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D'agapes en agapè

Prédication du dimanche 20 juillet 2025, par Loup Cornut

 

D'agapes en agapè

Prédication du dimanche 20 juillet 2025, par Loup Cornut

 

Lectures bibliques :

  • Genèse 18, versets 1 à 10
  • Luc 10, versets 38 à 42

 

Nous venons d’entendre deux textes. Ce sont deux des textes proposés pour les lectures bibliques ce dimanche. Comme souvent, l’un est issu du premier testament (l’extrait du chapitre 18 de la Genèse) et l’autre est issu du second testament (l’extrait du chapitre 10 de l’évangile de Luc). J’ai choisi de les garder tous les deux car, malgré la distance historique qui les sépare, ils se répondent, même si cela ne semble pas évident de prime abord.

Alors, pour commencer, je voudrais vous proposer un petit jeu : un jeu des 7 différences :

Nous l’avons vu : l’un des textes est issu du premier testament, l’autre est issu du second.

Dans le texte de la Genèse, c’est une histoire d’hommes : Abraham accueille 3 hommes. Dans le texte de Luc, c’est une histoire de femmes : Marthe et Marie qui se disputent sur la bonne façon de recevoir le Christ.

Abraham voit des visiteurs passer et il court vers eux pour leur proposer de les accueillir. Alors que Marthe et Marie sont chez elles et c’est Jésus qui s’y invite.

Dans le texte de la Genèse, Abraham ne sait pas qui il reçoit. Dans le texte de Luc, Marthe et Marie savent parfaitement qu’elles reçoivent Jésus.

Nous voilà avec 4 principales différences – je vous l’accorde, ça n’en fait pas exactement 7. Mais alors, me direz-vous, quelles sont les raisons pour lesquelles j’ai choisi de garder ces textes ensemble ? Voyons aussi du côté des points communs :

Il s’agit de récit d’accueil : Abraham accueille 3 visiteurs ; Marthe et Marie accueillent Jésus.

L’accueil se fait « au domicile » de chacun : près de la tente d’Abraham, dans la maison de Marthe et de Marie.

Il y est question de repas : Abraham fait préparer un repas pour ces visiteurs inattendus, Marthe se démène pour accueillir Jésus comme il se doit.

Et nous pourrions nous demander si les 3 hommes reçus par Abraham n’ont pas quelques similitudes avec Jésus…

 

Si nous reprenons le récit de la Genèse que nous venons d’attendre, il se situe à un moment crucial de l’existence d’Abraham. Il vit sa centième année, une année qui va voir sa vie bouleversée par l’alliance que Dieu va conclure avec lui. Jusqu’à récemment, cette alliance avait beaucoup ressemblé à un effet d’annonce : Dieu avait promis une terre à Abraham et surtout, un fils. Saraï, son épouse se révélant être stérile, l’enfant promis s’est fait désespérément attendre. Et Saraï a décidé de forcer le destin : Dieu avait promis un enfant à son mari, mais elle était dans l’incapacité d’enfanter ; qu’à cela ne tienne, l’enfant promis serait conçu avec Agar, sa servante à elle. Sarah prenait alors en main le destin d’Abraham en réalisant, en quelque sorte à la place de Dieu, la promesse qui lui avait été faite.

Mais Dieu avait un plan précis, et l’enfant promis devait naître du couple que forment Abraham et Saraï. Et c’est ce qui va se jouer dans le passage sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui.

Mais un autre élément fondamental se joue dans les lignes qui précédent. Comme on le dirait pour une pièce de théâtre, nous sommes dans un récit qui dispose d’une unité de temps et de lieu. Le récit de la visite des 3 mystérieux hommes suit très directement le récit de la circoncision d’Abraham et de tout son camp. Cela fait dire à certains commentateurs que, lorsque les visiteurs se présentent devant lui, il profite de l’ombre du chêne pour se remettre de sa circoncision. On peut l’imaginer fatigué ; il est, rappelons-le, âgé et c’est la chaleur du plein midi. Il est donc dans une posture de repos. Et pourtant, dès qu’il aperçoit ces hommes, il se dresse sur ses pieds et se précipite au-devant d’eux. C’est ce mouvement même qui va illustrer la posture dans laquelle est désormais Abraham.

Malgré la douleur, la fatigue, il jaillit sur ses pieds pour interpeller ces hommes et leur offrir l’hospitalité. Il ne sait pas qui il sont mais les règles de l’hospitalité le poussent à les accueillir, et du mieux qu’il le peut.

