Mais pourquoi ça n'a pas marché ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Mais pourquoi ça n'a pas marché ?

Prédication du dimanche 8 octobre 2023, par Loup Cornut

 

Mais pourquoi ça n'a pas marché ?

Prédication du dimanche 8 octobre 2023, par Loup Cornut

 

Lecture biblique : Esaïe 5, versets 1 à 7

 

Mais pourquoi ça n’a pas marché ?

Qu’est-ce que j’ai raté ? qu’est-ce que je n’ai pas fait correctement ? où ai-je failli pour en arriver là ? pourquoi est-ce que ça ne marche pas ?

Quel parent ne s’est pas posé cette question face à un enfant qui n’est pas dans la droite ligne de ce que l’on attend ? J’ai été présent, disponible, je fais de mon mieux pour le soutenir, l’encourager, l’aider à grandir et à se développer… Je suis à son écoute, je l’ai inscrit à des activités extra-scolaires, j’ai veillé à son développement affectif, social… Bref, j’ai coché toutes les cases du « guide pour bien élever son enfant » et pourtant… pourtant… il ne donne pas les fruits que j’espérais… Soupir ! Gros soupir !

On sent là tout le désarroi qui parent qui est convaincu d’avoir fait au mieux et qui a l’impression d’être mis en face de son échec. Sa progéniture, la chair de sa chair ne présente pas les résultats que l’on espérait ; des résultats dont on estime qu’ils ne sont pas à la hauteur de notre investissement.

C’est le cri que l’on entend dans le texte d’Esaïe que nous venons d’entendre : « Qu’y avait-il encore à faire pour ma vigne que je n’aie pas fait pour elle ? » En gros : j’ai tout fait mais ça n’a pas marché !

Il s’agit d’un passage du livre d’Esaïe qui est un prophète. La grande ligne est : c’est un prophète donc il porte vers le peuple un message venant de Dieu. Le livre d’Esaïe est particulièrement long, près de 66 chapitres et il est communément admis qu’il se divise en trois parties. Nous nous intéressons ici à la première, puisque notre passage se situe au tout début du chapitre 5. Ce qui est intéressant, avec le livre d’Esaïe, c’est qu’il tourne autour de la période de l’exil. Et, même si les trois parties ont été écrites à distance les unes des autres, il y a quand même eu un mélange des styles et des perspectives.

Une de spécificité de ce « premier Esaïe », la partie que l’on attribue vraiment au prophète est qu’il s’engage dans l’idée à la fois de jugement du peuple hébreu mais surtout de son salut. Pour faire simple, il n’est pas un prophète de malheur ! Il ouvre sur un espoir et ce n’est pas pour rien que le livre d’Esaïe est souvent mis en avant pour annoncer la venue de Jésus.

Comme bien d’autres livres du premier testament, le livre d’Esaïe est une collection de textes, de formes diverses mais qui recèlent un sens poétique très fort. Et nous le voyons avec l’extrait qui nous intéresse aujourd’hui. Ce texte est souvent appelé « le chant de la vigne ». C’est ainsi que le passage commence « laissez-moi, je vous prie, changer pour mon ami le chant de mon bien-aimé pour sa vigne ». On est sur un registre lyrique qui dit à la fois l’enthousiasme (comme la fierté d’un parent parlant de son enfant) et qui va aussi permettre d’amener les reproches sur un ton qui ne sera pas trop velléitaire. Il s’agit donc d’un chant et c’est un motif que le prophète va utiliser à plusieurs reprises, pas seulement dans notre texte.

Nous avons donc ce motif du chant qui s’ouvre sur une envolée lyrique et poétique. On retrouve la poésie et l’élan du Cantique des Cantiques. Et d’ailleurs, cette vigne est aussi présente dans le Cantique des cantiques. On a là deux mêmes écritures poétiques et une image de la vigne qui est à interpréter. Chez Esaïe il s’agit d’une vigne dont on a pris grand soin et qui a pourtant donné de mauvais fruits alors que, dans le Cantique des Cantiques, la jeune fiancée est accusée de ne pas avoir préservé et pris soin de sa vigne. Si vous me permettrez le jeu de mots, la vigne n’a pas toujours bonne presse.

Elle est la première plante que Noé plante après le déluge.

Celle-ci donnera de beaux fruits, du bon vin, à tel point que Noé, enivré, dévoilera sa nudité à ses fils et entrainera la malédiction sur l’un d’entre eux. La vigne du cantique des cantiques semble être ce que la jeune fiancée a de plus précieux et qu’elle doit garder jalousement.

C’est cette même vigne à garder jalousement dont nous parle le texte d’Esaïe. Regardons un peu tous les efforts déployer pour s’assurer de sa croissance. Elle a été plantée sur un côteau fertile. On imagine le temps passer à rechercher la meilleure parcelle, à s’assurer de l’ensoleillement, à vérifier la qualité de la terre… Les pierres ont été ôtées : pour que la vigne pousse bien, il ne faut pas de cailloux, simplement des pierres pour retenir suffisamment d’eau de pluie pour assurer une bonne imprégnation du sol. Et puis, dans notre texte, sur cette terre parfaitement choisie, il faut planter un « cépage de choix », celui qui promettait le meilleur. Vous voyez mon allusion à l’éducation de toute à l’heure ? On retrouve la même dynamique : on veut le meilleur pour son enfant. Alors, on essaie de vivre dans un « bon » ou « beau » quartier, on choisit les meilleurs établissements, on essaie de lui faire la vie la plus douce possible en supprimant les obstacles (ces vilains cailloux) qui pourraient nuire à son développement. Et puis, comme c’est notre enfant, on est déjà convaincu que c’est le meilleur avec qu’avec tout le mal que l’on se donne, tout ce que l’on met en place, il va devenir un adulte fantastique, brillant ! Des fois, on va même encore plus loin, en voulant le protéger de tout, on met en place des systèmes de surveillance, vous savez, comme les systèmes qu’on glisse dans les cartables ou les applications que l’on met sur les téléphones portables pour savoir en permanence où est notre enfant ; pensant que savoir où il est le préservera du danger. Bref, on le protège et c’est aussi ce qui se passe dans notre récit : une fois la vigne plantée sur la parcelle idéale, on bâtit une tour pour la protéger. A chaque instant, la vigne sera surveillée, protégée, depuis cette tour.

