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La liberté ou les morts

Prédication du dimanche 29 juin 2025, par Bertrand Dicale

 

La liberté ou les morts

Prédication du dimanche 29 juin 2025, par Bertrand Dicale

 

Lectures bibliques :

  • Galates 5, versets 13 à 18
  • Luc 9, versets 51 à 62

 

« Mais vous, sœurs et frères, vous avez été appelés à la liberté. »

Vous avez été appelés à la liberté : il est difficile de trouver une phrase avec un tel poids d’engagement, d’assurance, de confiance, pour des femmes et des hommes de notre siècle. La liberté est la plus belle des promesses que l’on puisse recevoir, que l’on suive le Christ ou qu’on ne le suive pas. 

Je ne parle pas seulement des fidèles de Pentemont-Luxembourg ou de leurs frères de l'Église protestante unie ni même de tous les chrétiens ; je parle de tous les humains parce dans notre pays, parce que dans nos familles – je suis persuadé que vous en avez tous fait l’expérience – on entend souvent rejeter, refuser, renier même, le Christ et le christianisme précisément au nom de la liberté.

Et pourtant, cette affirmation de Paul est peut-être une de ses phrases les plus universelles, les plus éternelles si ce mot peut avoir un sens lorsque l'on parle de l'humanité.

« Vous avez été appelés à la liberté. »

Et c’est aussi de liberté que parle le Christ dans les citations qu’en fait Luc – même si ces paroles de Jésus peuvent sembler dures, brutales, opaques.

 

« Vous avez été appelés à la liberté. »

L’épitre aux Galates a été vraisemblablement écrite en 50 ou 51. Authentifiée comme étant de la main de Paul, elle est en parfaite cohérence avec d'autres textes qui comptent énormément pour nous, comme le fameux chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens qui affirme : « Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance, l'amour ; mais la plus grande de ces choses est l'amour. »

Comme souvent dans les lettres de Paul aux communautés éparpillées de la toute jeune église chrétienne, le propos est tranchant, peut paraitre excessif dans son exigence de dépassement d’une frontière.

Un petit mot de contexte, alors : les Galates auxquels s’adresse Paul sont une communauté de païens convertis au christianisme et qui, après son passage parmi eux, ont été visités par des chrétiens d'origine juive qui les ont incités à se circoncire. Le chapitre 5, dont est extrait notre passage d'aujourd'hui, commence par ce verset : « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. » Ensuite, Paul explique que la circoncision n'est pas nécessaire dès lors que l’on suit Jésus – et c’est le cœur de sa prédication aux païens, prédication qui affranchit des obligations instituées dans l’Ancien Testament pour le peuple élu, car le Christ s’adresse à tous les humains.

Et c’est à tous les humains que Paul affirme que la liberté ne consiste pas à suivre les penchants humains mais à se laisser guider par l’amour, à se mettre au service les uns des autres puisque le Christ a enjoint d’aimer son prochain comme soi-même.

Paul insiste sur deux dimensions de la liberté : la liberté qui nous est donnée par le Christ, et la liberté à laquelle le Christ nous appelle. D’une part, le don ; de l’autre, l’appel.

Le don, c’est l’Esprit saint qui, agissant en nous, détourne de ces passions humaines qui entravent et qui condamnent – et notamment le penchant à se mordre, à se dévorer les uns, les autres.

L’appel, c’est cette injonction : « laissez l’Esprit saint conduire votre vie et vous n’obéirez plus aux mauvais penchants ». Quand il parle de désirs de l’Esprit « contraires à ceux de l’être humain », il parle encore du commandement d’amour qu’a donné le Christ – et donc il précise, dans son combat contre le judaïsme orthodoxe et orthopraxe du Ier siècle : « si l’Esprit vous conduit, vous n’êtes plus soumis à la Loi » – la Loi avec une majuscule, c’est-à-dire l’ensemble des règles du judaïsme – les distinctions héréditaires entre les tribus d’Israël, les prescriptions alimentaires, le respect du sabbat…

Et cela nous amène à l’évangile lu aujourd’hui.

Au chapitre 9 de Luc, beaucoup d’épisodes importants se succèdent avant que le Christ ne se mette en marche vers Jérusalem et sa mort. Il a envoyé les douze prêcher et accomplir des guérisons dans les villages des alentours, un miracle est survenu près de Bethsaïda quand cinq mille hommes ont été nourris avec cinq pains et deux poissons, Pierre est le premier à dire à Jésus qu’il le croit être le Messie de Dieu, puis survient la Transfiguration et l’annonce par le Christ de sa mort prochaine...

Puis vient ce passage que nous avons lu.

