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Une trousse de secours ou une théologie de poche

Texte de la prédication du dimanche 25 septembre 2022, par Hubert Bost

Une trousse de secours ou une théologie de poche

25 septembre 2022

Lectures bibliques : Romains 8, 18-39 – Hébreux 4,12 ; 6, 19 ; 11, 13

Vidéo du culte du matin : cliquez ici.

 

Prédication du pasteur Hubert Bost.

 

Il faudrait être coupé du monde pour ne pas se rendre compte que nous vivons, que notre monde vit en temps de crise. Crise sous toutes les formes imaginables : au sens où notre économie en pâtit et où la précarité s’accroît ; où le monde du travail et toute notre société en subissent les conséquences, parfois dramatiques ; où la vie politique est chahutée par des enjeux et des défis contradictoires ; où les pandémies se succèdent ; où les conflits internationaux se multiplient ; où l’environnement et la survie de la planète sont menacés par le changement climatique, etc. Ce qui est peut-être particulier, c’est que le sens du mot crise a changé. Il s’agissait, jadis, tant dans le cas de la fièvre du malade, d’un krack boursier ou d’une tension internationale, d’un moment, d’un passage éprouvant après lequel revenait la santé, la prospérité, la paix. Or aujourd’hui la crise nous paraît la norme, parce qu’elle concerne tous les secteurs de la vie de l’humanité et de la planète – peut-être aussi parce que notre niveau d’information s’avère trop élevé par rapport à ce que nous sommes capables de digérer. Significativement, il y a dix ans, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes avait publié un livre intitulé La Crise sans fin et sous-titrée « Essai sur l’expérience moderne du temps ». Telle est en effet notre expérience contemporaine, que nous soyons croyants ou non.

Seulement en chaire, inutile de se voiler la face : le prédicateur n’a pas grand-chose à dire de cette conjoncture « critique ». Pas de savoir qui lui permettrait de prétendre dominer la situation. Surtout pas, même. Guère plus, en tout cas, que chacune et chacun de vous, que toute citoyenne ou tout citoyen qui réfléchit en lisant ou en écoutant les informations, qui s’engage à son niveau. En revanche, il vaut peut-être la peine de s’arrêter sur ce ce qu’est, sur ce que peut être ou ce que devrait être une crise pour les croyants que nous sommes ou que nous nous efforçons d’être. Et si nous allons mal – mal ? mal, où ? malaise ? malheur ? déjà là se pose une question de diagnostic – ; alors disons plutôt : et si ça ne va pas bien, pourquoi ne pas se fabriquer une théologie de poche, comme une trousse de secours pour faire face aux moments de crise ?

Avec le passage de l’épître aux Romains et trois petits versets picorés dans l’épître aux Hébreux, je vous propose ce matin de tourner autour quelques convictions fondamentales, non pas sous la forme d’affirmations carrées, de dogmes, mais d’idées émises avec des mots simples ; après avoir parlé de trousse de secours, continuons dans le registre médical : non en recourant à la pesante technique chirurgicale, à l’outillage high-tech, mais plutôt en bricolant ici une attelle, là un bandage ou un pansement pour éclopés de la foi. Une théologie pour randonneurs, si vous voulez : pour celles et ceux qui comme Jacob font de drôles de rencontres (Gn 32), luttent avec un ange ou Dieu pour comprendre, et ne s’en tirent pas intacts, s’en tirent en tirant la jambe. Mais aussi, un peu comme dans ces récits de guérison que raconte l’évangile, une théologie pour fatigués, l’occasion d’une rencontre, un moment pour se poser et se reposer tranquillement. Ça ne va pas bien dans ta vie, tu traverses une passe compliquée ? Le combat que tu mènes t’épuise ? Arrête-toi pour respirer et reprends ton souffle. Dis-toi que croire et douter ne sont peut-être pas des attitudes aussi contradictoires que des siècles de christianisme nous l’ont inculqué.

