumière, que Dieu paraît se contenter d’« appeler », semble précéder le temps lui-même. Les astrophysiciens ont repéré combien la lumière et le temps connaissent un destin commun. La loi de la Relativité générale, découverte par Albert Einstein, montre que la matière, par sa masse, courbe tout à la fois la lumière et le temps.

 

Dans les situations extrêmes, certaines étoiles finissantes s’effondrent sur elles-mêmes, jusqu’à former des trous noirs où toute lumière disparaît, et avec elle… le temps. Il existe un tel trou noir massif au centre de notre galaxie, la Voie lactée. Nous dépendons de lui sans le savoir, comme le moteur d’une voiture est caché sous sa carrosserie. Avec le Big Crunch, qui doit sonner la fin de l’univers si l’on en croit les astronomes, ce sera le monde tout entier qui se « refermera » sur lui-même. Disparaîtront à la fois la lumière et le temps, de la même façon que, lors du Big Bang, tous les deux étaient apparus au même moment.

 

Ces phénomènes sont presque impossibles à concevoir rationnellement. On représente d’ailleurs souvent les trous noirs par des vues d’artistes, sous la forme de sortes d’entonnoirs quadrillés. Je pense que cette difficulté de représentation des situations-limites fait partie du plan de Dieu. Comme, dans la Genèse, la lumière paraît précéder le temps, de même Dieu précède radicalement le monde. Cela nous semble inimaginable à nous êtres humains qui nous figurons toute la réalité à travers l’espace et le temps.

 

Mais si nous considérons avec Jean, notamment dans son Prologue, que Jésus, « lumière du monde », était présent dès le commencement, c’est, lui aussi, comme un moteur secret qui échappe aux lois de la physique. Car, la lumière paraît, comme Dieu, tout entière démesure, échappant à nos sens. Elle est si mystérieuse qu’y compris les scientifiques ne savent toujours pas très bien si elle est une onde ou une particule. Sa vitesse même dépasse l’entendement : 300 000 km par seconde. Afin de donner une idée, pour rejoindre la planète Mars à quelque 56 millions de km, son point le plus rapproché de la Terre, la lumière met trois minutes là où un vaisseau spatial prendrait au minimum 250 jours.

 

Difficile à appréhender en théorie, de même, en pratique cette fois, nous percevons la lumière surtout de façon indirecte, par le reflet sur les choses qu’elle manifeste. Pour nos sens, les objets qui nous entourent n’ont ainsi de réalité que grâce à elle. Gare à celui ou celle qui tentera de regarder le Soleil en face : il sera ébloui, voire rapidement rendu aveugle ! Même si l’homme a réussi, en partie, à maîtriser la lumière quand il a maîtrisé le feu, puis l’électricité, sa puissance prométhéenne comporte des limites. On ne perçoit la lumière que par ses frontières, notamment par son négatif, les ténèbres, lesquels, par définition, n’existent pas, le monde en-dehors de la lumière relevant du néant.

 

C’est parce qu’on déduit la lumière de son reflet sur le monde, que nous pouvons alors déduire Dieu de sa Création, à partir de laquelle nous cherchons à « monter » vers lui par une connaissance naturelle. Grâce en particulier à la lumière, l’être humain sait qu’il y a un Dieu et que tout vient de Lui. Les philosophes s’en sont arrêté là. Or, ce type de connaissance paraît insuffisante. D’où, dans ses déclarations rapportées par Jean, le fait qu’aux paroles : « Je suis la lumière du monde », Jésus ajoute : « Celui qui me suit ne marchera jamais dans les ténèbres ». Ici la raison s’arrête et la foi peut commencer. En se liant à sa Parole, Dieu nous a permis de l’entendre et de le saisir, tout en demeurant en partie caché. Ombre et lumière toujours.

 

Jean évoque un être humain qui « marche ». Or, le voyageur a pour caractéristique de découvrir le chemin au fur et à mesure qu’il le parcourt, dans l’objectif d’atteindre une destination. Pour cela, ses yeux sont braqués, à la fois, sur ses propres pas et sur le lieu qu’il veut atteindre. Sans lumière, dans les ténèbres, il tomberait dans un fossé et manquerait le but du voyage. Ce que la lumière perd donc comme principe causal, celui de la Création, un principe dont nous sommes de simples spectateurs regardant vers l’arrière, elle le gagne comme métaphore du dévoilement d’un plan divin, dont nous sommes les participants actifs, regardant cette fois vers l’avant, vers le Royaume de Dieu.

 

Dans la Bible, comme le soleil illumine une route, est ainsi « lumière » tout ce qui éclaire notre chemin vers Dieu, jadis dans la Loi et par la Sagesse, aujourd’hui dans et par le Christ. Jean le proclame dès son Prologue : « Il était la lumière véritable qui éclaire tout homme, venant dans le monde » (Jean 1,9). Certes, pour ses contemporains, la lumière permettant de cheminer qu’était Jésus semblait présente pour peu de temps. Il annonce ainsi à plusieurs reprises qu’il va bientôt disparaître des yeux de ses disciples. Il les incite par conséquent à « marcher tant (qu’ils ont) la lumière de peur que les ténèbres (les) saisissent » (Jean 12,35).