Le Christ propose de faire étape dans un village samaritain. Toujours séparés du judaïsme majoritaire, aujourd’hui encore – ils sont à peine un millier en Israël actuellement –, les Samaritains sont des Juifs qui n’ont pas connu l’exil ; pour eux, Jérusalem n’a pas l’importance qu’elle a pour les autres Juifs, et notamment pour le milieu religieux d’où viennent Jésus et ses premiers disciples. Et voilà pourquoi – dans ce pays – se toisent, s’évitent soigneusement, se méprisent, se détestent des Juifs qui pensent que d’autres Juifs ne sont pas vraiment Juifs. Et vous savez, par conséquent, la valeur des premières leçons de Jésus quant à la tolérance, la liberté, la fraternité étendue à l’humanité entière, j’irais presque dire une pré-démocratie en tant que conception d’une liberté des autres comprise comme la condition de sa propre liberté – eh bien, ces premiers actes de respect de l’autre dans sa différence spirituelle, c’est à propos des Samaritains, justement. Vous avez sur votre feuille de culte le rappel d’une scène magnifique racontée par l’évangéliste Jean.

En revenant à Luc, voici l’illustration parfaite de l’affirmation de Paul selon laquelle : « L'esprit a des désirs contraires à ceux de l'être humain. » Cela ne concerne pas seulement des chrétiens qui font ce qu'ils peuvent sur leur chemin spirituel, mais aussi des champions de la foi – deux parmi les premiers humains à suivre le Christ, Jacques et Jean, qui se sentent soudain gonflés à la fois d'une rage débordante et d'une vanité de prophètes qui sauraient déclencher le feu du ciel pour écraser un village samaritain.

Et le feu du ciel qui convoquent Jacques et Jean, après tout, cela peut ressembler à un couteau de cuisine, à une arme automatique, à dix kilos de Semtex. Il y a d'ailleurs assez peu d'occurrences dans le Nouveau Testament de cette capacité bien connue chez les humains à aller exterminer le village qui n'a pas la même religion, mais c’est une passion que notre monde contemporain connait bien, non ?

 

Et d’ailleurs cela nous amène à une petite précision quant au texte que l’on a lu.

Quand on est enfant ou quand on n’a pas beaucoup lu la Bible encore, ou quand on appartient à une vieille église chrétienne privilégiant le poids de la tradition par rapport au souffle renouvelé et renouvelant de l'Esprit Saint, on peut facilement croire que la Bible fut écrite il y a quelques dizaines de siècles d’une manière immuable et qu’elle nous parvient aujourd’hui dans une traduction parfaite et tout aussi immuable.

Alors, si vous voulez bien, je vais attirer votre attention sur l'actualité du texte biblique, et en l’occurrence l’actualité de l’évangile de Luc. Le texte que nous avons entendu est connu d'une grande partie de notre assemblée et il est bien possible qu’à la lecture tout à l'heure – merci encore Guillaume/Christine – il vous ait semblé que quelque chose manquait : les remontrances faites par le Christ à Jacques et Jean qui voudraient que le feu du ciel détruise le village samaritain. Nous avons lu : « Jésus se tourna vers eux et leur fit des reproches. Et ils allèrent dans un autre village. »

Or, si vous avez commencé à lire la Bible dans la traduction Segond, par exemple, vous avez peut-être le souvenir que Luc est plus précis : « Jésus se tourna vers eux, et les réprimanda, disant : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés. Car le Fils de l’homme est venu, non pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver. » Et ils allèrent dans un autre bourg. » (Vous avez ce texte aussi sur la feuille de culte.)

Je ne vais pas vous assommer d’explications sur la disparition de cette citation du Christ de l’évangile de Luc mais la Bible en français courant – la traduction que nous lisons dans cette paroisse – est une construction œcuménique et perpétuellement révisée à partir des sources antiques. Et il y a plusieurs manuscrits de référence en grec utilisés pour chaque évangile, et des efforts de vérification, de convergence, de cohérence, qui apportent toujours des précisions – y compris la suppression de deux phrases qui n’ont plus semblé assez authentiques au regard des critères actuels d’authentification du texte biblique. Et pourtant, deux phrases qui précisent bien la pensée du Christ.

 

Mais, avec cet exercice de réévaluation permanente des sources antiques de la Bible, nous sommes exactement dans l’obéissance aux paroles du Christ dans les versets suivants. Interroger le texte, le relire, le retraduire pour le comprendre et le recomprendre, c’est exactement ce dont parle – pas seulement, mais entre autres – ce dont parle le Christ dans les derniers versets de notre lecture d’aujourd’hui – laisser les morts enterrer les morts, labourer sans regarder en arrière...

