"Garder le cap" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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"Garder le cap"

Prédication du dimanche 3 janvier 2021 par Jean-Michel Ulmann

Garder le cap

 

Comment se fait-il que ces lectures, lues, relues, si connues, si souvent peintes et chantées, aient gardé toute leur force et toute leur fraîcheur ? Comme se fait-il que jamais nous ne nous en lassions ? Je crois qu’on ne s’en lasse pas d’abord parce que leur message est une bonne nouvelle pour tous  -et Dieu sait si nous en avons besoin- un message d’espérance, un message universel. On ne s’en lasse pas parce qu’elles sont belles. On ne s’en lasse pas parce que nous avons besoins de rituels qui structurent nos travaux et nos jours. (La galette en est un bon). On ne s’en lasse pas parce qu’elles ont toujours en encore quelque chose à nous dire, quelque chose d’inouïe, qui nous parle ici et maintenant, au présent. Esaïe harangue et exhorte les Hébreux en exil, de sa prison romaine Paul, le technocrate éclairé,  affirme l’universalité de l’Evangile, le partage de son héritage et de sa promesse,  Matthieu, dans les turbulences sociales, politiques et religieuses, décrit le grand voyage, la révélation et l’accomplissement.  Lui aussi annonce la mondialisation incarnée par les mages venus de loin. Beauté, universalité, accomplissement: ces lectures annoncent une aube nouvelle à des heures sombres. Toutes proportions gardées, ça ne vous rappelle rien?

Pendant que je préparais le culte de ce jour, en me demandant ce que je pourrais bien ajouter à ces textes patinés et brillants, le nouvel album de Sempé intitulé, Garder le cap m’est tombé sous les yeux. J’y ai vu un clin d’œil. Une façon de dire : n’en rajoute pas ; c’est impossible, contente toi de les faire entendre. Mais c’était un peu court même pour un culte réduit. Alors, il m’est venu à l’esprit que ces trois textes invitent, en effet, à garder le cap. Autrement dit à trouver le sens, aux deux sens du terme : l’orientation et la signification, le sens de la vie, quelle direction lui donner, vers qui se tourner et pourquoi. Une exhortation à se mettre en marche sans perdre de vue que, même si la route est longue et semée d’embûches, et sinueux le chemin de notre foi, quelqu’un marche à nos côtés, nous guide, quelqu’un nous éclaire et nous aime.

Garder le cap, donc, parce qu’en ces temps improbables et confus, nombreux ceux qui  perdent la boussole, s’inquiètent, souffrent. « Voici que les ténèbres recouvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples ». On s’y croirait.  Dans un ancien album du même Sempé (j’aime Sempé parce qu’il fait rire sans méchanceté) une aimable bigote seule dans une cathédrale  s’adresse à Dieu en lui disant : « J’ai tellement confiance en vous, que quelque fois je vous appelle docteur. » Aujourd’hui, la petite dame dirait au docteur, «J’ai tellement confiance en vous que, parfois, je vous appelle Dieu ». Mais le docteur n’est pas Dieu, d’où des déceptions, des controverses, des colères et des impatiences. La santé, si précieuse soit-elle, ne donne pas un sens à la vie. On se félicite souvent de l’augmentation de l’espérance de vie, la durée de vie prolongée, des additions de jours jusqu’à figurer dans le livre des records. Ce n’est pas l’affaire du Christ. Jésus  propose l’espérance dans la vie. Librement, en nous tournant vers Lui, nous choisissons  une vie gonflée d’espérance et de confiance, non une quantité mais une qualité de vie à la lumière du Christ et pour marcher dans ses pas. 

Ce qui est frappant dans les Evangiles c’est cette incitation d’aller toujours en avant. De sorte qu’on pourrait dire que l’élément persistant et permanent du christianisme, c’est l’ordre de ne jamais s’arrêter : debout la dedans ! Telle est la consigne.

Je crois bien que ce mouvement, cette intense agitation qui circulent dans la Bible en générale et dans les textes que nous venons d’écouter, nous disent cela. Nous ne sommes pas des électrons balancés sur le tapis vert du casino de l’univers. . Un chemin nous est offert que nous pouvons suivre en toute liberté et qui donne un sens à la vie.

