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Servir, comme une pierre

Prédication du dimanche 7 mai 2023, par Bertrand Dicale

 

« Servir, comme une pierre »

 

Prédication du dimanche 7 mai 2023, par Bertrand Dicale

Lectures bibliques :

  • Jean 14, versets 1 à 7
  • Actes 6, versets 1 à 7
  • 1 Pierre 2, versets 4 et 5

 

Dans cette paroisse, comme dans des milliers de paroisses de nombreuses dénominations protestantes ou de l’église catholique romaine, la succession de nos lectures, dimanche après dimanche, se fonde sur un programme établi par une équipe œcuménique de théologiens, la Bible en six ans. Et les trois textes que nous avons lus ce matin portent chacun un éclat de la parole de Dieu, profuse, diverse, diffractée, proliférante. On pourrait méditer indépendamment chacun de ces textes – longuement, profondément – selon plusieurs angles, tant chacun porte de sens et de directions potentielles pour la réflexion et la prière.

Mais si ces trois textes, tirés de l’évangile de Jean, des Actes des apôtres et de la Ire Épitre de Pierre ont été réunis par la Bible en six ans, c’est parce qu’ils portent ensemble un propos qu’il m’a semblé intéressant de partager avec vous – vous et moi qui sommes croyants, qui avons une vie dans le siècle et qui nous demandons comment ces deux dimensions de nos existences peuvent trouver un point de jonction alors que nous n’avons pas décidé de les faire totalement coïncider – par exemple en devenant pasteur ou en travaillant à plein temps pour l’église…

Et c’est pourquoi nous avons dérogé à l’ordre habituel des lectures aujourd’hui, en commençant par lire le texte de l’évangile, ce qui revient à présenter ces trois extraits dans l’ordre chronologique : d’abord, la parole du Christ délivrée au cercle des apôtres et rapportée par Jean, puis un récit des premières années de l’église à Jérusalem dans les Actes, puis un message de Pierre adressé – je cite le premier verset de l’épître – « à ceux qui sont étrangers et dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie ». Une parole dont l’audience s’élargit en nombre comme en surface, dans une sorte de chronologie symbolique, de la vie du Christ jusqu’à l’expansion de son église de nation en nation.

Évidemment, la science des exégètes du Nouveau Testament nous invite à relativiser cette chronologie. D’abord, il est probable que les Actes des apôtres, livre rédigé par l’évangéliste Luc, ait été écrit avant l’évangile de Jean. Ensuite, l’historicité des événements rapportés dans les Actes est tout à fait contestable. Enfin, il semble impossible que l’apôtre Pierre, le pécheur de Galilée, soit l’auteur de la première épitre qui lui est attribuée, notamment car elle semble écrite vers l’année 80, soit quelques lustres après sa mort. Mais l’enchainement logique des trois textes fonctionne quand même, et nous invite à cheminer vers aujourd’hui.

Et c’est pourquoi nous avons commencé nos lectures par l’évangile de Jean. Au chapitre 14, nous sommes dans le premier discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Au chapitre 13, il insiste pour leur laver les pieds et il explique : « Je vous ai donné un exemple pour que vous agissiez comme je l'ai fait pour vous. Oui, je vous le déclare, c'est la vérité : un serviteur n'est pas plus grand que son maître, tout comme un envoyé n'est pas plus grand que celui qui l'envoie. Maintenant que vous savez cela, vous serez heureux si vous le mettez en pratique. » (Ce sont les versets reproduits sur vos feuilles de culte.)

Jésus dit que c’est précisément parce qu’il est l’envoyé de son père qu’il doit s’abaisser à laver les pieds de ceux qui le considèrent comme leur maître ; car il n’est pas venu pour régner en homme parmi les hommes, mais pour servir – c'est-à-dire sauver l’humanité. On l’appelle « maître » mais tout le dialogue avec ses disciples consiste à échapper à ce magistère, à esquiver la posture du roi régnant sur sa cour.

