Texte - "Le messie, un homme providentiel ?" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Texte - "Le messie, un homme providentiel ?"

Prédication du dimanche 8 décembre 2019 par Lionel Thébaud, étudiant en Master 2 de théologie à l'Institut protestant de théologie, en stage dans notre paroisse.

Lectures bibliques :

Romains 15, 4 à 9

Matthieu 3, 1 à 12

Esaïe 11, 1 à 10

Dans ma bibliothèque, j'ai un gros livre intitulé "La Bible de l'humour juif". C'est ma deuxième bible, en fait. C'est un recueil de blagues juives collectionnées par le rabbin français Marc-Alain Ouaknin. J'en ai choisi une pour vous ce soir. C'est l'histoire d'un juif qui est au chômage. Il va voir son rabbin et il lui demande s'il n'a pas un p'tit boulot à lui confier. Le rabbin lui propose de se tenir aux portes de la ville et d'y attendre le messie : "comme ça, dès qu'il arrive, tu préviens tout le monde". Le chômeur n'est pas très content de la proposition du rabbin, parce qu'il sent bien qu'il risque de ne jamais être payé. Mais le rabbin lui dit : "sois heureux : au moins tu as la sécurité de l'emploi!"
L'avent, c'est la préparation de Noël. L'avent, c'est l'attente du messie. De sa naissance. Nous faisons mémoire de cette attente parce que nous croyons que le messie est venu. L'avent, c'est l'occasion de nous demander ce que ça signifie d'attendre un messie.


Le messie est une notion qui a beaucoup évolué au fil des siècles. Israël a connu plusieurs messies : par exemple, au chapitre 45, Esaïe qualifie Cyrus, l'empereur perse, de messie. Cyrus, c'est celui qui a mis fin à l'exil à Babylone - c'est au 6è siècle avant notre ère - en autorisant les Judéens à retourner sur leur terre et reconstruire leur temple.
Le passage d'Esaie 11 est lu par les traditions bibliques comme faisant référence au messie qui doit venir. Le messie y est décrit comme vertueux, juste, capable de juger et de punir les ennemis. On dit qu'il dirigera la nation avec rigueur et sévérité, et le que peuple en sera heureux. On dit qu'il apportera une paix incroyable, au point que nous verrons le lion manger du fourrage avec le bœuf. On voit là se dessiner la figure d'un homme providentiel, c'est-à-dire un homme duquel on attend que tous nos problèmes soient réglés. Cette annonce me laisse songeur.


Messie, c'est un terme peut-être compliqué pour nous, mais ça veut dire qu'un prophète a mis de l'huile sur la tête d'un personnage dans le but de le consacrer à une mission particulière. Le terme de messie est associé aux prêtres, aux rois et aux prophètes. Tous ces gens étaient oints au moment de leur investiture, et on dit que l'Esprit de Dieu descendait sur eux au moment de leur onction. Ce n'est qu'après l'exil à Babylone que le terme messie a pris une connotation de sauveur idéalisé, sensé rétablir la royauté perdue. Je vous rappelle que messie, oint, Christ, ce sont des mots qui désignent la même réalité : il s'agit d'une personne désignée par Dieu pour réaliser une œuvre décisive dans l'histoire du peuple d'Israël.
Avec Esaïe, on voit un peuple en grande détresse qui attend un messie qui soit un homme providentiel. Un messie qui serait un roi sauveur et vengeur de l'honneur national. Le prophète Samuel avait mis le peuple en garde lorsqu'il a désiré avoir un roi : Dieu sait que lorsqu'un être humain est dans une position de pouvoir, il en abuse. Dans 1 Samuel 8, il prévient que le roi réduira le peuple en esclavage. "Alors vous vous plaindrez au Seigneur à cause du roi que vous vous serez choisi, mais il ne vous répondra pas", dit Dieu. Dieu semble donc ne pas trop apprécier l'organisation politique, même s'il accepte - par principe pédagogique peut-être - que son peuple se dote d'un roi.


Quand je regarde le monde politique je me dis que personne n'est à la hauteur de nos désirs collectifs. J'ai l'impression que les abus nous ont désabusé. D'un autre côté, j'entends des gens qui veulent introduire un peu d'espoir, et qui proclament "non, les politiques ne sont pas tous pourris". Des gens qui veulent y croire, parce que ne plus y croire serait sombrer dans le désespoir. Donc, pour schématiser : d'un côté des personnes qui sont désabusées et qui n'attendent plus grand-chose des politiques, et de l'autre des personnes qui veulent y croire envers et contre tout, quitte parfois à nier la réalité des problèmes. Mais quand nous sommes dans des temps troublés, quand nos sécurités sont remises en question, nous en venons à espérer qu'une personne forte, avec une grande autorité, prendra la situation en mains. J'ai l'impression que de plus en plus de personnes veulent des chefs qui décident à notre place, des chefs qui savent ce qui est bon pour nous. Des gens à qui nous n'aurions qu'à obéir pour que notre vie soit paisible. Il faut un leader. Un meneur. Un homme quoi, un vrai. Ce genre d'attente me fait peur. L'histoire nous montre que les humains, quand ils ont le pouvoir, n'ont pas nécessairement les vertus que le pouvoir exige. Quand les intérêts personnels passent avant les intérêts publics, quand les lois protègent les intérêts des copains, je doute qu'on puisse encore parler de bien commun. La Bible nous l'avait dit : "il n'y a pas un juste, pas même un seul". Il n'y a donc aucune raison pour que le personnage politique soit plus juste que nous, c'est un principe de réalité. Jésus, en Matthieu 20, dit : "Vous savez que les chefs des peuples les commandent en maîtres et que les grands personnages leur font sentir leur pouvoir. Mais cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous." Segond traduit : "Vous savez que les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les asservissent." On retrouve ici la critique que nous avons vue en Samuel. Les chefs que nous attendons ne seront jamais à la hauteur de l'exigence de justice que Dieu attend, et que nous aussi nous attendons.

