Le désert, un passage obligé ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Le désert, un passage obligé ?

Prédication du dimanche 21 mars 2021, par Loup Cornut

"Le désert, un passage obligé ?" 

 

Lecture biblique : Exode 14, versets 15 à 31

 

Nous sommes dans le temps de Carême ; un temps qui fait mémoire du séjour de Jésus dans le désert. Pour ce dimanche, il n’y a pas d’événement particulier à relater. Dimanche prochain se sera le dimanche des Rameaux, mais pour aujourd’hui, rien de particulier à célébrer. Si ce n’est imaginer ce qu’ont pu être ces 40 jours vécus dans le désert.

De ces 40 jours, nous savons fort peu de choses. L’évangile de Marc est très laconique : « Jésus était dans le désert et les anges le servaient ». Matthieu et Luc ne sont guère plus bavards ; tout au plus nous apprennent-ils que Jésus resta 40 jours dans le désert et qu’au bout de 40 jours, il eut faim. C’est lorsqu’il ressenti la faim que Satan fit son apparition pour le tenter.

Mais, pendant ces 40 premiers jours, il ne se passa rien de notable. Juste le sable, la chaleur, peut-être le vent ; la solitude aussi. Un temps difficile à se représenter. Comment imaginer d’interminables journées au cours desquelles il ne se passe rien. On peut imaginer la faim et la soif qui tenaillent, l’angoisse de la solitude. On ne sait rien de comment Jésus a vécu et compris ce temps. Les textes nous disent qu’il a été « jeté dans le désert » ou qu’il y a été conduit par l’Esprit. Jésus est là, dans une situation physiquement et moralement intenable. Dans ce qu’on pourrait imaginer comme un interminable face à face avec lui-même. Dans un film, cela pourrait donner un plan très lent. La scène vue de loin, la chaleur que l’on voit monter du sol, et puis, au loin, une silhouette que l’on distingue. Le soleil poursuit sa course et la silhouette se précise, à la faveur du mouvement de la caméra. On distingue un homme, jeune, vraisemblablement calme, ne cherchant pas à fuir ce lieu. On perçoit son profil, son regard peut-être, l’horizon, puis c’est la fin de la séquence.

 

En parallèle, il y a le récit que nous venons d’entendre. C’est le texte proposé pour la lecture suivie de la Bible, pour aujourd’hui. C’est un récit fort, très impressionnant, très marquant visuellement. Cette fois, il y a une foule de personnages, héros et moultes figurants, effets spéciaux et super stars. Une production à gros budget en somme, très spectaculaire ! Guidé par son héros, Moïse, le peuple hébreux s’engage dans un passage périlleux.

Le peuple hébreu s’extrait d’Egypte, sort d’un désert dans lequel il était réduit en esclavage pour se diriger vers un autre désert. Entre les deux, une mer se dresse, au sens littéral du terme. Des voix s’élèvent : quel intérêt à fuir l’esclavage si c’est pour périr dans la mer ? On imagine toute la foule de ce peuple parti à la hâte et qui constate avec angoisse que la mer condamne sa route. D’un côté une foule aux abboies, de l’autre, l’énorme et puissante armée de pharaon qui est à ses trousses. Une foule habillée simplement, avec de maigres baluchons contenant leurs quelques biens. Un peuple qui fuit la servitude, un lieu dans lequel rien ne se passe, dans lequel il est privé d’avenir. Surgissant derrière eux, les chars, les attelages, les armures miroitant sous le soleil.

Le peuple hébreux en appelle alors à Dieu.  Dieu va leur garantir un passage sur la « terre ferme » ou à pied sec, selon les traductions. La fois précédente où cette expression a été employée, se trouve dans la Genèse, au moment du récit du déluge. A la fin du déluge, Noé et les siens ont pu poser le pied sur la « terre ferme ». Cette terre qui s’ouvre devant eux, grâce à la main étendue et au bâton brandi par Moïse, est celle du salut. Elle leur garantir la vie sauve.

Et on observe un double retournement : le bâton brandi par Moïse pour faire souffler le vent d’eau et disperser les eaux a servi précédemment à répandre les 10 plaies. Cette fois, ce bâton tend vers la vie. Mais vers la vie pour le peuple hébreu seulement. Pour les Egyptiens, il sera l’ultime plaie : celle qui fera se refermer les eaux sur eux pour les engloutir.

Le second retournement est un retournement physique. Depuis leur départ d’Egypte, les hébreux étaient guidés par la nuée : colonne de fumée d’un côté, colonne de lumière de l’autre. Alors que les hébreux fatigués, stoppés par la mer voient l’armée de pharaon fondre sur eux, la nuée se retourne. Elle quitte la tête du peuple et se place à sa suite. Elle s’interpose entre eux et pharaon pendant le temps nécessaire à l’assèchement de la mer. Dieu ne guide plus seulement son peuple, il le protège.

 

Dans ce récit, le temps s’étire. Face à la mer, acculé par l’armée de pharaon qu’il distingue à l’horizon, le peuple hébreu prend le temps de mesurer toute la difficulté de la situation. Et la solution n’apparait pas immédiatement. Le peuple panique, s’affole, invective Moïse qui, à son tour, invective Dieu. Dieu explique à Moïse quoi faire. Il va étendre sa main, brandir son bâton et le vent va se lever. Grâce au vent, au vent d’est nous dit le texte, la mer va se séparer peu à peu et former comme une muraille, offrant un passage à pied sec. Il a fallu le temps de prendre la mesure de la situation et de s’en remettre à Dieu. Il a fallu le temps que le peuple constate la puissance du miracle pour s’en remettre une nouvelle fois à Dieu, dans la confiance.

