"Une question de famille" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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"Une question de famille"

Prédication du dimanche 2 juillet 2023, par Loup Cornut

 

Une question de famille

Prédication du dimanche 2 juillet 2023, par Loup Cornut

 

Lectures bibliques :

  • 2 Rois 4, versest 8 à 16
  • Matthieu 10, versets 35 à 42

 

 

Nous voici début juillet et, dans quelques jours, commenceront officiellement les vacances scolaires, celles que l’on appelle les « grandes vacances ». Ce sera parti pour deux mois sans école ; deux mois où l’on considère que tout le monde est en congés ou, du moins, lève le pied. Deux mois qu’il va falloir occuper pour certains ou qui vont être bien occupés pour d’autres. Deux mois que l’on aborde très différent selon notre âge : pour les enfants, c’est le temps, un peu trop long sans les copains ; pour les parents, cela peut être deux longs mois pendant lesquels il faudra occuper les enfants ; ou plusieurs semaines passées sans les voir parce que, suite à une séparation, ils seront avec l’autre parent. Pour les grands-parents, ce sera certainement synonyme de maison pleine, avec des flux et des reflux d’enfants et de petits enfants, de joyeuses cousinades et de tablées désordonnées mais pleines de joie !

Ces deux longs mois d’été sont souvent l’occasion de se retrouver en famille. La famille proche, parents et enfants, parce que, tout au long de l’année, chacun est pris de son côté (école, études, travail) et on ne trouve que dans ce temps long estival l’impression de vraiment passer du temps ensemble. Et puis famille plus large ; parce qu’on aura la chance d’avoir une « maison de famille » dans laquelle on pourra se retrouver, se réunir, au fil des ans et des générations.

Il y aura des repas interminables, les jeux des enfants et peut-être aussi de ses disputes que l’on imagine si facilement quand on pense aux « repas de famille ».

Dans ces retrouvailles estivales, on parle de famille, de cette famille biologique ou adoptive, de celle dans laquelle on a grandi et qui continue d’être « notre famille » même lorsque l’on est devenu adulte et que l’on a fondé sa « propre » famille. Au sein de cette famille, nous avons une place, souvent déterminée même avant notre naissance et chacun semble assigné à un rôle. Mais elle forme un tout dont on peut facilement définir les contours.

En nous réunissant aujourd’hui dans ce temple, nous nous souvenons que nous faisons aussi partie d’une autre famille. Beaucoup plus vaste, aux contours beaucoup moins précis. Oui, nous faisons partie de la famille des croyants. Nous reconnaissons en Dieu notre Père commun et nous sommes décidés à faire partie de cette innombrable fratrie. Oui, mon frère, ma sœur, paroissien ici comme moi, s’il me semble sympathique, je le prends volontiers comme frère ou comme sœur. D’un membre d’une autre paroisse ou d’une Eglise d’une autre dénomination, je me sens déjà moins sœur ; peut-être disons, cousine germaine. Et ainsi de suite, plus on s’éloigne des visages qui me sont familiers, des personnes qui, parce qu’elles ont une culture similaire à la mienne me semblent proches, moins je les ressens comme frère et sœur. Peut-être, des cousins éloignés. Et que dire de tous les hommes et femmes qui habitent le monde, comme moi, et qui sont tout autant mes frères et sœurs devant Dieu, parce que Dieu les a voulus, tout autant que moi ?

Si nous nous tournons vers les textes que nous avons lus ce matin, l’image de la famille en prend un coup ! Il faut bien reconnaître que, Jésus, la famille, ce n’est pas son truc. Il est élevé par un père qui n’est pas vraiment le sien et il a tôt fait de se choisir des frères et sœurs adoptifs sur les bords de la mer de Galilée. D’abord Simon et André, puis Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Tous sont pécheurs et, dans le cas de Jacques et de Jean, le texte nous dit qu’ils délaissèrent « leur bateau et leur père, et ils le suivirent ». Ils délaissent leur héritage à la fois matériel : le bateau, mais aussi sociologique : ils étaient pécheurs, de père en fils, ils ne le seront plus, ou alors, tout autrement ; à la suite de Jésus, ils seront des pécheurs d’hommes.