D’accord, mais pourquoi le prophète nous parle-t-il de vigne et moi je vous parle d’éducation ? Parce que cette vigne n’est ni plus ni moins que le peuple que Dieu s’est choisi. Et, dans notre passage d’Esaïe on a comme l’impression que Dieu fait face à une crise d’adolescence de sa progéniture. Il a pourtant tout bien fait : il n’a pas choisi son peuple au hasard, il lui a donné les meilleures conditions pour se développer, il a en pris soin, il l’a protégé et pourtant… pourtant… son peuple file du mauvais coton, littéralement donne de la mauvaise graine !

Et là, nous avons cette exclamation que j’ai relevée pour commencer : « qu’y avait-il encore à faire à ma vigne que je n’aie pas fait pour elle » ?! On croirait le parent, rencontrant un autre parent, qui se lamente sur son sort. Regarde : j’ai tout fait pour lui et regarde comme il se comporte ! Dieu est déçu, dépité, malgré tous ses efforts, son peuple a pris une mauvaise direction et ne l’écoute pas. C’est tout le discours du prophète Esaïe qui s’évertue à convaincre le roi de continuer à faire confiance à Dieu, mais sans y parvenir.

J’aime à penser que Dieu, comme tout parent, a parfois dû revoir ses modèles éducatifs. Si on veut faire un raccourci, on peut dire qu’il avait un enfant préféré, avec le peuple hébreu, et qu’il a commencé par mettre en œuvre une éducation très stricte. La Loi, les règles, les interdits, les rappels à l’ordre avec les prophètes. Préceptes, surveillance, punitions, tout y était ! Mais ça n’a pas fonctionné ! Pris dans un carcan, le peuple a voulu prendre la tangente. Trop de contraintes étouffent, pour un enfant, comme pour le peuple hébreu.

Ce qui est intéressant, c’est la suite du texte. Le texte a commencé de façon très enjouée pour arriver à l’exclamation pivot « qu’y avait-il encore à faire à ma vigne que je n’aie fait pour elle ? » et ensuite, arrive l’énoncé de la sentence. La vigne ne sera plus protégée : « j’en arracherai la haie […] j’ouvrirai des brèches dans sa clôture ».

La vigne sera, ni plus ni moins, exposée au monde extérieur. Comme l’enfant que l’on cesse de protéger de tout et qui doit peu à peu après à composer avec le Monde. Il en découvre toute l’étendue mais les dangers, et il apprend aussi à y faire face, bien mieux que protégé derrière des murs. Dieu se rend compte que surprotéger son peuple l’empêche de grandir et de croître. Il doit le laisser aller, faire ses propres expériences en espérant que, malgré tout, tout ce qu’il lui a transmis ne sera pas perdu.

Bien sûr, Dieu n’abandonne pas son peuple et ne s’en détourne pas. Mais il lui permet de devoir trouver en lui les ressources pour continuer à grandir. Il ouvre son peuple aux échanges, au contact avec d’autres peuples, au risque du danger, certes. Mais maintenir un enfant sous sa coupe n’en jamais fait un adulte.

J’ai envie de penser que ce passage témoigne d’un tournant dans le rapport de Dieu à son peuple, dans cette image d’éducation. Les règles, indispensables à la petite enfance, doivent maintenant laisser place à plus de liberté. C’est un mouvement qui se poursuivra avec l’incarnation. On pourrait imaginer, Dieu qui envoie son fils parler aux hommes sur le ton de : vas-y toi, moi j’ai du mal à leur parler. Jésus deviendra ainsi le frère ainé qui peut rétablir le lien entre sa turbulente fratrie (les hommes et les femmes de cette terre) et notre père à tous avec lequel les relations ne sont pas toujours fluides. Il sera la voix de la raison : il permettra de maintenir le lien, d’une autre manière. Et aujourd’hui, la crise d’adolescence étant passée, on peut renouer un dialogue. Ce texte est peut-être un jalon dans la Révélation, un moment charnière qui va amener Dieu à envisager l’incarnation. D’ailleurs, aucun autre texte mieux qu’Esaïe n’annonce la venue du Christ.

Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ? Notre relation à Dieu est un cheminement constant. On peut, selon les périodes, se sentir très proche ou un peu distant ; on peut se sentir en crise ou fâché. Notre relation à Dieu est loin d’être statique. Mais sa relation à nous ne l’est pas non plus ! La preuve ce texte de ce matin ; Lui aussi a dû revoir sa façon de faire. Notre relation va et vient, comme un mouvement de vagues. Mais nous ne sommes pas enracinés sur un côteau, enfermé par des murs et surveillés depuis une tour. A la lumière de ce texte, la venue du Christ parmi les hommes, montre de façon encore plus vive tous les ajustements auxquels Dieu est prêt pour nous rejoindre, pour prendre soin de nous et nous permettre de grandir. Nous sommes assurés qu’Il porte sans cesse sur nous ce regard plein d’amour d’un parent mais aussi qu’Il nous permet tous les jours de croître dans sa Lumière.

Amen .