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A travers bois

Prédication du dimanche 6 novembre 2022, par Loup Cornut

A travers bois

Prédication du dimanche 6 novembre 2022, par Loup Cornut

 

Lectures bibliques :

  • Genèse 6, versets 13 à 22
  • Exode 25, versets 8 à 16
  • Marc 6, versets 1 à 3

 

Noé, Moïse, Salomon, Jésus… et si, finalement, le bois nous racontait l’histoire du salut ? Noé fut sauvé et sauva les animaux grâce à une arche faite en bois, Moïse fut sauvé grâce au bois de son berceau et il fabriqua l’arche d’alliance, Salomon construisit le temple en bois de cèdre et Jésus mourut sur le bois de la croix.

Alors aujourd’hui, et c’est de saison, je vous propose une promenade à travers bois. La Bible nous propose une forêt de bois d’essences diverses, des bois souvent peu propices à la construction. Un bois qui ne sied guère au peuple nomade que Dieu s’est choisi. Un appel répété à utiliser le bois qui met en difficulté celui qui devra le façonner.

Mais n’allons pas trop vite et arrêtons-nous sur le premier bois à jouer un rôle essentiel dans la Bible. Un bois dont on ne connait même pas le nom. Un bois qui pousse dans une région pourtant désertique et qui va se révéler assez malléable et résistant pour donner vie à la coque d’un navire. Rejoignions Noé, paisible père de famille qui ne se distingue des autres que parce qu’il fait ce qui plait à Dieu. Dieu, fâché contre les humains, décide de les éradiquer en détruisant la terre par une grande inondation. Mais, toutefois, Dieu décide d’épargner Noé et sa famille, ainsi que les animaux afin que la vie puisse reprendre un court nouveau après le déluge. Mais Noé va devoir œuvrer à son salut, il doit bâtir l’arche qui lui permettra d’affronter les flots. Imaginons le désarroi de cette homme vivant, non peut-être pas en plein désert, mais tout du moins dans une région aride dans laquelle les arbres ne sont pas légion. Qui plus est, Noé est très certainement un berger nomade qui ne maitrise aucune technique de construction. Mais, puisque c’est là l’appel de Dieu, Noé se met à la tâche. Il cherche des arbres susceptibles de fournir le bois nécessaire à cette construction. Ce bois n’a pas de nom. Dans d’autres grands récits de construction le bois utilisé est nommé parce que le choix même de l’essence en sera symbolique. Mais du bois de l’arche, rien n’est dit. C’est ce que l’on appelle un « hapax » : un mot qui n’apparait qu’une seule fois dans la Bible si bien qu’on ne dispose d’aucun élément auquel le lier pour le traduire. Cette absence de nom fera dire à certains commentateurs qu’il préfigure le bois de la croix. Le bois qui offrira le salut à juste ce qu’il faut d’être humains pour que la vie ne soit pas totalement anéantie, annonce le bois qui, par la mort et la résurrection de Jésus, annoncera le salut de l’humanité. Ce qui est intéressant, c’est le traitement que va subir le bois afin d’assurer l’étanchéité de l’arche. Nous savons qu’il s’agit d’un bois résineux qui devra être couvert d’un enduit au -dedans et au-dehors.

Le choix du bois « résineux » fait assonance avec les mots traduits dans le même verset par couvrir et enduit. Ces mots ont la même racine « kpr » qui a aussi fourni le vocabulaire technique de l’expiation ou annulation des péchés (yom ha-kippourim). Kpr au sens de « donner une rançon » pour échapper à la colère de Dieu : c’est bien le cas de Noé qui, grâce à l’arche, échappe à la colère de Dieu qui va dévaster la terre. C’est aussi le cas des Hébreux (Exode 30, 11-12) : « Le Seigneur dit à Moïse : « lorsque tu feras le dénombrement des Israélites pour les recenser, chacun d’eux donnera une rançon au Seigneur pour lui-même, lors du recensement ; ainsi, lors du recensement, il n’y aura pas de fléau parmi eux ». Même thème au Psaume 49, 8 : « Un homme ne peut libérer son frère, ni donner à Dieu le prix de sa rançon. Leur libération est trop chère, elle n’aura jamais lieu ». Ainsi le Christ rachètera de sa vie la vie des hommes.

Nous parlons d’une arche qui a garanti la vie sauve à Noé, sa famille et les animaux. Mais le texte hébreu nous dit autre chose : il ne parle non pas d’une arche mais d’une caisse. Mais comment imaginer une simple caisse, de dimensions aussi gigantesques et capables d’affronter un déluge ? Le mot de « caisse » dit plutôt ce qui enveloppe, protège et permet à ce qu’elle contient de survivre au danger. C’est ce même mot qui est utilisé pour parler du couffin dans lequel Moïse est placé avant d’être déposé sur les eaux du Nil. « elle prit pour lui une caisse de papyrus qu’elle enduisit de bitume et de poix ; elle y mit l’enfant et le déposa parmi les joncs ». (Exode 2,3) Contrairement à l’image du joli couffin en osier que nous avons en tête, Moïse a bel et bien été déposé dans une caisse de papyrus elle aussi enduite, qui le préservera de l’eau, tout comme la caisse arche de Noé l’a fait pour ses occupants. Moïse fut sauvé alors même que les garçons de sa génération avaient été condamnés par pharaon. Cette caisse dans laquelle un bébé est déposé, un bébé qui échappe, avec d’autres, au massacre auquel sa génération est promise ; cette caisse trouvera un écho, bien plus tard, dans une humble mangeoire pour accueillir un nouveau-né qui échappera aussi au massacre de sa génération.