 

Est-ce que ça veut dire qu'il faut délaisser la question politique? Qu'ils sont tous pourris, comme on l'entend dire? Il ne faut pas trop vite évacuer cette question. Il faut l'écouter et l'étudier, parce que la Bible, je l'ai montré, porte cette question avec honnêteté et lucidité. Mais surtout, il faut penser cette question à partir de l'Evangile, qui nous donne plus que de l'espoir : l'Evangile nous donne l'espérance. Mais qu'est-ce que ça signifie, de dire que l'Evangile nous donne de l'espérance, devant ce constat que, socialement, politiquement, écologiquement, économiquement, l'étau se resserre et qu'on ne voit pas de solution? Sommes-nous invité·e·s à croire en des chimères? A jouer les Bisounours?

 

Les premières communautés chrétiennes ont relu l'histoire de Jésus à l'aune des Écritures, désignant leur maître comme étant le messie qui devait venir. Il est venu dans des conditions très précaires, selon le récit chrétien : un bébé né dans une étable, dans un foyer fragile. Et c'est peut-être pour ça que les Judéens de l'époque ne l'ont pas reconnu : ils attendaient l'homme providentiel. Et pour moi, Jésus-Christ était vraiment le messie attendu. Pourtant, la paix promise n'est pas arrivée. Le loup ne dort toujours pas avec l'agneau. Et Jésus le messie n'a pas exterminé les méchants. Au lieu de ça, il nous a révélé que nous sommes tous et toutes méchant·e·s et que nous sommes tous et toutes placé·e·s sous le sceau de la grâce. Les mauvaises personnes que nous sommes sont gracié·e·s et avancent sur un chemin de transformation. Par conséquent, l'extermination des méchants telle que le texte la décrit risque de ne pas avoir lieu. Le messie n'a pas résolu nos problèmes politiques mais il s'est attaqué à la dynamique du péché. Et surtout Jésus n'a pas été un chef impitoyable, mais il s'est fait notre serviteur, en allant jusqu'au service de sa mort. En somme, Jésus-Christ, vrai messie, a cassé l'image que nous nous faisions de l'homme providentiel. Le messie est décrit comme un agneau que l'on mène à la boucherie. Sur lui repose la colombe. Il prêche le pardon, la grâce et l'amour. Il nous délègue nombre de responsabilités, ayant pris sur lui ce que nous étions incapables de réaliser.

 

J'aime me rappeler que "chrétien" signifie "petit Christ", "petit messie". Qu'avec son Esprit, nous marchons à sa suite. Et j'aime me dire qu'au fond, le programme messianique qui prévoit une paix incroyable doit être initié par le peuple de Dieu. Nous qui constituons une partie du peuple de Dieu dans le monde, nous avons l'Esprit du Seigneur sans cesse avec nous, l'Esprit qui donne la sagesse et le discernement, l'aptitude à décider et la vaillance, l'Esprit qui fait connaître le Seigneur et enseigne à l'honorer. Il nous inspirera d'honorer le Seigneur. Nous ne jugerons pas selon les apparences, nous ne déciderons rien d'après les racontars. Mais nous rendrons justice aux défavorisés, nous serons justes pour les pauvres du pays. Voilà ce que j'aimerais nous voir devenir, à l'image de notre messie. Parce qu'alors nous commencerons à vivre une paix incroyable dans le respect de la Création. Plutôt que de chercher un homme providentiel, je vous invite à rester vigilant·e·s et à questionner les pouvoirs. Nous avons pour tâche d'interpeller toute personne en situation d'autorité pour l'inciter à être plus juste, à l'image de Jésus. Pas en donneurs.ses de leçons, mais en ayant conscience d'être des personnes injustes et graciées. Et si nous sommes nous-mêmes en situation d'autorité, ce qui n'est vraiment pas une place facile, alors nous sommes invité·e·s par l'Esprit de Dieu à être à l'écoute des plus démuni·e·s pour chercher des solutions qui leur permettent de vivre mieux. Nous sommes invité·e·s à mettre en place tout ce qui peut faciliter les conditions d'une paix durable. Et nous devons avoir conscience que s'il n'existe aucune solution qui soitparfaite, nous devons néanmoins essayer, parce que c'est une manière concrète d'aimer son prochain comme soi même que de modifier les conditions de vie des gens.

 

En ce deuxième dimanche de l'avent, je nous invite à déposer aux pieds de Dieu notre attente d'un homme providentiel. A remplacer cette attente par l'image de Dieu en nous : sa douceur, sa bienveillance et sa miséricorde. Il est le Dieu du dialogue, de la Parole et de la relation. Le Dieu pauvre, faible et patient. Le Dieu de la vie vivante et vivifiante, de la résurrection et de l'espérance. J'aimerais que nous prenions vraiment,en tant que peuple de Dieu, nos vies en mains, avec responsabilité, et que nous devenions le changement que nous voudrions voir advenir. Qu'ensemble nous devenions un peuple providentiel, courageux en amour et distributeur de grâce, capable de permettre à chacun et à chacune de trouver sa place pour la gloire de Dieu. Parce qu'à mes yeux, et à la suite de notre messie : l'homme providentiel, c'est nous, ensemble! Amen.