 

Dans ce passage de l’épître aux Romains, Paul fait lui aussi un diagnostic inquiet, parlant des « souffrance du temps présent », d’une création qui aspire à être libérée de l’esclavage et de la corruption, du monde dans lequel il vit où les espérances sont chahutées, où se font entendre des gémissements. Sous la plume de l’apôtre, beaucoup de mots pour dire que c’est dur. Pour le monde entier, et pour chacune et chacun : c’est à la fois cosmique et intime. C’est dur, c’est dit sans complaisance, mais pas non plus en passant dessus comme chat sur braise, comme si ça n’avait pas d’importance. Or survient là un « malgré tout » obstiné, quelque chose d’indéracinable, une confiance indéboulonnable. Appelons-la la Providence, et ce sera le premier outil de la théologie de poche. L’idée selon laquelle malgré toute cette obscurité qu’il faut traverser, une lumière brille, et la délivrance : pas parce que « après la pluie le beau temps », mais parce que Dieu a pour ce monde un projet ; l’histoire des hommes est tourmentée, mais Dieu ne l’abandonne pas. (Ajoutons qu’étymologiquement, pro-videre, c’est pré-voir : Dieu qui tient le gouvernail du monde sait où il le conduit.)

Cette affirmation est risquée, cette confiance n’a rien d’évident. Notamment parce qu’en notre temps de crise à nous, la providence s’est laïcisée : on parle, ou on reparle d’État providence (je le dis avec beaucoup de respect pour les politiques publiques) : Il s’agit de subvenir aux besoins, de combler les manques, de soigner et de prévenir, voire de se substituer à ceux qui peuvent et doivent prendre certaines responsabilités dans leur famille, leur secteur professionnel, etc. Cette providence-là, dont nous bénéficions, peut donner le sentiment d’avoir délégué une responsabilité à une instance qu’on paie pour s’en occuper. Or, je voudrais essayer, en revenant au texte de Paul, de laisser entrevoir une providence différente ; une providence qui n’abolit ni n’atténue la souffrance ou la difficulté, prises au sérieux et regardées en face, personnellement. La création – notre monde, notre histoire – la création soupire comme une femme qui va enfanter. Elle gémit. Rappelons-nous qu’au moment où Paul écrit ces mots, il pense que l’histoire arrive à son terme, comme une future maman arrive à terme. Lui aussi, à sa façon, écrit une théologie de poche, réfléchissant dans le provisoire et l’incertain, bricolant des explications pour interpréter ce qui est en train de se passer. C’est important pour comprendre correctement la « gloire » dont il parle, comme une espérance et pas comme un triomphe. Important pour éviter de faire de la foi un fanatisme aveugle ou l’adhésion à une puissance irrépressible – légions d’anges ou chars d’assaut – qui renverserait tout sur son passage. Cette gloire-là est une force, bien sûr. Mais une force confiante, discrète, intérieure, voire secrète. Me trotte dans la tête cette phrase de René Char : « À chaque effondrement des preuves le poète répond par une salve d’avenir. » Une force confiante discrète, intérieure, et vulnérable, comme on va le voir.

La personne autour de laquelle tout se joue et se noue, c’est le Fils mort et ressuscité. Il y a bien une croix sur la trousse de premiers soins. La croix, second outil de la théologie de poche. Une croix qui, paradoxalement, d’instrument de supplice, se fait symbole de secours. Et qui, tout aussi paradoxalement, vient au secours non en esquivant la mort mais en l’affrontant. La croix éclaire la providence : après la nuit, après la crise, ou pendant la nuit et dans la crise, se dessine la figure d’un Dieu qui vient à notre rencontre, à ma rencontre, à ta rencontre ; un Dieu qui ne surplombe pas la mort, mais la traverse et l’habite. La gloire n’est décidément plus ici un char d’assaut, elle vient à nous comme faiblesse d’un homme blessé, présence nue. Lorsque nous pensons gloire, nous pensons élévation. Or Jésus explique à Nicodème que “le Fils de l’homme doit être élevé afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle” (Jn 3, 14-15). Et ce que révèle la suite de l’histoire, c’est que cette élévation se produit paradoxalement sur la croix… Voici que certaines de nos certitudes les plus confortables – notamment sur la toute-puissance de Dieu – volent en éclats, entrent en crise. Mais devrions-nous nous en étonner, nous qui venons de lire dans l’épître aux Hébreux que la Parole de Dieu est “plus tranchante qu’aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit…” (Hb 4,12) ? Je vous l’avais dit : la trousse de secours est utile parce qu’on ne va pas s’en sortir indemnes.

