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Qui joue à cache-cache ?

Prédication du dimanche 30 octobre 2022, par Jean-Michel Ulmann

Qui joue à cache-cache ?

 

Prédication du dimanche 30 octobre 2022, par Jean-Michel Ulmann

Lectures bibliques :

  • Esaïe 12, versets 1 à 6
  • Luc 19, versets 1 à 10

 

Je vous propose de commencer par une petite fable.

 

« Maitre Zachée sur un arbre perché

Tenait à voir passer Jésus.

L’ayant vu le premier, Jésus le dénicha

Et lui dit :

Que fais-tu donc à Jéricho ?

Je récolte les impôts et m’en mets plein les poches!

Mais pour cela je suis mal vu.

Tu récoltes les impôts, lui dit Jésus ?

 Et maintenant bien descends de là, qu’importe les reproches

 e viens loger chez toi.

A ces mots, Zachée ne se sent plus de joie, et pour montrer sa bonne foi il distribue ses sous et conduit Jésus sous son toit.

 

Tout pécheur revit par l’amour de celui qu’il écoute

Cette grâce est gratuite et nous vient sans mérite.

Pour vivre heureux ne vivons pas cachés, laissons Jésus nous dénicher

Et ouvrons-lui notre maison.

 

 

 

Le chapitre 19 de l’Evangile de Luc, rédigé dans les années 60-80, compte dix versets. C’est un des plus courts du second testament. Pourtant le récit de la rencontre de Jésus et Zachée concentre toute la Bible. Il se lit comme un reportage sportif -Zachée court et grimpe- un fait divers (l’arrivée d’un personnage hors du commun)-, un conte bref et hardi ou encore une fable biblique. Sur le parcours de Jésus vers Jérusalem, cette étape est décisive : elle reprend les chapitres précédents et laisse présager la suite : la popularité de Jésus, la rumeur, la calomnie et tout ce qui s’en suit. Il prélude la semaine de la passion.

 

Ce jeu de cache-cache entre le chef des péagers et Jésus est bien connu. Mais on ne se lasse pas de le relire tant il est à la fois simple et édifiant. Peut-être aussi parce qu’il se termine bien. Provisoirement. Tout est dit au chapitre précédent (ch 18, 31). Peut-être aussi parce que, un peu, parfois, nous ressemblons au petit père Zachée rempli de doutes, de craintes et d’espérance. A nous aussi, à moi, il arrive de jouer à cache-cache avec Dieu.

 

De plus ce passage répond parfaitement au nuancier de la Bible qui illustre la complexité de la nature humaine que des raccourcis expéditifs ont vite fait de résumer au manichéisme. Entre monter-descendre, suivre et trahir, approuver et réprouver, la Bible -dont ce passage- explore tout le spectre de nos états d’âmes alternatifs entre hésitation, douleur, inquiétude, joie…, du clair-obscur à la mise à jour.

 

Voir et bouger

 

Autres fondamentaux de la Bible mis en scène dans ce récit et présent depuis les premières lignes de la Genèse :  voir et bouger.  Voir : « Dieu vit que cela était bon…Dieu regarda tout ce qu’il avait fait.. ». Dieu ne se contente pas de se féliciter en regardant sa création, il la parcourt. Bouger: le soir venu, à la fraîche, Dieu se promène le jardin d’Eden en cherchant Adam (Dieu déjà est celui qui nous cherche, le berger qui cherche la brebis). « Où es-tu mon grand? » Adam répond : « J’ai eu peur parce que j’étais nu . Alors je me suis caché ». Soudain pudique, Adam s’est couvert de feuilles de figuier comme Zachée, son lointain parent, monté dans un sycomore, (autre nom du figuier). Mais à l’époque Dieu est encore un jeune et impulsif et il se fâche…Ceci est une autre histoire.

