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Jésus est-il le Christ ?

Prédication du dimanche 19 mars 2023, par la Pasteure Marie-Pierre Cournot

 

Jésus est-il le christ ?

Dimanche 19 mars 2023 par la Pasteure Marie-Pierre Cournot 

Lecture biblique :  1 Samuel 16,1-13

 

 

Et vous, qui est votre roi ? votre messie ? vote christ ?

C’est assez cocasse cette scène digne des plus grandes années de Miss France où le prophète Samuel organise un concours de Mister roi d’Israël avec défilé des prétendants !

Le mission essentielle de Samuel dans le processus de recrutement de ce nouveau roi, c’est de l’oindre, de lui faire l’onction.

L’onction d’huile, c’est pourquoi Samuel est parti avec sa gourde d’huile sous le bras.

Dans le Proche Orient Ancien, c’est une pratique courante d’oindre les prêtres et les rois.

Cela marque leur origine sacrée, voire divine.

Ce rite s’est propagé à l’occident chrétien en particulier dans la monarchie française où la cérémonie du couronnement était avant tout un sacre, c’est-à-dire une onction d’huile sur le nouveau roi.

Le verbe oindre en hébreu, c’est mashaḥ (משׁח), et celui qui est oint, en hébreu, c’est un mashiaḥ (מָשִׁיחַ), d’où est tiré directement notre mot messie.

Quand le grec est passé par là, il a traduit mashiaḥ par christos.

Le messie, le christ, ce sont des synonymes qui veulent simplement dire celui qui a été oint et qui renvoie indubitablement au prêtre ou au roi.

Le roi David, comme beaucoup d’autres dans l’Ancien Testament, a été oint sur ordre de Dieu, c’est donc un messie, c’est donc un christ.

Ah, nous voilà bien.

Et Jésus alors, c’est aussi un roi, un messie, un christ ? Comme le roi David ?

 

Revenons à notre texte. Samuel est chargé de trouver le nouveau roi d’Israël.

Je dis le nouveau roi d’Israël mais Dieu, lui, dit « le roi qu’il me faut », ou plus exactement en hébreu « le roi pour moi ».

Ce roi – nous savons que ce sera David – sera-t-il donc le roi qu’il faut pour Dieu ou le roi qu’il faut pour Israël ?

Notre messie, Jésus, est-il celui qui convient pour Dieu ou celui qui nous convient ?

 

Dieu envoie donc le prophète Samuel à Bethléem chez un dénommé Jessé dont on n’a jamais entendu parlé jusque-là, car Dieu a discerné le roi qu’il lui faut parmi les fils de Jessé.

A première vue, l’affaire parait simple, mais c’est sans compter que Jessé a huit fils.

Les sept premiers défilent devant Samuel, aucun n’est celui choisi par Dieu.

Samuel lui, aurait bien arrêté son choix sur le tout premier, Eliav.

Mais le dernier sera le bon, c’est David.

Les critères mis en avant par Dieu pour justifier ce choix ne sont pas clairs.

Quand Samuel voudrait choisir le premier fils, Eliav, Dieu lui dit : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille. Je le rejette. Il ne s’agit pas ici de ce que voient les hommes : les hommes voient ce qui leur saute aux yeux, mais Yhwh voit le cœur. »

Ok.

Mais quand Dieu choisit David, le texte nous dit « Il avait le teint clair, une jolie figure et une mine agréable ». Il s’agit là clairement de son apparence, de ce qui saute aux yeux des hommes et non de ce que Yhwh voit dans le cœur.

Peut-être Yhwh avait-il d’autres arguments qu’il n’a pas pensé devoir partager avec Samuel.

N’empêche, cela nous pose la question : sur quels critères choisissons-nous notre roi-messie,  notre christ ?

 

On peut imaginer que ce qui fait un roi-messie-christ, c’est le pouvoir.

Il y a dans ce concept de roi quelque chose qui a à faire avec le pouvoir.

Le roi c’est avant tout celui qui règne.

Nous ne valons pas mieux que le peuple hébreu qui, incapable de s’administrer seul, réclame à Dieu un roi.

Pour nous aussi c’est dur d’être seuls en face de nous-mêmes, en face des autres, en face de Dieu.

On peut se sentir démuni, perdu.