Une remarque sur le texte, encore : « ils étaient en chemin lorsque quelqu'un dit à Jésus ». Quelqu'un. Au verset suivant « un autre » et « cette personne ». Au dernier verset : « un autre encore ». Pas de désignation par un nom, une origine, une caractéristique physique ou sociale – une veuve, un centurion, un malade, un collecteur d’impôts… Juste quelqu'un, une personne, un autre – c’est-à-dire n’importe qui, c’est-à-dire nous-mêmes.

Et trois positions : le premier à se faire répondre durement a déclaré vouloir suivre le Christ, le deuxième est appelé par Jésus et le troisième… on ne sait pas. Pourtant, cet anonyme qui veut dire adieu aux siens rappelle un personnage de l’Ancien Testament : dans le premier livre des Rois, chapitre 19, quand le prophète Élie invite Élisée à lui succéder, celui-ci ne part pas immédiatement : « Alors Élisée abandonna ses bêtes et courut dire à Élie: « Laisse-moi aller embrasser mon père et ma mère, après quoi je te suivrai. » – « Mais tu peux retourner à ton travail, répondit Élie. Est-ce que je t'ai demandé quelque chose? » Élisée retourna à son champ. Là il prit ses deux bœufs et il les sacrifia. Avec la charrue il fit du feu pour cuire la viande; il la donna ensuite aux gens qui étaient présents, et ils la mangèrent. Puis il suivit Élie et devint son serviteur. »

Alors qu’avec Jésus : « Celui qui se met à labourer puis regarde en arrière n'est pas fait pour le règne de Dieu. » Pas de rites : on emboite le pas sans délai au Christ.

 Et cette autre parole sèche quand « un autre » demande le temps d’enterrer son père : « Laisse les morts enterrer les morts ; et toi, va annoncer le règne de Dieu. »

Les trois réponses du Christ disent trois singularités du chemin qu’il propose, et qui seront des caractéristiques de la foi de Chrétiens tels que nous : il dit n’avoir pas de terrier ou de nid – c’est-à-dire qu’il n’a pas de lieu – pas de terre sacrée, de bâtiment sacré, et surtout qu’il ne pose sa tête nulle part, c’est-à-dire qu’il est possiblement partout, dans tous les lieux de nos vies, et dans tous les lieux où sont les hommes.

Quand il dit – 2 – qu’il faut laisser les morts enterrer les morts, il refuse le carcan de la tradition, de la lignée qui enferme, de la vision clanique de l’humanité et du monde. Dans une époque où parler des racines chrétiennes de notre pays est souvent une manœuvre politicienne destinée à affirmer que rien de doit changer et que – même – il serait bien que notre société revienne à ce qu’elle fut jadis, dans le temps brumeux d’une nation immobile, des bons points à l’école et du sabot dondaine, il est peut-être utile de méditer comment s’articulent la liberté – le don de la liberté, l’appel à la liberté que déploie Paul – comment s’articulent la liberté et le fait de tourner le dos à ces morts-là. Parce que le Christ ne dit pas qu’il ne faudra plus jamais aller à l’enterrement de son père ou de sa mère ; il dit que le service de l’amour, que le commandement d’aimer son prochain comme soi-même doit être accompli sans délai, et sans craindre de rompre avec ce que l’on croit être indispensable à nos vies – enterrer son père, alors, c’est être retenu en arrière.

Et quand – 3 – le Christ dit de labourer sans regarder derrière soi, il parle simplement d’aller de l’avant, de ne pas se laisser entraver par le passé, par ce que l’on abandonne quand on décide de le suivre, lui. 

Laisser les morts enterrer les morts, c’est abandonner ce qui est appelé « les penchants humains » dans la traduction de l’épitre aux Galates – c’est-à-dire dans ce texte-là, les rites, les immobilismes, les traditions qui ne servent plus à rien après le Christ.

Laisser les morts enterrer les morts, c’est abandonner tout ce contre quoi se dresse la prédication de Jésus : le règne de l’avarice, la tentation de la violence, l’hypocrisie religieuse, l’inconduite… mais sans que l’on puisse établir des listes de comportements interdits, puisque le Christ ne s’y attarde guère. Il préfère parler d’aimer.

Et c’est peut-être cela le plus important dans nos lectures d’aujourd’hui : nous entendons tous ce que dit le Christ, dans les mêmes termes à chacun d’entre nous quand il parle d’aimer, quand il décrit ce que Paul va exposer comme une immense liberté. Mais les morts que nous allons laisser enterrer les morts, ils sont différents pour chacun d’entre nous – le désir d’argent, la vanité sociale, la rancune familiale, la nostalgie d’un âge d’or, le ressentiment, la prison de l’alcool, le remord, l’ennui, la colère… Peu importe. Le Christ nous enjoint de ne pas nous attarder auprès de ces morts-là. Ils n’ont pas besoin de nous mais nous croyons leur devoir quelque chose. Au risque de ne pas saisir la liberté dont le Seigneur nous fait le don.

Amen.