 

L’eau balise en quelque sorte ce récit. Elle va rendre irréversible la sortie d’Egypte : ce temps où le peuple hébreu était esclave de pharaon ne peut plus être, puisque pharaon et son armée ont disparu en tentant de les arrêter. Mais pour autant, la liberté et la félicité ne sont pas à portée de main. Un peu plus loin, lorsque le peuple hébreu cherchera une source pour se désaltérer, il trouvera la source de Mara dont l’eau est tellement amère qu’elle est imbuvable. Il faudra que le peuple s’installe dans le désert pour que la source jaillisse enfin du rocher. Un temps de latence est donc nécessaire.

 

De l’autre côté, nous avons ce séjour de Jésus dans le désert dont nous faisons mémoire aujourd’hui. L’eau y est également l’élément qui introduit la séquence : c’est après avoir été baptisé dans le Jourdain, que Jésus est conduit dans le désert. Jésus a plongé dans l’eau et il en est ressorti ; et c’est suite à cela qu’il « fût emmené par l’esprit dans le désert ».

Pour le peuple hébreu, comme pour Jésus, le désert est un passage obligé. Le peuple hébreu y est conduit pas Moïse qui suit les ordres de Dieu. Jésus y est conduit par l’esprit.

Le désert est un lieu de silence, de vide. Il joue ici un rôle de sas ; il est la représentation géographique d’une nécessaire période de transition, de maturation.

 

Le livre de l’exode ouvre une nouvelle représentation du peuple hébreu. Jusque-là, le récit s’attachait à des patriarches et aux épisodes marquant la vie de sa tribu. Avec le livre de l’Exode, les « héros », laissent la place au groupe. Il s’agit maintenant d’un tout, qui va évoluer ensemble, dont l’histoire va devenir celle d’un peuple. Un peuple qui va accéder à sa liberté, à son autonomie. Esclave pendant une longue période en Egypte, le peuple hébreu va reprendre la main sur sa destinée. Mais cela ne va pas se faire en un jour. Il va lui falloir passer 40 ans dans le désert pour enfin accéder au lieu que Dieu lui réserve. Un peu comme un héritier qui sait qu’il ne pourra accéder à son patrimoine qu’à un âge donné. Un futur lointain laisse entrevoir la terre promise, mais elle ne sera pas foulée par cette génération. Il n’y a plus de retour en arrière possible, que le chemin vers une autre vie, celle de la liberté et de l’abondance mais qui va nécessiter un apprentissage. L’apprentissage sera d’être le peuple de Dieu.

 

On peut voir avec parallèle avec le séjour de Jésus au désert dont nous faisons mémoire pendant ce temps de Carême. Des années précédant cet épisode, on ne sait rien. De l’enfance du Christ, les textes ne nous livrent pas de détails. Tout au plus l’épisode à la synagogue alors qu’il a treize ans.

Et puis il y a son baptême, dans le Jourdain, par Jean le Baptiste. Jésus plonge dans l’eau et Dieu le déclare comme son Fils. Pour autant, le ministère de Jésus ne début pas immédiatement après cet événement, après son baptême. Jésus est ensuite « conduit dans le désert par l’esprit ». Pour être pleinement celui que Dieu s’est choisi comme fils, Jésus a également besoin d’un espace, d’un temps comme une sorte de sas. Que fait-il pendant ces 40 jours ? On ne le sait… Le désert étant le lieu du silence, et le silence était le point culminant de la prière et donc du dialogue avec Dieu, je dirais que Jésus dialogue avec Dieu de son rôle sur terre. Il ne peut pas, du jour au lendemain, bousculer, abolir même les commandements que Dieu a remis à son peuple dans des circonstances similaires. Pour opérer un bouleversement aussi radical, Jésus a lui aussi besoin de temps. Et c’est le désert qui le lui offre, malgré la faim, la soif, la solitude et, in fine, la tentation par Satan. Et c’est suite à ces deux temps : celui dans le désert, celui face à Satan, que Jésus débutera son ministère.

 

Le désert ne serait-il donc pas ce que nous en imaginons, un peu trop rapidement ? Est-ce vraiment un lieu mortifère ?

Ces deux récits, que nous mettons en parallèle ce matin, peuvent nous amener à reconsidérer des épisodes de nos vies que nous qualifierions comme des déserts. Quels seraient nos déserts ? Pour un étudiant ce pourrait être d’avoir la sensation de s’être trompé de voie, de ne pas suivre les études pour lesquels il se sent fait et d’y perdre son temps ? Pour l’actif, le désert est celui d’un avenir professionnel qui semble bouché : une promotion dont on désespère, des nouveaux projets qui se font attendre ? Dans sa vie personnelle, l’impression de naviguer à vue, de sentir le sol instable sous ses pas, de se sentir seul en se demandant si une nouvelle rencontre surviendra un jour ?

Ces déserts ne sont pas une impasse. Ils peuvent être traversés. Cette traversée peut être longue et laborieuse, aride et épuisante, mais elle permet de mieux se connaître.

Nos déserts sont aussi des temps de réappropriation de nos vies, de nos identités. Nous ne nous y perdrons pas par ce que Dieu, tour à tour, nous guide et nous protège, comme depuis la nuée, nous livre ses commandements pour nos vies, nous offre la liberté loin de nos servitudes et nous assure de la présence de son Fils.

Amen