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Ceci est mon corps

Prédication du dimanche 9 juillet 2023, par Loup Cornut

 

« Ceci est mon corps »

Prédication du dimanche 9 juillet 2023, par Loup Cornut

 

Lectures bibliques :

  • Romains 8, versets 9 à 13
  • Matthieu 11, versets 25 à 30

 

Body summer, body shaming, body positive… Derrière tous ces anglicismes, se cachent ou plutôt se dit, notre rapport à notre corps. Un corps prêt pour l’été, un corps que l’on discrimine parce qu’il ne répond pas à des critères sociétaux, ou bien un corps que l’on revendique au naturel. Avec le texte que nous venons d’écouter, le corps est lui aussi malmené. Cette chair qui serait à l’origine de biens des maux, de biens des vices. Une histoire de corps qu’il faudrait dominer ou plutôt dépasser.

D’ailleurs, en ce moment même, vos corps en font l’expérience. Si je vous demande si vous êtes bien installés, vous allez certainement hésiter un peu avant de répondre. Et il est fort probable que votre réponse sera : euh… pas vraiment. Ces bancs ne sont pas faits pour être confortables et si ma prédication est trop longue, vous allez certainement finir par chercher une position plus confortable pour patienter jusqu’à la fin. Je soupçonne d’ailleurs une intention non avouée dans la confection de ces bancs. Ils sont esthétiques, certes mais assez inconfortables. Nous sommes loin des nouveaux fauteuils dont sont dotés les cinémas, qui garantissent un confort semblable à celui que nous aurions dans notre canapé. Si ces bancs sont inconfortables, ce n’est pas pour le plaisir de faire souffrir les personnes qui y prennent place mais, j’imagine pour y rendre tout assoupissement impossible si le culte venait à s’éterniser. Quelque que soit la motivation, nos corps sont malmenés. Mais, pourquoi tant de ressentiment vis-à-vis des corps ?

Ne sont-ils pas nous-mêmes ? Pouvons-nous vraiment nous imaginer, nous définir sans prendre en compte notre corps ? Pourtant, mon corps me permet de me déplacer, d’accomplir un nombre incalculable de gestes tout au long d’une journée. Il peut me tracasser ou me faire souffrir ; il peut être le lieu de combat. Il peut me paraitre limité par rapport à l’usage que je voudrais en faire : mieux me pouvoir si la maladie ou un accident m’a privée d’une partie de ses fonctions motrices. Je pourrais aussi vouloir mieux l’habiter si je souffre de troubles du comportement alimentaires. Il a peut-être été blessé, atteint si profondément que même mon esprit semble en porter les cicatrices, si j’ai été victime de violences physiques ou sexuelles. Mais mon corps est aussi ce qui me permet d’interagir avec les autres. Il peut autant donner que recevoir des caresses. Il peut, par une étreinte, être force de consolation et de réconfort. Il peut, par mes mains et mes bras, accomplir des gestes aussi fraternels que hautement techniques. Mon corps et moi formons un tout.

 

Pourtant, à la lecture du passage de l’épitre aux Romains que nous venons d’écouter, il semble que notre corps soit un dangereux ennemi. « Si vous vivez selon la chair, vous allez mourir », nous dit Paul. Rien de moins. En même temps, c’est une réalité biologique : notre corps connait la finitude. On note d’ailleurs que Paul emploie le mot « chair » et non pas le mot « corps ». Et, dans ces propos, très virulents, comme souvent, le mot « chair » est terriblement négatif. Elle est le lieu de la mort et de la perdition. C’est une notion qui est propre à Paul et qu’il développe largement dans ces épitres. Il en parle donc dans très termes très durs dans cet extrait de l’épitre aux Romains que nous venons d’entendre mais il en parle de façon encore plus virulente dans l’épitre aux Galates, au chapitre 5 :

18Mais si vous êtes conduits par l'Esprit, vous n'êtes pas sous la loi. 

19Or les œuvres de la chair sont manifestes : inconduite sexuelle, impureté, débauche, 

20idolâtrie, sorcellerie, hostilités, disputes, passions jalouses, fureurs, ambitions personnelles, divisions, dissensions, 

21envie, beuveries, orgies et autres choses semblables. Je vous préviens, comme je l'ai déjà fait : ceux qui pratiquent de telles choses n'hériteront pas le royaume de Dieu

 

Vous voyez un peu ce catalogue de vices ! Vu comme ça, on comprend que le corps soit considéré comme une entité dangereuse. Et, de là, on pourrait comprendre une opposition que l’on continue à véhiculer entre corps et esprit. Mais que l’on représente plutôt aujourd’hui comme une opposition entre le corps et l’esprit, au sens d’intellect, de facultés intellectuelles. On peut avoir tendance à penser que cette opposition et cette « diabolisation » du corps sont un pur produit du christianisme. Mais ce n’est pas le cas. Ce fameux catalogue de vices que Paul dresse dans l’épître aux Galates et qui stigmatise le corps n’est en réalité qu’une rhétorique très en vogue dans l’antiquité. Plus que jamais, Paul est un homme de son temps. Dans une démarche stoïcienne, il y a une volonté de s’éloigner de son corps. C’est un appel à un détachement de cette chair qui serait limitante pour l’esprit. Pour les philosophes antiques, il s’agit bien de libérer son esprit des contingences du corps, pour pouvoir s’adonner à la réflexion intellectuelle. Le christianisme n’est donc pas le seul responsable de cette accusation du corps.