Peut-être même abandonné.

Comme si on n’avait pas de repères, que l’on ne savait pas comment se comporter, que faire.

Inondé, noyé, par trop de possibilités.

En d’autres termes, on ne sait plus où est le bien, où est le mal.

On a besoin de cadres, de lois.

L’actualité nous montre trop bien que faire des lois c’est un exercice très compliqué qui peut générer beaucoup de frustrations et de détresses quand ce sont les êtres humains qui sont aux commandes.

Du coup on voudrait bien un roi qui s’en occupe !

Un roi, un messie, qui prend en charge les lois, qui nous dit à la fois quoi faire et comment le faire, c’est tellement aidant !

Un roi, aussi, qui fait régner la justice et assure la paix, c’est sans aucun doute ce que nous voulons.

Il semble criant que les êtres humains seuls ne peuvent ni faire régner la justice ni assurer la paix. Il n’y a qu’à voir …

Et si le roi s’en occupe, alors peut-être que moi, je n’aurai plus à m’en occuper, peut-être que ce ne sera plus de ma responsabilité que toutes et tous puissent vivre dans un monde de justice et de paix. 

Un monde de justice c’est un monde où l’injustice de la vie – parce que la vie est injuste n’est-ce pas, comme vous le savez – est mise en échec par la volonté et l’espérance.

Ah si nous pouvions avoir un roi-messie-christ qui s’occupe de régler tout ça !

On pourrait avoir la conscience tranquille et dormir sur nos deux oreilles !

 

Jésus est tout sauf ce roi-messie-christ-là.

D’abord il n’est clairement pas du côté du pouvoir, ni politique ni économique.

A tel point qu’il sera éliminé par les autorités qu’il dérange.

Il n’est clairement pas non plus du côté de la loi.

Il ne cessera de répéter que l’obéissance à la loi n’est pas un moyen d’entrer en relation avec Dieu, que le seul lien que nous puissions avoir avec Dieu c’est la foi.

Et que cette foi se vit dans la relation aux autres êtres humains dont nous sommes parfaitement responsables.

Pourtant, nos recueils de cantiques sont pleins de chants qui célèbrent la royauté de Jésus.

Je vous lis quelques titres : Roi des rois (rien que ça !), Réjouis-toi voici ton roi, Christ est roi (au moins c’est clair) …

Il y a même dans le calendrier de l’année liturgique, un dimanche du Christ roi, en novembre.

D’où nous vient cette idée de faire de Jésus notre roi, notre messie, alors que Jésus lui-même n’a cessé durant sa vie publique de signifier qu’il n’était pas le roi-messie-christ attendu par le peuple hébreu, qu’il n’était pas le roi des juifs.

A tel point que le peuple, se sentant trahi dans ses attentes d’un roi-messie-christ, demandera sa mort.

Que tout le monde l’abandonnera, sauf trois ou quatre femmes.

Et je ne crois pas que Dieu ait dit que Jésus était « le roi qu’il me faut » comme il le dit de David.

Quand nous faisons de Jésus notre roi, c’est le nôtre, celui qui nous convient, mais pas celui qu’il faut à Dieu.

 

 

Ce qui fait un roi, c’est aussi la divinité, marquée par l’onction.

Il y a dans le concept de oint, de messie, de christ, quelque chose qui a à voir avec Dieu.

C’est Dieu qui ordonne l’onction, et cette onction consacre le lien quasi sacré qui existe en Dieu et le roi-messie-christ. 

Pourtant, Dieu reste pour le peuple hébreu et pour nous aujourd’hui lointain, inconnu, indicible, inimaginable.

Cet éloignement et cette impossibilité de dire et même de penser Dieu sont difficiles pour nous.

Elles nous renvoient à notre finitude, à notre impuissance qui paraissent encore plus colossales en regard de l’absolu et l’insondable de Dieu.

Notre condition humaine, pourtant si fragile, faillible et éphémère nous pèse.  

Heureusement, le roi, le messie, le christ en s’approchant de Dieu nous représente auprès de Dieu.

 

Alors oui, Jésus remplit ce rôle. Mais en sens inverse.

Avec l’onction de David, il s’agit plus ou moins de diviniser un être humain, en le faisant en quelque sorte monter vers Dieu, s’en rapprocher et donc s’éloigner du peuple, des pauvres humains.