 

Mais la résurrection a renversé ce risque d’anéantissement. Aujourd’hui tout être humain, à la suite de Jésus et des disciples, peut manifester Dieu aux yeux du monde. Car Jésus ne se contente pas de s’auto-désigner comme la lumière. Il déclare en Matthieu : « Vous êtes la lumière du monde. Votre lumière doit briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Matthieu 5,14-16). On assiste ici à une sorte de passage de flambeau, à la constitution d’une chaîne spirituelle ininterrompue, permise grâce à la confiance que Jésus est avec nous jusqu’à la fin du monde.

 

Mais qu’est-ce qui nous est transmis au juste ? Parce que la lumière est plus qu’un principe physique, ce que nous avons à transmettre n’est pas Dieu comme un « grand lampadaire » ! Mais Jésus ne nous invite pas non plus à répéter qu’il est « lumière du monde » comme on le ferait à travers un mantra. En réalité, en Christ, par le mystère de son incarnation, la lumière nous rejoint aussi dans notre humanité comme un symbole de vie, de bonheur et de joie, opposé aux ténèbres, comme symboles quant à elles de mort, de malheur et de larmes. « Il aura la lumière de la vie », promet ainsi Jésus dans la suite de la déclaration de Jésus rapportée par Jean.

 

La Bible est remplie de cette dimension vivante de la lumière, souvent d’ailleurs pour en déplorer l’absence. Job déclare ainsi sur son tas de fumier : « J’espérais le bonheur et le malheur est venu ; j’attendais la lumière : voici l’obscurité » (Job 30,26). La bonne nouvelle du Royaume de Dieu est la promesse d’une vie qui dépassera précisément ces nuits de détresse, Jésus l’incarnant pour toutes les Nations, « jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 13,45). Plus qu’une étoile fixe et imperturbable, Dieu est une aube qui sans cesse renaît dans nos vies, toujours à la fois aujourd’hui et demain.

 

Comment vivre dès-à-présent cette bonne nouvelle ? En suivant le Christ pour ne plus « jamais marcher dans les ténèbres », rapporte Jean, promesse d’une victoire définitive. Or, nous ne marchons pas dans les ténèbres du fait d’un assombrissement extérieur venu du ciel. Une lecture trop simple de la métaphore du « chemin éclairé » pourrait nous y conduire. Nous y marchons bien plutôt parce que nous fermons les yeux en marchant. Et nous fermons les yeux en marchant parce que nous entendons vivre seulement par nous-mêmes. Au fond de nous, nous savons pourtant que le Ciel n’est pas vide, mais notre peur nous le fait imaginer peuplé de monstres.

 

Se replier sur nous en fermant les yeux suffirait alors à les faire disparaître. Nous croyons ainsi nous dissimuler pour leur échapper, pour ne pas être vus de ces puissances malveillantes. Pourtant, la peur subsiste dans nos cœurs malgré cela. A l’inverse, suivre Jésus s’appuie sur la conviction que nous pouvons faire confiance en Dieu pour nous guider tout au long de notre vie. Il nous invite à ouvrir les yeux à sa lumière. Admettre plus grand que nous n’implique pas de craindre Dieu comme un enfant craint son père. C’est au contraire ouvrir les bras au Seigneur pour nous blottir dans son amour !

 

Mais le paradoxe est que nous tendons souvent aussi à nous cacher en quelque sorte dans la lumière. Construire une fausse image de bonté en multipliant les œuvres peut conduire à nous dissimuler vis-à-vis de nous-mêmes comme des autres. Nous ne savons plus alors très bien ce qui est vrai et ce qui est faux entre ce que nous sommes et ce que nous montrons. Or, notre morale personnelle paraît trop faible pour sortir de cette confusion. S’attacher aux seules règles, à la seule Loi, est le meilleur moyen de multiplier les manquements vis-à-vis d’elle. Les philosophes ne disaient-ils pas compter sur les doigts de la main les véritables sages ayant existé ?

 

Ici encore la vraie lumière nous permet d’y échapper. L’expression « faire la lumière sur quelque chose » signifie dévoiler ce qui est caché. De la même manière, prendre conscience que nous sommes placés sous le regard de Dieu permet de distinguer ce qui est vrai, ce qui est juste. Alors la confusion peut disparaitre durablement de nos cœurs. Car seul Dieu peut séparer la lumière des ténèbres. Paul affirme ainsi dans sa lettre aux Ephésiens : « le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité » (Ephésiens 5,7-8). Laissons-nous illuminer par Dieu, et vérité et justice jailliront comme d’une source !

 

Renoncer à juger par nous-mêmes ce qui est bien ou mal, à la place de Dieu, nous prémunit également d’un dualisme mortifère. Désigner certains disciples comme des « fils de la Lumière », comme dans l’extrait de la première lettre de Paul aux Thessaloniciens que nous avons lu, peut nous conduire à une séparation factice en deux « empires », respectivement sous la domination du Christ et sous celle de Satan. Cette opposition nous entraîne à répartir les êtres humains en deux camps, souvent les chrétiens et les non-chrétiens.

 

Pourtant Jésus nous dissuade de « séparer le bon grain de l’ivraie » comme il le formule dans sa parabole (Matthieu 13,24-30). Le jugement n’interviendra en effet qu’à la fin des temps, lors de son retour, au temps de la moisson. Croire vivre en communion avec Dieu parce que nous portons un jugement sur nos frères et sœurs en humanité, n’est-ce pas une autre façon de marcher dans les ténèbres ? A l’inverse, nous avons la conviction que la véritable lumière, comme dit le poète, « reviendra baigner, reviendra nourrir de ses flots purs, nos nouvelles métamorphoses ».

 

Amen