La providence, la croix… Et puis la foi. Troisième outil de la théologie de poche. La foi pas comme un catéchisme qu’on apprend par cœur, qu’on annone ou récite avec plus ou moins de conviction. Pas comme un pieux et vague souvenir, bon ou mauvais, de doctrines qu’on apprend à l’école du dimanche et qui ont été lustrées par le temps, élimées par les lessives et les saisons. Mais la foi comme une rencontre qui se produit dans ma vie. Comme une rencontre amoureuse. Comme un événement qui survient sans qu’on l’ait prévu. Et qui chaque jour est appelé à être actualisé, ravivé. La foi inédite et inouïe, étonnante, qui fait trouver ou retrouver en soi des ressources insoupçonnées. Comme un combat, tel celui qu’a livré Jacob au gué du Jabbok. Ou comme un soulagement, tel celui qu’éprouve le paralysé qui remarche, l’aveugle qui revoit, le possédé dont les tourments s’arrêtent. Non que les guérisons soient définitives, qu’on soit une fois pour toutes tirés d’affaire et que la crise soit derrière nous. D’ailleurs, les Évangiles racontent des guérisons mais ne nous disent pas ce qui s’est passé bien après dans la vie de celles et ceux que Jésus a rencontrés. On se doute bien que tout n’est pas devenu rose pour eux à partir de ce moment. Mais on subodore que cette rencontre a été déterminante dans la suite de leur existence. Quelque chose s’est produit alors, dans quoi ils et elles ont pu puiser et trouver de l’espérance. « Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide ; elle pénètre au-delà du voile. » (Hb 6, 19).

« Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse ; la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? […] j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. » La liste des tribulations réelles ou des tourments possibles que dresse Paul, chacune et chacun peut l’adapter ou l’actualiser en fonction de ce qu’on traverse, et nous pouvons toutes et tous l’allonger : des épreuves personnelles à la crise de civilisation, rien de plus facile que d’ajouter à cette énumération toutes sortes de raisons de douter ou de baisser les bras. Or, j’y reviens : Paul ne dit jamais qu’il n’y a pas de raisons de douter ou de baisser les bras, qu’il faudrait serrer ses petits poings et qu’on va s’en sortir parce qu’on est les plus forts ; l’apôtre n’est pas l’entraîneur d’une équipe sportive qui, à la mi-temps dans le vestiaire, galvanise ou remotive ses joueurs. Au contraire, il nomme ces raisons de douter ou de baisser les bras, il les désigne et nous invite à en faire de même. Mais il ajoute que, aussi fortes que soient ces raisons, aussi infranchissables que paraissent ces obstacles, ils n’auront pas le dernier mot. Les sujets d’angoisse ne disparaîtront pas par magie, mais nous croyons que Dieu ne nous abandonne pas, qu’il nous accompagne et nous soutient. C’est pour cela que nous nous sentons adoptés par lui, que nous nous disons ses fils et ses filles. Calvin exprimait cette assurance, avec des mots qui peuvent encore nous parler aujourd’hui : « Il ne nous faut point craindre que la continuelle durée des maux, si longue qu’elle puisse être, efface la certitude et la fermeté de notre adoption. Et ainsi nous voyons que ceci contredit clairement ces scolastiques brouillons qui gazouillent que personne n’est certain de la persévérance finale, si ce n’est par le moyen d’une révélation spéciale, laquelle, selon leur dire, est extrêmement rare. C’est là une affirmation qui anéantit totalement la foi, qui certes n’est point si elle ne s’étend jusqu’à la mort, voire même après la mort. Mais au contraire, il faut que nous soyons assurés que celui qui a commencé en nous la bonne œuvre la parfera jusqu’au jour du Seigneur Jésus. » (Commentaire sur Rm 8, 38).

La providence, la croix et la foi.

Une providence qui n’est pas un super-pouvoir, mais une raison d’espérer malgré tout, une confiance solidement chevillée en nous.

La croix qui nous dit la proximité de Dieu en son Fils, venu non tout régler comme par enchantement, mais habiter l’humaine condition et nous en redire la beauté.

La foi qui nous fait rencontrer celui qui vient à nous et nous met en chemin vers lui, vers les autres et peut-être aussi vers nous-mêmes.

Trois mots clés pour une théologie de poche. Parce que quand on est en marche, mieux vaut ne pas s’encombrer ou se charger inutilement. Or, chrétiens nous le sommes non pas d’abord parce que nous aurions une doctrine bétonnée et la certitude d’avoir raison contre tous ceux qui pensent ou croient différemment, ou contre ceux qui doutent, ou contre ceux qui ne croient pas. Mais nous le sommes parce qu’en chemin, des pieds à la tête. Que nous marchions ou que nous méditions, nous sommes frères et sœurs de celui qui n’a pas d’endroit où reposer sa tête. Nous sommes « étrangers et voyageurs sur la terre », comme le dit l’épître aux Hébreux (11, 13).

Finalement, peut-être même que pour la foi, traverser la crise c’est… normal.