 

 

Pour rencontrer Zachée quittons le lointain jardin d’Eden pour les rues de Jéricho

 

La ville de Jéricho, située à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Jérusalem, en pleine oasis, est restée célèbre dans l’Ancien testament pour ses remparts s’effondrant au son des schofars (trompettes) des Hébreux menés par Josué. Jéricho était la ville qui avait fait obstacle à l’entrée des Hébreux en Terre Promise. Il y avait là quelque chose qui résistait, qu’il fallait ouvrir. A l’époque de Jésus, elle était un lieu de transit pour les voyageurs en route pour Jérusalem qui arrivaient de l’Est, de l’autre rive du Jourdain, ou du Nord, de Galilée.

 

Voilà donc Zachée

 

Dans Jéricho, ville grouillante, les fonctionnaires des péages, des octrois, avaient une situation lucrative mais détestable. Pour les pharisiens, les collecteurs d’impôts n’avaient aucune possibilité de repentance et de réintégration dans le peuple de Dieu. Ils étaient excommuniés. Bref, de par leur fonction (j’aillais dire ponction) fiscale et leur lien avec l’occupant romain, ces gens-là n’étaient pas en odeur de sainteté.

Or Zachée est le patron des péagers. C’est vous dire.

Pourtant, d’après Luc, Jésus les avait à la bonne. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas en raison même de leur exclusion que Jésus avait un penchant pour eux.

Déjà Jean-Baptiste les voit venir aux rives du Jourdain pour se faire baptiser : «Maître que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous a été ordonné. »

Jésus fait du douanier Lévi-Matthieu, son disciple. Il prend ses repas chez lui. Ainsi dans Luc 15, 25-32 nous lisons :

« Après cela il sorti et vit un collecteur d’impôts du nom de Lévi assis au bureau des taxes. Il lui dit : « Suis-moi ». (voir et bouger) Quittant tout il se leva et se mit à le suivre » Comme avec Zachée. Lévi fait un festin « et il y avait toute une foule de collecteurs d’impôts et d’autres gens à table avec eux. Les pharisiens murmuraient : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs ? ». Jésus prenant la parole leur dit : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecins (Luc était médecin) mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent ». Idem en Luc 15, 1-2, « Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de lui pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient : « Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ». Cela ne se fait pas. Mais Jésus, vous le savez, est un peu rebelle, assez réfractaire au conformisme…

 

Avant l’épisode Zachée, Luc (ch15 ; 1 à 7) consacre trois paraboles sur ce thème du perdu retrouvé : la brebis égarée, la drachme perdue, le fils prodigue. Ces évènements nous donnent une idée des difficultés auxquelles Jésus et ses compagnons sont confrontés sur le chemin de Jérusalem. Ils témoignent du climat politique, social, religieux dans lequel se déroulent ces évènements, matrices des évangiles.

 

 

Donc revenons à notre petit Zachée.

 

Un homme discret, complexé, dissimulateur et, probablement, tourmenté. Cet homme entend dire qu’un certain Jésus, magicien, prophète, guérisseur va passer par Jéricho. Il fait, dit-on, des choses surprenantes. Intrigué, Zachée quitte son guichet. Il a envie de le voir. Mais ce un petit bonhomme méprisé préfère éviter les rassemblements. La bousculade pourrait mal tourner pour lui. Alors notre petit Zachée court et grimpe dans un sycomore. De son perchoir il a une vue imprenable.

Car si Zachée veut voir ce Jésus, il n’a pas, semble-t-il, trop envie d’être vu. Donc il se camoufle (comme Adam). Peine perdue. (Luc 19, 5) : malgré la foule qui le presse et l’entoure Jésus le voit et l’appelle « Zachée dépêche-toi de descendre car il faut que je m’arrête, aujourd’hui, chez toi ».  Qui moi ? Non seulement Jésus l’interpelle mais il connait son nom. Déjà en le nommant Jésus le rétablit dans son intégrité. Il n’est plus une fonction. Il est quelqu’un. Cet appel est comme les coups de trompette de Jéricho. Il fait tomber ses défenses. Et il le fait bouger, il le met en mouvement. Caché, immobile il était comme mort. En le dénichant, Jésus le relève, le ranime. Il le ressuscite. Zachée, l’exclu, le mal vu est bien vu de Jésus. Cet homme le regarde sans le juger. Aucun compte à régler. Il l’interpelle sans détour : « il faut que je m’arrête aujourd’hui chez toi ». Descends ! Et que ça saute, si j’ose dire.