 

Moïse, grandissant, n’en a pas fini avec le bois. C’est à lui que reviendra la lourde tâche de fabriquer l’arche d’alliance. Dans ce cas, il s’agira bien d’une arche, ou d’un coffre, non plus d’une caisse. C’est pendant l’errance dans le désert que Dieu appelle Moïse et lui donne les instructions pour la construction de la tente de la Rencontre. Dans le désert, sec et aride, impossible de trouver un végétal haut de 15m pouvant fournir du bois d’œuvre solide. Le choix se portera donc sur de l’acacia. Non pas celui que nous connaissons, mais l’acacia seyal, un arbuste rouge, épineux, de la famille du mimosa. Il serait d’ailleurs à la fabrication des sarcophages par les égyptiens. Mais c’est un bois lourd. Et la tente de la rencontre sera d’autant plus lourde que le Seigneur demande à ce qu’elle soit couverte d’or. Pour ce peuple nomade, utilisant des structures d’habitation légères, faciles à démonter et à transporter dans le désert, la tente de la rencontre représente un poids considérable. Franchissant les rives du Jourdain, entrant en terre promise, les hébreux laisseront l’acacia derrière eux. Il restera le bois du désert et de l’errance. Il sera supplanté par le cèdre.

 

Et c’est le cèdre qui sera choisi pour la construction du temple. Cèdre : en hébreu, le nom du cèdre ‘erèz vient de ‘arèz qui signifie « il se fait fort, il devient fort ». fermeté, croissance vigoureuse, droiture, majesté, stabilité et, par extension, pouvoir institué, voilà ce qu’évoque le cèdre du Liban. Une assonance rapproche le cèdre ‘érèz, qui servit à bâtir le temple de Jérusalem et ‘érèts,, la nouvelle terre investie par le peuple hébreux après l’exode.

Les Hébreux ne sont pas des artisans du bois. Lorsque Salomon fait construire le temple, il fait appel à ses alliés phéniciens. Ils se chargeront de la construction du temple mais aussi de la réalisation du mobilier (arche et table, entre autres). Son père, David a fait venir de Tyr (c’est-à-dire le Liban) le bois de cèdre, les charpentiers et les tailleurs de pierre pour bâtir son palais. Le peuple hébreu est un peuple nomade qui ne maitrise pas les techniques de construction et qui, devant voyager léger, n’a pas développé d’artisanat particulier. L’errance ne permet pas le développement d’un savoir-faire artisanal. (2 Samuel 5, 11). Pourtant, le temple voulu par Dieu sera une bâtisse impressionnante qui ne comportera pas moins de 3 étages. Ou plutôt, le temple comportera trois niveaux, peut-être des galeries. Cela rappelle la construction de Noé, simple berger devenu charpentier de marine ; quand Dieu lui dévoila les plans de l’arche, il lui indiqua, outre ses dimensions gigantesques, qu’elle devrait comporter trois niveaux. Mais peut importe finalement, que le temple soit grandiose, Dieu n’habitera pas un lieu formé par des mains humaines : « le ciel est mon trône, la terre mon marchepied. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, quel serait le lieu de mon repos ? » Esaïe 66, 1 ; ce que rappellera Luc dans le livre des actes en reprenant la citation d’Esaïe.

 

Dieu ne célèbre pas les bâtisseurs, les hommes de Babel l’ont âprement découvert. Mais il dirige les mains des simples charpentiers. De Noé, comment ne pas penser à Jésus ? Jésus n’était pas un berger, pas un prêtre, il ne s’inscrit dans aucune généalogie professionnelle. Mais, comme pour Moïse, et même encore plus tôt, sa vie a commencé au contact du bois. Jésus, nouveau-né, n’est pas gardé contre elle par sa mère. Elle ne se couche pas en le mettant à ses côtés. Elle le dépose dans une mangeoire. Le geste est doux mais il marque un éloignement, une mise à distance, un détachement. Marie pose Jésus à distance d’elle. Elle l’offre aux regards en se retirant de la scène. La mangeoire en bois enveloppe alors Jésus comme la caisse de papyrus l’a fait avec Moïse. Elle est le lieu de la nourriture. Il sera le pain de communion qui nourrit les hommes. C’est le geste d’une mère qui sait que son enfant ne lui appartient pas. Il est né pour les autres ; dans ce premier geste, elle le livre déjà.

Son lien avec le bois se poursuivra en grandissant, comme son père, il devient charpentier. Jésus charpentier : Marc 6, 3 et Matthieu 13,55. Dans Marc, il est dit de Jésus qu’il est charpentier et qu’il est le fils de Marie ; on nomme aussi ses frères et sœurs mais aucune mention n’est faite de son père. Il a en adopté la profession mais le père est sorti de l’identification de Jésus. Il est identifié par sa profession et par sa mère. Sa filiation avec son père est celle des mains, pas celle du sang. C’(est un savoir-faire transmis pas un héritage biologique. Joseph est alors exclu de la cellule familiale de Jésus qui se limite à sa mère et sa fratrie. Et la précision selon laquelle Jésus est charpentier est apportée alors qu’il a commencé à enseigner dans la synagogue et que ces propos ont agité les foules. Comment imaginer cet homme en pleine jeunesse éprouvant le contact du bois au moment de sa crucifixion ? Le bois qu’il connait, qu’il a appris à découper, à façonner, dont il connait la résistance. Cette fois, le bois ne s’assemble pas pour former une caisse qui fera vivre au-delà des eaux. Cette fois, avec le bois, tout s’arrête. Il lui faudra aller bien plus loin, affronter la mort et revenir à la vie. C’est une traversée qu’il a faite seul mais pas pour lui seul. Nous sommes tous au bénéfice de cette traversée ; ce bois-là nous dit que nous sommes déjà sauvés.

Amen