Si l’on regarde du côté du Premier Testament, le corps est alors désigné par le terme « basar » en hébreu et ne souffre d’aucune connotation péjorative. Il couvre le champ sémantique du corps (peau, viande, parenté) ; il définit l’être humain dans sa globalité, avec les limites et les fragilités humaines.

Tout change avec le nouveau testament. Par sa définition même, il est le récit de l’incarnation, et cela veut tout dire. Pour s’adresser aux hommes, Dieu ne s’est plus contenté de mobiliser des prophètes. Demander à des hommes choisis, de répéter à d’autres ses paroles, ne suffisait plus. Il devait, à son tour, habiter le monde. Et cela signifiait revêtir une enveloppe charnelle et faire l’expérience de la finitude. Si le corps était le lieu de perdition que Paul nous décrit, Dieu aurait-il vraiment envoyé son fils sur la terre ?

Nous ne savons rien de l’apparence physique de Jésus. Les évangiles ne nous livrent pas le moindre indice. Est-il grand, petit ? Elancé, avec un regard intense ? ou bien plutôt râblais au regard malicieux ? On ne nous parle pas de petites cicatrices, héritées de l’enfance, qui, comme ce fut le cas du héro Ulysse dans l’œuvre d’Homère, permettaient à ses proches de l’identifier malgré tout. J’avancerais une hypothèse : si l’on ne sait rien de l’apparence physique de Jésus, c’est pour que chacun puisse se le représenter à loisirs, tel qu’il lui semble le plus proche de lui-même. Pas de héros au physique idéalisé. Simplement un homme, un être humain, comme moi. Comme moi et comme mon frère ou ma sœur dans lequel je peux aussi déceler le visage du Christ.

On ne sait donc rien du corps de Jésus, de son apparence physique mais pourtant ce corps a été largement sollicité. Il a connu une croissance biologique semblable à celle que n’importe quel être humain. Il a été baptisé dans le Jourdain, et l’eau était peut-être froide ce jour-là. Comme la plupart des hommes de son temps, il avait un travail physique avant de débuter son ministère. Il a ensuite arpenté les chemins de Galilée pour annoncer la Bonne Nouvelle. Son corps a donc été sollicité, mobilisé chaque jour de sa vie. Mais ce n’était pas d’un corps « outil », un ensemble de muscles soumis à la volonté de son esprit. C’est un corps qui a interagi avec les autres. Il a été ému de compassion : littéralement, il a été ému aux tripes. Et il y a ce passage, un peu dérageant, du lavage de ses pieds par Marie Madeleine. Elle verse tant de larmes sur les pieds de Jésus qu’elle en vient à les laver de ses larmes. Elle utilise ensuite ses propres cheveux pour sécher les pieds de Jésus et les enduit d’un parfum de luxe. Sans chercher à atteindre l’explication théologique de ce texte, c’est un récit d’une grande sensualité. Et Jésus refuse de la condamner pour ce geste. Il reconnait que la vie, c’est aussi cela.

Il livrera aussi son corps. Nous le dirons au moment de la sainte cène en reprenant ses mots : « ceci est mon corps ». Mais il a aussi livré son corps sur la croix. Il fallait que ce corps habite le monde, y expérimente les sensations et les sentiments et qu’il en éprouve la finitude. Notre corps est à la fois une limite géographique et temporelle. Notre peau sera notre frontière même si notre esprit dépasse notre corps, notamment dans la relation à Dieu.

Ce que nous pouvons comprendre du message de Paul, c’est que nous sommes invités à trouver un équilibre. Notre corps nous impose des limites très simples : il nous rappelle régulièrement qu’il est indispensable de boire, de manger, de dormir. Mais notre corps, par notre peau, est aussi notre interface sensible avec le monde. Nous avons que les câlins sont à la fois indispensables au développement des enfants mais qu’ils stimulent aussi nos défenses immunitaires. C’est par le contact physique que nous tentons de consoler, de redonner du courage : par une main posée sur l’épaule, ou bien délicatement posée sur la main de la personne que nous souhaitons réconforter.

A l’image de l’incarnation, mon corps est indispensable pour habiter le monde et être en lien avec les autres. Malgré les souffrances, malgré ses limites, mon corps, façonné de chair, vit parce que Dieu y fait circuler son souffle.

Amen