Ce passage survient au cours du dernier repas du Christ. Il annonce que Judas va le trahir et, resté avec les autres disciples, il prononce le verset que nous aimons tous (Jn 13, 34) : « Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous aimés aussi, aimez-vous les uns les autres. »

Puis, à une question de Pierre, le Christ répond que son disciple le reniera trois fois avant que le coq n’ait chanté. Puis vient notre passage du jour. Et il y a ensuite d’autres questions de Philippe, de Jude, d’autres disciples dont le nom n’est pas cité par l’évangéliste. C’est le testament du Christ – son testament spirituel mais aussi son testament ecclésial. Pour l’exposer, il se place sur le plan de l’univers sensible tel qu’il sera après que lui, le Christ, aura disparu de sa vie terrestre. Et il y a d’entrée cette phrase célèbre, facile à retenir par cœur, surtout quand on est protestant et que l’on s’habitue à la diversité théologique initiée par Martin Luther : « Il y a beaucoup de lieux où demeurer dans la maison de mon Père » (c’est le texte de la Nouvelle Bible en français courant, lu aujourd’hui) ; dans l’édition précédente, c’était « Il y a beaucoup de place dans la maison de mon Père ». Dans la traduction Segond de 1910, c’est « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père ». Dans la Segond 21, c’est « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ». Dans une traduction catholique, c’est « Il y a beaucoup de chambres dans la maison de mon Père ». Dans la toute récente traduction « littéraire » de Frédéric Boyer parue chez Gallimard, c’est « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de pièces »…

Ce n’est pas la première fois que Jésus emploie des images tirées du quotidien pour essayer de faire comprendre un ensemble de nouveautés révolutionnaires pour des Juifs de son siècle. Il emploie cette métaphore de la pièce dans la maison, ou de la demeure dans la demeure, en annonçant qu’il va lui aussi aller chez son Père pour préparer la venue de ses disciples – on est bien dans une explication très concrète, très pratique.

Et on peut être un peu déçu que, soudain, il emploie une autre image – verset 4 : « Vous connaissez le chemin qui conduit où je vais. » Aussitôt, un autre dialogue s’engage, centré sur le mot que le Christ vient d’employer : Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment en connaîtrions-nous le chemin ? » Jésus lui répondit : « Moi, je suis le chemin, c'est-à-dire la vérité et la vie. »

 

Nous avons un net avantage, par rapport aux disciples du Christ il y a deux mille ans en Palestine : nous connaissons leur histoire qui, avant même d’être importante dans nos vies propres, forge le monde tel qu’il est aujourd’hui – et pas seulement par la référence fantasmatique et hélas politiquement à la mode des « racines chrétiennes de la France ». Ce que savent pas ces hommes qui entourent le Christ – Thomas, Pierre, Philippe, Jude, les autres… – c’est qu’après ce jeudi soir, l’histoire de l’humanité sera changée par la Passion, par la Résurrection, par la Pentecôte…

Thomas questionne sur le chemin, sur la géographie terrestre ; le Christ lui répond autre chose – le salut, le Père… – mais il lui répond aussi sur le chemin.

Et cette réponse englobe toute l’histoire des chrétiens, et pas seulement la nôtre, fidèles d’une église protestante héritière de la Confession de La Rochelle de 1559 ; cette histoire, c’est aussi celle des révolutions présentes du christianisme, du dynamisme missionnaire de nombreuses dénominations, notamment dans la vaste palette des sensibilités évangéliques, qui conquièrent l’Amérique latine et centrale face au catholicisme, qui s’enracinent bon gré mal gré dans beaucoup de pays jusqu’alors massivement musulmans, qui transforment le paysage religieux de l’Afrique subsaharienne, qui grignotent l’athéisme d’État de la Chine populaire, qui prennent pied durablement dans des nations asiatiques comme cette Corée du Sud qui envoie aujourd’hui dans le monde presque autant de missionnaires que les États-Unis d’Amérique…

