Le boulanger du ciel — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Le boulanger du ciel

Prédication du dimanche 1er août 2021, par Jean-Michel Ulmann

 

Le boulanger du ciel

 

En chemin, pour venir ici, ce matin, je suis passé devant la statue de Danton carrefour de l’Odéon. Sur le socle de sa statue est gravée une sentence bien sentie: « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple ». Et soudain les pages que j’avais noircies pour la prédication se sont envolées. La messe était dite. Cette petite phrase, comme les versets quotidiens qu’Andreas nous propose chaque mois, m’a suffi comme suffit le pain de ce jour. Danton devait connaître les Ecritures. Cette formule révolutionnaire résume nos lectures de ce matin. La nourriture, l’enseignement. J’y ajouterai deux questions : qui les distribue et pourquoi faire ?

 

Les textes de ce matin se développent comme un triptyque aux pannaux liés par des charnières bibliques. Tout s’articule à merveille. Nourrir avec l’Exode, nourrir et enseigner avec Jean et enfin, avec la lettre de Paul, la parole devenue écriture, mais une écriture en paroles et en actes.

 

D’un point de vue chronologique ces trois temps correspondent au premier testament avec l’Exode spectaculaire, puis à la vie publique de Jésus et, troisième étape, notre temps avec l’héritage du Christ. Ces trois temps ne s’excluent pas de même que l’homme ancien ne disparaît avec le nouveau.

 

Au commencement, donc, est la nourriture.

Les Hébreux, libérés de l’esclavage par Moïse, marchent dans le désert vers la Terre promise. C’est une bien longue marche. Ils ont faim. Si faim qu’ils « murmurent » et en viennent à regretter leur servitude. Pour les calmer, Moïse va donc négocier un ravitaillement avec Dieu. Marché conclu. Chaque matin Dieu fera tomber la manne. Cette nourriture divine fortifiera leurs corps. Elle n’a d’autre vertu qu’alimentaire. Mais le peuple, repu, satisfait, n’en est pas moins étonné. « Qu’est-ce que c’est ? »

 

Se pose alors deux questions : celle de la traçabilité de cette manne et celle de son fournisseur. Les mêmes questions se poseront quant au  pain distribué par Jésus dans l’évangile de Jean.

 

Moïse, après avoir négocié avec Dieu, lui avoir demandé son indulgence pour son peuple réfractaire, explique que c’est Dieu et non lui ou son frère Aaron, qui fait tomber la manne. Jésus après avoir nourrit la foule tente d’écarter le malentendu sur ce pain. Ce n’est pas la manne de Moïse.  

    Dans Jean 6, l’identité de Jésus se précise ainsi que la nécessité de faire des choix clairs face à celui qui se prétend « fils du Père » alors que la foule l’identifie comme fils de Joseph. Il faut choisir. Il y a passage entre le peuple de Moïse et les compagnons de Jésus. « Vos pères ont mangé la manne et ils sont morts ». Cette ration quotidienne tombée du ciel était une question de survie. « Moi, je vous donne la vie éternelle. C’est moi qui suis le pain de vie. Le Verbe fait chair ». Quelle audace ! aurait dit Danton. Par sa vie et ses paroles, Jésus va montrer les limites de la Loi. Ce ne sont plus désormais les règles, les rites, qui établissent la relation avec Dieu, c’est la grâce, c’est l’amour. La mission de Jésus dépasse son peuple, -exemple les Ephésiens païens- elle fait voler en éclats les frontières pour s'adresser à la terre entière. Jésus ouvre une nouvelle alliance, une nouvelle période de l'histoire de Dieu et des hommes. « L’église est commencement ».

 

 

Ces pages ont autre chose en partage qui leur donnent une singulière actualité: la plainte, la colère, les jérémiades.

Les Hébreux, comme le public qui suit Jésus, comme les Ephésiens convertis de fraîche date, tous sont méfiants (nous dirions complotistes). Les Hébreux trainent les pieds dans le désert (on peut les comprendre). Leur confiance est fragile, chancelante. Elle a besoin d’être affermie. Ils sont fatigués (et encore ils n’en sont qu’au début. Pendant 40 ans ils recevront le même plat du jour. De quoi se lasser). Avec Jean, le peuple, une fois nourri, se montre impatient, avide d’un sauveur. Il cherche Jésus, le poursuit. Alors Jésus, comprenant que les signes ne suffisent pas, entreprend de leur parler. Le pain se fait Parole (versets 26-28). Quant aux Ephésiens, leur foi toute jeune a besoin d’être affermie par Paul qui les nourrit en faisant appel à leur intelligence et à leur foi. Tous sont fragiles, sceptiques, déçus, impatients.