C’est à partir de cet appel des premiers disciples, qui Jésus se constitue une famille. Pour lui, ses frères et sœurs sont ceux qui font le choix de le suivre. Finalement, avec une grande modernité et une rupture radicale, Jésus nous disait déjà que la famille, c’est celle que l’on se constitue. Il a d’ailleurs des mots très durs vis-à-vis de sa mère. Un texte (en Matthieu 12) nous dit que la mère et les frères de Jésus tente de l’approcher alors qu’il est au milieu de la foule. Jésus en est averti est dit : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? Puis il étendit la main sur ses disciples et dit : Voici ma mère et mes frères ! En effet, quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

Et, dans le passage de l’évangile de Matthieu que nous venons d’entendre, il dit clairement qu’il faut aussi couper les ponts avec ses propres enfants pour le suivre !  Mais, plus sérieusement, que nous dit-il de la famille ?

Il est le fils que ses parents n’attendaient même pas. Pas d’attente, pas de projection posée sur lui. Il est élevé par un homme qui sait pertinemment qu’il n’est pas son père. Il aurait pu jouer à l’enfant unique, être le fils préféré mais il s’émancipe de tout cela et, avec les disciples, se trouvent des frères et des sœurs pour dépasser une fratrie biologique dont on ne sait rien.

A contrario, dans le récit du deuxième livre des Rois que nous avons également entendu, il est question de donner un fils, inespéré. Ce qui est étonnant dans ce récit c’est qu’aucune demande n’est adressée ni à Dieu, ni à Elisée, son prophète. Elisée est accueilli, choyé par une femme noble et son mari. Il est accueilli de la sorte parce qu’il est reconnu comme « homme de Dieu », « homme saint ». Et Elisée lui est reconnaissant de soin que la femme prend de lui et souhaite l’en remercier. Il lui fait demander ce qu’elle voudrait et elle lui fait une réponse énigmatique : elle est au milieu des siens. Une manière de dire qu’elle habite paisiblement son monde, entourée de ceux qui lui sont proches, semblables. Mais le serviteur d’Elisée va pointer le manque dans la vie de cette femme : elle n’a pas d’enfant. Dans le monde de l’ancien testament, c’est une épreuve que de ne pas avoir de descendance. Selon les critères de l’époque, et le vocabulaire employé par cette femme, elle n’a pas de famille, que des membres de son peuple, parmi lesquels elle évolue. Elle ne s’en plaint pas, elle s’est résignée, probablement, au fil des années. Le prophète lui promet un fils et elle prend cela pour un mensonge. Fonder une famille, elle n’y croit plus.

Fonder une famille… Cette expression prend l’image d’un ancrage solide, d’une construction capable de résister aux tempêtes, aux tremblements de terre, à l’érosion du temps.

Mais, à l’image des textes que nous avons lus ce matin ; à l’image de cette femme noble ou à l’image de Jésus, que penser de la famille ? Se constitue-t-elle biologiquement ? Se fonde-t-elle sur les relations que nous tissons et choisissons ?

Aujourd’hui, la famille est protéiforme : il y a les familles « classiques », les familles recomposées, les familles monoparentales, les familles homoparentales, des familles avec des parents polyamoureux, des familles amicales… Des familles que l’on subit parce que le lien biologique ne garantit ni l’entente, ni l’amour. Parfois la famille est un tel lieu de souffrance qu’on la renie, qu’on s’en sépare parce que la survie passe par là. La famille peut être un terreau d’épanouissement.

J’ai dit, tout à l’heure que Jésus rejetait sa mère. C’est vrai, un moment. Il y a aussi un très beau passage, dans l’évangile de Jean, au chapitre 19, où Jésus, sur la croix, confie Marie au disciple bien aimé. Il lui demande de la prendre comme mère et à elle, de prendre le disciple bien aimé comme fils. « Jésus, voyant sa mère et, près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : « Voici ta mère » ; Et, dès cette heure-là, le disciple la prit chez elle. » Lui, le premier né de Marie sera mort dans quelques heures et, pour ne pas la laisser « mère sans enfant », cette situation où même le vocabulaire manque pour dire l’indicible manque, pour le reste de sa vie il lui donne un nouveau fils.

Une fois de plus, pour Jésus, c’est le choix qui prime. Il nous offre une formidable liberté pour concevoir notre famille. J’aime ce verbe, « concevoir » ; il dit à la fois la part d’imagination, de représentation et l’aspect biologique. Il nous dit qu’on peut être fidèle à ses parents (il n’a pas renié son père, Joseph, il en a repris le métier) mais que l’on peut aussi se constituer une famille avec des personnes choisies. Et, avec lui, nous ne sommes plus jamais sans famille. Il est un frère auquel on peut s’adresser à chaque instant, il nous a permis de faire connaissance avec notre Père et il nous offre une foultitude de frères et de sœurs, ces femmes et ces hommes qui habitent le monde avec nous, avec lesquelles nous n’aurons jamais fini de faire des réunions de famille !

Amen