 

Et c’est pourquoi, à ces propos de Jésus lors de son dernier repas, fait écho l’extrait du livre des Actes que nous avons lu. Nous y voyons l’église de Jérusalem quelques années après la mort du Christ, mais aussi l’église d’aujourd’hui. Des fidèles parlent grec – ce sont donc des immigrés, comme on dirait aujourd’hui, qui pour la plupart viennent du polythéisme – et des fidèles parlent hébreux – ils sont nés juifs, donc. Et nous n’avons pas d’enquête sociologique poussée pour déterminer si les hellénistes sont fondés à se plaindre d’une discrimination, mais nous savons que les veuves sont alors les personnes les plus menacées économiquement dans une société fondée sur un patriarcat d’une terrible brutalité.

Mais l’église s’organise. On élit des responsables pour régler ces questions de dons de nourriture en respectant les préceptes de la fraternité ; et pour que tout soit clair, on leur impose les mains car leur tâche doit se dérouler sous le regard de Dieu.

Je parlais tout à l’heure de nos assemblées générales de dimanche prochain. Le trésorier de notre paroisse présentera le budget proposé par le Conseil presbytéral. On parlera des contributions des paroissiens à ce budget, on parlera de l’aide importante que notre communauté apporte à des paroisses de notre église qui n’ont pas les mêmes moyens, on projettera des tableaux Excel, on lancera des appels pour trouver des volontaires pour telle ou telle tâche (d’ailleurs, vous le rappellerez tout à l’heure, j’ai quelque chose à vous demander de la part du Conseil presbytéral). Et nous aurons quand même un culte, et nous méditerons la parole de Dieu – je rappelle les horaires : 9 heures pour la double assemblée générale de notre association cultuelle, l’église protestante unie de Pentemont-Luxembourg, et de notre association diaconale, Entraide Luxembourg-Pentemont, 10h30 pour le culte proprement dit. Et nous constaterons une fois de plus que le souci des déductions fiscales a aussi à voir avec le service de Dieu.

Et la place que prépare le Christ pour ses disciples, c’est bien sûr la vie éternelle, mais c’est aussi l’église. Oui, l’église, cette organisation très humaine qui correspond à ce que Pierre demande, quelques versets après l’extrait que nous avons lu aujourd’hui, quand il veut – je cite – « que vous proclamiez ses œuvres magnifiques » – c'est-à-dire les œuvres de Dieu.  

Et voici, avec cet extrait de la première épitre de Pierre, une nouvelle métaphore ; après la demeure dans la maison, après le chemin, voici la pierre. Cette pierre vient de loin. Le rédacteur de l’épitre, fait référence à l’Ancien testament, au psaume 118, « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre angulaire ». Et ces paroles de l’Éternel rapportées dans Ésaïe, au chapitre 28 : « Je mets dans Sion, en guise de fondation, une pierre, une pierre choisie, angulaire, précieuse, solidement posée. Celui qui s'appuie sur elle sera en sécurité. »

 Cette pierre, c’est le Messie. « La pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et jugée précieuse par Dieu », dit le texte lu aujourd’hui. Et le temple ne sera pas construit d’une seule pierre. L’épitre de Pierre appelle : « Prenez place vous aussi, comme des pierres vivantes, dans la construction du temple spirituel. »

Voici ce qui est demandé à ces chrétiens du Ier siècle en Asie Mineure.  Et quand le Christ annonce à ses disciples qu’il leur prépare une place dans la demeure de son Père, il ne parle pas seulement de la vie éternelle ; il est à cette injonction-là, lui aussi. Et quand les douze apôtres proposent à leurs disciples de choisir sept d’entre eux pour s’occuper des repas des veuves, il s’agit bien de cela encore : Prendre place, comme des pierres vivantes, dans la construction du temple spirituel.