Cela met une distance entre l’oint et le peuple, l’oint est admis dans le domaine sacré contrairement à tous les autres humains.

Avec Jésus, c’est le contraire.

En Jésus, Dieu s’humanise, il descend vers nous.

C’est le principe de l’incarnation. Dieu descend et se rapproche de la condition humaine.

Dieu se met à notre portée.

Et notre finitude, si elle ne s’en trouve pas modifiée, s’en trouve plus supportable.

En Jésus, Dieu se fait plus proche, plus humain.

Il vient vivre notre vie, traverser nos détresses, nos peurs, nos désillusions et nos malheurs.

Il se tient à côté de nous dans toutes ses épreuves.

 

Ce changement de sens, c’est probablement ce qui explique que celui que nous, les chrétiens, nous appelons notre roi, notre Messie, notre Christ, et là nous mettons généralement une majuscule, celui-là, Jésus donc, n’a jamais été oint par Dieu.

D’où la question qui donne le titre à cette prédication : Jésus est-il le christ ?

 

Dans les évangiles il n’y a je crois qu’une occasion où Jésus se définit lui-même comme le messie, le christ, c’est dans l’évangile de Jean, dans son dialogue avec la Samaritaine, cette femme étrangère et ennemie qui voulait ne plus avoir soif.

 

Et pour tout vous dire, je n’avais pas mis de majuscule à christ dans la question.

Mais l’habitude est telle que la majuscule s’est glissée sur nos feuilles de culte !

Et c’est très bien, ça nous fait réfléchir.

Sans majuscule, non Jésus n’est pas christ, il n’est pas oint, il n’est pas le roi attendu par le peuple, il n’est pas messie.

Si on imagine que la majuscule change le sens du mot, alors oui disons que Jésus est Christ !

 

 

 
 
Un troisième critère me semble important dans la définition de roi-messie-christ : c’est la relation de père à fils

Samuel aurait bien choisi le premier fils de Jessé, Eliav.

Eliav en hébreu cela veut dire « mon dieu est père ».

Le motif du dieu-père existe dans l’Ancien Testament, ce nom en est la preuve, même si ce motif n’y est pas dominant.

Un peu plus loin dans le récit du règne de David, dans le deuxième livre de Samuel au chapitre 7, Dieu explique à David que ce n’est pas lui qui construira le temple mais son fils, Salomon.

Et Dieu de dire en parlant du futur roi Salomon : « Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils. »

Il ne s’agit pas d’une relation filiale généalogique, au sens d’engendrement.

Il s’agit d’une relation de père à ses enfants, où le père est figure créatrice et protectrice.

 

La relation de père à fils deviendra fondamentale dans les siècles suivants, pour aboutir autour du tournant de notre ère dans la prière juive du qaddish à cette phrase : « Que les prières et les supplications de tout Israël soient exaucées par leur Père qui règne sur les cieux ».

Cette figure du Dieu père, sera reprise et développée dans le Nouveau Testament pour Jésus, fils de Dieu.

Puis étendue à tous, puisque Jésus nous invite à nous adresser à Dieu en disant « Notre Père ».

 

Après avoir passé en revue les caractéristiques du roi, messie et christ, on peut se demander si Jésus remplit bien ce rôle pour nous.

Certainement pas au sens strict de roi et de messie de l’ancien testament.

Pourquoi donc avoir gardé le même mot ?

Vraisemblablement parce que c’était le seul moyen d’essayer de faire accepter Jésus dans le monde juif de son époque.

Sans succès comme on sait.

Maintenant que ce combat n’est plus d’actualité, pourrait-on rêver de désencombrer Jésus de ces qualificatifs, de roi, christ et messie, qui ne sont pas adaptés et qui nous entraînent dans des malentendus théologiques ?

Ou tout au moins, dire « Jésus notre christ » pour signifier que Jésus lui-même a modifié le sens de ce mot qui recouvre dans le christianisme une autre conception.

Pour dire que Jésus transforme les enjeux de notre relation aux autres et au monde, qu’en lui Dieu se rend accessible et nous inclut dans un lien créateur et protecteur.

Le débat je le crains n’est pas encore ouvert.

Tout reste à faire !

Amen