Nous voyons là le parallèle avec nos deux sœurs, Marthe et Marie qui accueillent Jésus qui s’est, de facto, invité chez elles. Et, de la même manière, elles vont se mettre en mouvement pour effectuer les gestes d’hospitalité de leur époque (Marthe tout du moins…)

Mais, comme nous l’avons vu, une différence majeure existe entre ces deux récits : Marthe et Marie savent qui elles accueillent. Elles connaissent Jésus et savent qu’il est un Maître qui enseigne aux foules. On les considère souvent comme les sœurs de Lazare, l’ami que Jésus ressuscite 3 jours après sa mort. Elles accueillent donc Jésus à la fois comme un ami et comme un Maître.

Et Abraham ? Comment, lui, reçoit-il ses visiteurs ? Le récit est étonnant : Abraham leur propose de prendre un peu de repos et « d’aller leur chercher quelque chose à manger pour que vous vous restauriez ». La traduction nous fait perdre de la saveur du texte, car, littéralement, Abraham dit : « un morceau de pain »… « et vous soutiendrez votre cœur ». Il leur offre la pauvre nourriture dont il dispose mais qui, dans ce geste de don, aura la capacité de réconforter leur cœur. Déjà, le récit nous met sur la piste : ce n’est pas dans l’abondance de nourriture offerte que l’importance de l’hospitalité se joue, mais dans le fait d’accueillir, avec joie et humilité, des visiteurs qui se présentent à lui.

La suite du texte nous permet de comprendre qu’Abraham a discerné quelque chose de l’identité mystérieuse de ces hommes soudainement apparus devant sa tente. Il leur fait préparer un festin. Pour un repas improvisé en plein désert, il met les petits plats dans les grands. Il va chercher un « veau tendre et bon » et le fait préparer. Dans d’autres récits, le mot employé pour désigner le veau correspond à celui qui désigne le taureau offert en sacrifice. Abraham fait préparer un repas d’alliance pour ces hôtes. Dans la continuité de l’alliance réalisée par la circoncision, il dresse un repas d’alliance.

Mais pourquoi donc faire apprêter un tel repas pour de simples inconnus de passage ? Parce qu’Abraham se doute que le Seigneur se cache parmi eux. Le récit montre ce jeu de cache-cache en alternant la troisième personne du pluriel et la première personne du pluriel. Il se trouverait en présence de Dieu, escorté par deux anges.

Les anges continueront leur route au chapitre suivant et rendront visite à Loth, le neveu d’Abraham, avant la destruction de Sodome.

Abraham, à l’occasion de ce repas, poursuit son échange avec Dieu : il y a eu l’alliance scellée par la circoncision, il y a eu le repas offert comme un sacrifice et il y a le renouvellement de la promesse. Avant de partir, les hommes cherchent Sarah et annoncent à Abraham que, l’année prochaine, quand ils reviendront, elle aura un fils. Là aussi, la tournure originelle du texte est très forte, littéralement, il est écrit : « comme le temps d’un vivant ». Cela peut être compris comme le temps nécessaire à la création d’un enfant dans le sein maternel ou comme le retour de la saison des pluies qui renouvelle la végétation. Cette fois, la réalisation de la promesse est à portée de main.

Il doit être très surprenant pour Abraham que le renouvellement de cette promesse intervienne maintenant, non pas seulement parce qu’il est très âgé mais parce qu’il vient tout juste d’être circoncis. C’est alors qu’il pourrait se sentir diminué dans sa chair qu’il aura la capacité de transmettre la vie. Il a accepté au creux de lui, dans sa propre chair, une blessure, un manque. Et c’est parce qu’il a fait une place pour ce manque, que Dieu renouvelle sa promesse. Abraham ne se vit plus en situation de toute puissance : sa chair est blessée et le coup de force qu’il a réalisé en ayant Ismaël avec Agar n’a pas trompé Dieu sur la promesse qu’Il lui avait faite. C’est parce qu’il accepte désormais sa finitude que Dieu noue l’alliance avec lui.

Et cette limitation, cette finitude vont désormais mettre en mouvement tous les gestes d’Abraham. Il ne va pas se vivre en conquérant face aux tribus voisines ; il comprend que pour que des relations porteuses voient le jour, il lui faudra, à son tour, nouer des alliances.