C'est dire aussi les deux missions de l’église : annoncer la bonne parole et aussi manifester en actes la fraternité et l’amour qu’exige de nous le Christ – « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », c’est aussi le lavement des pieds, c’est aussi la distribution de repas aux veuves…

Nous ne sommes pas réputés, nous héritiers de la vénérable tradition protestante française, du versant luthérien ou du versant calviniste, pour notre sens de l’effusion et pour l’expression démonstrative de nos émotions collectives. Mais nos églises, depuis toujours, sont actives sur de nombreux fronts de l’entraide et de l’action humanitaire – dans cette paroisse comme dans d’autres, avec l’action exemplaire de la Cimade auprès des migrants, avec l’extraordinaire pépinière de cadres de l’humanitaire et du secteur associatif que constitue le scoutisme unioniste…

Oui, nous ne sommes certainement pas mécontents de nous, collectivement, même si nous savons bien que nous pourrions toujours faire mieux.

Mais quand le Nouveau Testament nous enjoint de devenir des pierres vivantes, c’est avec la double image de la vie, de l’action, du mouvement – être vivant – et de la permanence, de la solidité, de la capacité à se compléter l’un, l’autre – être des pierres dans la construction d’un temple. Et cela s’adresse à chacun de nous – prendre place dans le mur et donner vie à l’édifice.

Cela n’est pas une mince demande, mais c’est bien celle qui nous est faite, et c’est cela aussi, « offrir des sacrifices spirituels » : trouver à servir car notre demeure dans la maison du Père n’est pas seulement tracée par nos nuances liturgiques ou micro-théologiques avec la dénomination d’à côté ; notre place dans la maison du Père est aussi notre capacité à nous faire pierres vivantes.

Et on ne peut s’empêcher d’avoir une fraternelle tendresse pour Étienne, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, les sept premiers diacres de l’église. Vous irez lire, par exemple sur Wikipedia, le savoir historique sur ces sept hommes, savoir assez fragmentaire, avec quelques anecdotes divertissantes et le privilège curieux d’Étienne d’être à la fois le premier diacre et le premier martyr du christianisme. Mais ils comptent parmi les premières pierres vivantes posées contre la pierre angulaire pour construire ce temple perpétuellement agrandi, refondu, restructuré, et qui est la vaste église du Christ.

Et on ne peut s’empêcher d’avoir peur que meurent les pierres, que la vie ne passe plus en elles et par elles. Pardonnez-moi de filer sans légèreté une métaphore évidente mais nous connaissons tous dans le christianisme des édifices de pierres mortes, nous connaissons tous des églises qui se réduisent à des monuments ; nous savons aussi des temples abrités dans des hangars de tôle et ouverts à tous les vents, qui sont plus solides que les cathédrales de pierres de taille. S’il faut poursuivre l’enchainement des textes que nous méditons aujourd’hui, disons que si nous sommes très heureux de la beauté du bâtiment dans lequel nous sommes, nous savons aussi qu’il n’a de sens que s’il est habité par la foi, par l’espérance, par l’amour – par ce qui donne vie aux pierres ; et cette vie, c’est tous, c’est chacun d’entre nous qui la donnons à cette bâtisse.

Et nous savons aussi que personne n’est obligé d’être une énorme dalle, ou un fragment de colonne colossale, ou une pierre de dimensions spectaculaires. Non : il est demandé la vie ; être pierres vivantes, c’est servir modestement mais continument ; c’est servir sans vacarme, c’est servir sous le seul regard du Seigneur – les humains ne verront qu’un temple solidement dressé.

Être pierre vivante, c’est transformer sa foi en vie, c’est transformer sa foi en action parmi les femmes et les hommes de son époque ; c’est faire église, c’est plus que rendre visite régulièrement à un bâtiment ; c’est déjà habiter la demeure du Père. Et c’est même construire la demeure du Père.

Amen.