  Alors, comme les Hébreux en exil (Esaïe), comme les premières communautés chrétiennes auxquelles écrit Paul, ne nous arrêtons pas sur nos manques, nos doutes, sur l’écho vide de nos plaintes, de nos déceptions ou de nos grognes mais répondons à l’appel fraternel et  salutaire de la bonne nouvelle.

Au passage, remarquons une chose : Matthieu n’a pas écrit que les mages et avant eux les bergers, se dirigent vers l’étoile. « Allo Melchior ? c’est Balthazar, dis à Gaspard qu’une étoile s’est levée là-bas. Allons la voir ». Les mages ne marchent pas vers la lumière. C’est l’étoile qui s’est avancée vers eux, elle est venue les chercher, les sortir de leurs lointains observatoires. C’est toujours Dieu qui fait le premier pas. Ils se sont levés à son  appel, comme Mathieu s’est levé quand Jésus lui a dit de l’accompagner ; comme Paul après sa chute sur le chemin de Damas, s’est relevé. comme le paralytique se lève de son grabat quand Jésus lui dit : « lève toi et marche ». Et cela va provoquer un grand chambardement. Ils ne seront plus les mêmes. Cette marche est une conversion.

 

 

Où a-t-elle eu lieu ?  Dans une crèche. L’église commence dans une crèche, sur la paille, humblement. Les jours où la Cimade reçoit rue Madame des femmes et des hommes étrangers venus de loin, d’ailleurs, elle ressemble à cette crèche…

Pour se prosterner devant qui ? Devant un enfant ? L’Evangile ne fabrique pas des surhommes; il nous prend tels que nous sommes, avec nos faiblesses, nos doutes, nos espoirs, tel que nous sommes ni plus ni moins.

Mais la grâce qui nous est promise de la part du Christ n’est pas une aide qui nous dispenserait d’une partie du travail. Bergers et mages repartent porter et témoigner de l’Evangile et nous même, relevés, à leur suite, nous après eux, « associés au même héritage, au même corps, un partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile ». Encore une fois debout là-dedans. A notre tour de leur emboiter le pas. C’est cela qui nous rend plus humains.

Le christianisme n’est pas (seulement) une consolation, un refuge. Il favorise et entraîne une promotion de l’homme. C’est ainsi que je comprends ces lectures.

Les relire ce n’est pas commémorer, ce n’est pas un devoir de mémoire. Si tel était le sens de cette fête, elle serait sèche, dévitalisée comme ces églises désaffectées dont la raison d’être tombe en poussière.  Nous ne ranimons pas une flamme ; nous nous ranimons à sa lumière et nous la portons. Cela demande des efforts; c’est du travail.

 

Mais le moment décrit par Matthieu, est un moment de recueillement. « Ils se réjouirent, virent l’enfant, se prosternèrent ».

Cette épiphanie (révélation) est, me semble-t-il, avant tout une invitation à faire halte, un moment où après une longue attente, une marche et avant un départ précipité, celui de la sainte famille et des mages, les voyageurs, transformés,  s’arrêtent, soufflent. Bien sûr nous assistons à un moment d’exaltation. Mais cette rencontre, pleine de tendresse, ces offrandes à celui qui donnera sa vie pour nous, n’est rien moins qu’une invitation à la conversion. Or cette opération du St Esprit, bouleversante, traumatisante, comme toutes les opérations, appelle le repos (Paul sur le chemin de Damas mettra quelques jours à s’en remettre) à faire la paix avec nos sœurs et frères proches ou lointains, avec toutes les nations associées au même héritage, au partage de la même promesse… »  et à faire la paix avec nous-mêmes. A  cet instant, tout s’arrête. L’histoire suspend son cours. Saisis par l’évènement, stupéfaits d’assister à ce qui était attendu depuis si longtemps,- sidérés par la réalisation de cette promesse, de cette parole faite homme, tous se taisent et prient. Avons-nous mieux à faire? Il arrive des moments dans la vie où, surpris, émerveillés, on ne peut mieux faire que se recueillir, se réjouir, se reposer, et faire silence.

Amen