Cet aujourd’hui, répété deux fois, est peut-être ce que ce récit nous transmet de plus important. Il résonne comme l’aujourd’hui du Notre Père. Nous ne sommes pas dans le futur des promesses, nous sommes dans le salut ici et maintenant.  

 

Alors « Zachée, s’empressa de descendre et l’accueillit avec joie ». Imaginez la scène : Jésus et Zachée, bras dessus bras dessous fendant la foule…Evidemment les braves gens, ceux qui bientôt le condamneront au nom de l’ordre, de la morale et de la religion, sont scandalisés. Image de l’institution, de nos églises ? Question ouverte…

 

Pourtant si cette foule qui acclamait Jésus était moins versatile, moins inconstante, elle verrait que Zachée n’est plus le même homme. (Mais allez arrêter la calomnie…) Ou plutôt Jésus a révélé l’autre Zachée à lui-même : en l’appelant il lui dit : « Zachée, tu vaux mieux que ce que tu es ». Ce face à face le transforme : celui qui réclamait, qui profitait va donner, réparer : « Voici Seigneur je donne aux pauvres la moitié de mes biens et, si j’ai fait du tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. »

 

Mais attention au contre sens : : ce n’est pas parce qu’il a changé qu’il est sauvé, ce n’est pas parce qu’il donne aux pauvres. Jésus ne lui a pas demandé, à lui et à ses collègues, de démissionner, de faire des travaux d’intérêts collectifs avant de venir chez lui. C’est parce qu’il est sauvé que Zachée change de vie. Ce point de vue chamboule tout. Ce regard d’amour, le renouvelle.   

 

C’est cela la bonne nouvelle. La bonne nouvelle de l’amour de Dieu qui n’est pas réservé qu’aux gens bien. L’amour de Dieu dont Jésus est porteur rejoint tout homme quel qu’il soit. Tous enfants d’Abraham. Même mal vu des autres nous sommes bien vus de Dieu.

 

C’est aussi pourquoi il peut nous arriver de nous cacher. Cet amour inconditionnel est parfois trop fort. Il nous bouleverse un peu trop. Comment le recevoir sans donnant-donnant ? Alors nous fuyons son regard. Il y a des gens comme ça qui ont peur d’être aimés. Ils pensent que c’est un fardeau alors que l’amour de Dieu libère. Voyez Zachée qui rit après Zachée qui pleure. La relation avec Dieu est gratuite. Tous péchés compris. Cette relation s’appelle la foi. Ce qui nous est demandé est tout simple : recevoir la parole, faire en nous une place pour Dieu, l’accueillir. Jésus fait sa demeure en nous. Dieu nous trouve et nous aime tels que nous sommes. Nous sommes des êtres que Dieu cherche. (Esaïe 12 : « Je serai plein de confiance et je n’aurai plus peur car l’Eternel est ma force et le sujet de mes louanges. C’est lui qui m’a sauvé ».

 

 

Mais notre histoire ne s’arrête pas là. Être pratiquant ce n’est pas (seulement) aller au culte tous les dimanches. Être pratiquant c’est mettre sa foi en pratique. Zachée passe à l’acte.  Parce que, tout de même, il faut savoir redescendre sur Terre. C’est là que nous rencontrons Jésus chaque jour. Il est à notre niveau. Il est même descendu plus bas que terre jusqu’aux enfers pour nous. La vie chrétienne est animée par ce va-et-vient. Prière-action, méditation-solidarité, écoute-parole, chant-silence…

 

 

L’Evangile nous invite à recevoir le Christ dans notre maison, dans notre vie, prêt à l’inattendu, prêt à la joie. Prêts à entendre : « Descends car il faut que je m’arrête, aujourd’hui, chez toi ». Aujourd’hui !

 

Amen