Et nous ? Nos prières ne sont-elles pas souvent des lamentations, des plaintes, des revendications ? J’aime ces textes qui ne font pas l’économie de l’échec, des fragilités ou des doutes.  

 

Et en effet, il est difficile de lever les soupçons, les malentendus, les « c’est trop beau pour être vrai ». Pas facile devant une foule d’admirateurs convaincus d’avoir trouvé un leader, d’annoncer: Non, en vérité, je ne suis pas venu bouter les romains hors de la terre d’Israël; je suis venu prêcher la paix et l’amour.

Cette question de l’identité se pose aussi pour nous. Sommes-nous des « hommes nouveaux, (Jean : Jésus et Nicodème) » ? La parole, notre foi nous relève-t-elle ? Nous laissons-nous « restaurer », aux deux sens du terme, par le boulanger du ciel ?

 

Permettez-moi une courte disgression.

Lorsque je suis tombé sur les lectures de ce jour ou disons plutôt lorsqu’elles me sont tombées dessus, je me suis interrogé : Comment dire du nouveau avec ces textes tellement connus, étudiés, commentés, rabâchés ? Comment pétrir ces paroles pour en faire du pain frais du jour, croustillant dessus, tendre dedans ? J’étais dans le pétrin. A qui poser la question ? A mon boulanger pardi. Le boulanger m’a répondu : «J’ai du métier et mon four chaud, il ne s’éteint jamais, mais chaque nuit je pétris une nouvelle fournée avec une farine nouvelle. Mes pains ne sont jamais les rassis de la veille ni les pas cuits de demain. Ils sont frais du jour ». Pourquoi vous donnez-vous tant de peine? lui ai-je demandé « Parce que, seul, ce pain frais nourrit et réjouit mes clients fidèles. Ils l’attendent. Il est promis. Je dois tenir parole. «  Tenir parole…

 

 Du pain à la parole

 Cette Parole qui s’est faite homme, elle a habité parmi nous… » (prologue de Jean). Cette parole, à l’instar de celle que Paul transmet aux Ephésiens, c’est tout ce qui nous reste, nous en sommes héritiers et dépositaires. C’est une grâce, un don et c’est une responsabilité.

 

 Paul fait appel à l’intelligence éclairée des Ephésiens instruits. Simone Veil : « La foi ? L’intelligence éclairée par l’amour ».  Toutefois cette conversion, n’est pas acquise une fois pour toute. Ce n’est jamais gagné. Et c’est ce qui fait la force de ces textes. Ils nous parlent de nos fragilités, de nos découragements. Cet amour est exigeant. C’est pourquoi nous demandons le pain de ce jour. Le pain qui allège le fardeau et nous fortifie. A chaque jour suffit son pain. Il  en est ainsi pour  l’éphésien. Il en est ainsi pour moi. En moi, en nous cohabite ces deux personnes. Nous n’en sommes jamais quittes, jamais à l’abri d’une rechute comme les Hébreux réfractaires, le peuple hésitant. Et c’est très bien comme ça. On pourrait appeler cette cohabitation entre méfiance et confiance, entre homme d’hier et homme nouveau « le devoir de mémoire ».

Ce devoir de mémoire, le Notre Père, cette prière que Jésus lui-même nous a enseigné, nous le rappelle. Dieu, par grâce, nous fournit chaque jour le pain frais de sa parole. Chaque jour nous sommes libres de la partager.  Cette mémoire -notre petite madeleine- est aussi celle que nous appelons au moment de communier.

 

A présent, nous allons appliquer la méthode expérimentale, en passant de la théorie à la pratique, du grain de la parole au pain de vie, de nos bancs à la table. En 2017, à Strasbourg, au cours d’un débat avec un prêtre catholique, le pasteur François Clavairoly (président de la Fédération protestante) a expliqué que l’église réformée c’est le passage du « que dois-je faire pour être sauvé ? » catholique au « que puis-je faire de ce salut, cette grâce que j’ai reçue ? ».

Ce repas, ce pain de vie, nous invite à faire ce va et vient entre la réflexion et l’action.  Ne nous contentons pas d’être des lecteurs éclairés. devenons artisans. Sachons nous faire boulanger.

 

    Amen