Et c’est dans la relation apaisée aux autres tribus mais aussi à ceux de son clan qu’il pourra répandre la bénédiction que Dieu lui a offerte. Abraham devient un passeur de bénédiction. Il ne la garde pas pour lui mais l’offre aux uns et aux autres.

Contrairement à l’image que nous avons souvent du premier testament, oui, Dieu s’était choisi un peuple, oui, Il avait conclu une alliance avec lui, mais la visée de sa bénédiction était déjà universelle. Elle était, notamment par Abraham, une promesse faite à chacun.

Nous le voyons avec Jésus, dans la visite qu’il rend à Marthe et Marie. Nous découvrons, à la lecture des évangiles, combien Jésus défiait les règles de son temps. Il voulait s’adresser à tous, sans distinction de classe sociale ou de genre. Il s’invite chez des femmes et il leur permet d’écouter son enseignement. Son enseignement qui offre l’amour de Dieu et la liberté est aussi destiné aux femmes, comme Marthe et Marie, mais aussi à tous les exclus de la société. L’alliance universelle de Dieu, annoncée en Abraham, s’accomplit avec Jésus.

L’alliance matérialisée par le somptueux repas offert par Abraham sous forme d’agapes, se concrétisera avec l’Agapè partagé par Jésus dans les repas qu’il prendra avec tous les exclus.

Mais il y a un dernier point que je voudrais aborder avec vous aujourd’hui. Comment pouvons-nous vivre, ressentir et partager cette bénédiction ?

Nous avons gardé, dans notre liturgie, un temps pour vivre une sorte de repas partagé : c’est le moment de la Cène où, très simplement et très humblement, nous partageons la nourriture la plus simple qui soit : du pain et du vin. Nous prenons ce repas ensemble à l’image du dernier repas pris par Jésus avec ses disciples. Nous rappelons alors la promesse de son retour.

Mais alors, la bénédiction resterait entre les murs de nos temples ?

Nous avons laissé de côté un mot de nos récits de ce jour, un mot qui dit tout : être l’hôte de quelqu’un. La clé nous en est livrée dans un verset de l’épitre aux Hébreux : « Pratiquez l’hospitalité ; car en l’exerçant, quelques-uns ont logé des anges » (Hébreux 13,2). Ce verset évoque l’inversion de l’hospitalité : celui qui reçoit se trouve bénéficiaire d’une grâce de la part de celui qui est accueilli. Le mot hôte est intéressant en français car il est double : il signifie à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. Cette ambivalence est pleine de sens car elle induit que l’accueillant et l’accueilli sont le revers et l’avers d’une réalité unique, celle de la grâce de la rencontre.

Pour désigner l’attitude d’Abraham pour ses hôtes, les Église d’Orient utilisent le terme de « philoxénie » ; littéralement : « l’amour de l’étranger ». Cet amour de l’étranger s’exprime par le repas qu’il offre à ces trois inconnus. La philoxénie est l’exact contraire de la tristement connue xénophobie : « la peur de l’étranger ».

L’attitude d’accueil, ouverte et généreuse d’Abraham, nous montre le chemin : il ne faut pas avoir peur de l’autre, du différent, de l’étranger. Il doit être accueilli avec amour, par des gestes d’hospitalité. Le lien entre les agapes d’un repas reconstituant et l’agapè de l’amour partagé reste plus que jamais d’actualité. Et nous avons tout à y gagner, si l’on peut parler ainsi. Abraham, en offrant un repas à ses hôtes, veut les réconforter matériellement et spirituellement et c’est au final lui qui va se retrouver réconforté au plus profond de son cœur au cours de ce repas. Ce repas a déjà la vertu de le détourner de ses préoccupations (l’absence de concrétisation de la promesse faite par Dieu de lui donner un fils) et de la douleur de sa récente circoncision. Accueillir ces hommes lui fait du bien. Ces hommes lui permettent de ne plus penser à l’instant présent qu’il peut ressentir comme un enfermement mais de penser à l’avenir : en partant, ils lui annoncent la naissance prochaine de son fils, Isaac.

Dans l’accueil que nous offrons à d’autres, inconnus, lointains ou simplement méconnus, nous rejouons les gestes d’Abraham qui a accueilli des anges sans le savoir. L’autre devient un ange pour moi quand sa présence réveille une puissance intérieure de vie qui sommeillait… L’ange est celui qui me remet en contact avec l’alliance d’amour que Dieu a nouée avec moi.

 

Amen