Ne pas être sourd ; mais que faut-il entendre ?, par Bertrand Dicale — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Ne pas être sourd ; mais que faut-il entendre ?, par Bertrand Dicale

Prédication du dimanche 9 septembre 2018, par Bertrand Dicale

Lectures : 

  • Zacharie 7, 8-14
  • Galates 3, 1-5
  • Marc 7, 31-37

 

Sur les trois textes proposés à la méditation aujourd’hui, seuls le premier – chez Zacharie – et le troisième – dans l’Évangile de Marc – font partie du programme de lecture de la Bible en six ans que suivent la plupart du temps les paroisses de l’église protestante unie de France. Je me suis permis un petit écart en y associant ce texte de l’épître aux Galates dans lequel Paul répète sa question : « est-ce en pratiquant les œuvres de la loi que vous avez reçu l’Esprit ou en écoutant l’Évangile avec foi ? »

Évidemment, nous reconnaissons l’offensive de Paul contre l’espoir d’un salut par la loi – c'est-à-dire par les œuvres – et son affirmation du salut par la foi. Une position qui fondera la révolution théologique de Martin Luther puis Jean Calvin. Mais aujourd’hui nous n’allons pas évoquer cette question majeure qui éclate dans cet extrait de l’épître aux Galates – le salut par la foi, le salut par les œuvres.

Non, ce que Paul  nous dit là, c’est la centralité de la parole, le caractère fondamental de l’exercice auquel nous nous livrons à l’instant vous et moi qui partageons la même foi – je dis partageons pour faire simple ; nous avons chacun des cheminements spirituels différents, des manières différentes de concevoir ou même d’objectiver notre foi, des parcours plus ou moins sinueux à l’intérieur de cette église de tradition réformée ou en passant par d’autres dénominations ou même d’autres religions puisque certains d’entre vous ont pu être catholiques, orthodoxes, juifs, musulmans, athées, bouddhistes, que sais-je encore… – mais aujourd’hui je ne me trompe sans doute pas beaucoup en disant que tout le monde ici peut être dit chrétien, et même protestant.

Et pour nous tous, la parole est centrale – cette parole-ci, le dimanche, dans un temple ; la parole composite, avec des prières, des chants, la lecture de textes bibliques et la prédication – là où nous sommes.

Le hasard – mais ce n’est pas complètement un hasard – ; ce que nous appellerons hasard veut que dimanche dernier notre pasteur Andreas Lof a prêché sur la parole, et sur la manière dont la parole de Dieu devient acte dans nos vies. Je vais d’une certaine manière poursuivre son propos.

Et ce que dit Paul aux Galates – il est un peu énervé, vous l’avez deviné –, c’est qu’il faut écouter. Écouter l’Évangile, c’est sans doute, vers 50 après la naissance du Christ en Galatie (c'est-à-dire vers l’actuelle ville d’Ankara), c’est sans doute quelque chose qui ressemble à ce que nous faisons aujourd’hui : des textes, des prières, des hymnes, certainement les psaumes, des textes de l’Ancien testament, peut-être déjà les premières versions de ce qui deviendra l’ensemble des trois Évangiles synoptiques – la fameuse Source Q que cherchent encore les philologues.

Et encore, Paul s’exprime à l’écrit. Il faut imaginer sur quel ton il le dirait dans une chapelle : « est-ce en pratiquant les œuvres de la loi que vous avez reçu l’Esprit ou en écoutant l’Évangile avec foi ? » A l’oral, il rajouterait sans doute des points exclamations, peut-être des jurons – des jurons bibliques mais des jurons quand même. Bon sang de bonsoir, c’est avec les œuvres de la loi que vous avez reçu l’Esprit, ou c’est en écoutant l’Évangile ? Bon sang… »

Et nous avons tous un jour, dans nos vies les plus profanes – à l’école, en famille, chez les scouts, en vacances avec les copains de pétanque ou de randonnée – employé ce ton-là : « non mais tu peux écouter, s’il te plaît ? tu peux écouter ? »

Et c’est ce dit aussi Zacharie : « ils ont endurci leurs oreilles pour ne pas entendre. Ils ont rendu leur cœur dur comme le diamant pour ne pas écouter la loi et les paroles que l'Eternel leur adressait. »

Cinq cents ans avant la naissance du Christ, le onzième petit prophète de l’Ancien testament va annoncer la venue du Messie mais également, donc, clamer l’urgence de l’écoute.

Et, comme souvent, le Nouveau Testament fait écho à l’Ancien Testament en décalant le regard. Car ce n’est pas seulement une recommandation que va donner le Christ lors de son ministère : il pose un acte, et cet acte est un miracle.

Je pense que lorsqu’on lit cet épisode dans son enfance, ou qu’on l’entend raconter à l’école biblique ou même au temple, il y a quelque chose de forcément dérangeant lorsque le Christ met ses doigts dans les oreilles du sourd et applique sa salive sur sa langue. Pour les adultes, et surtout pour des adultes protestants, qui sont volontiers critiques envers les cierges, les images miraculeuses et tout le saint-frusquin de nos frères catholiques, ce n’est pas le miracle le plus facilement maniable. Parce que là, on ne peut contester que l’évangéliste met en scène un geste magique.

Or, au-delà des doigts dans les oreilles et de la salive sur la langue, il y a dans le miracle du sourd-muet beaucoup plus que de la magie.

 

Permettez-moi un contrechamp tout d’abord – contrechamp au sens cinématographique, en posant la caméra pour découvrir un angle que l’on distingue pas très clairement dans le récit.

Marc raconte la guérison d’un sourd-muet et c’est ce sur quoi nous nous concentrons instinctivement. Mais n’oublions pas, juste avant la fin du récit de cet épisode : « Jésus leur recommanda de n'en parler à personne, mais plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient. »

Vous le savez, ce n’est pas la seule fois que Jésus demande à ce qu’on taise ses prodiges, ni la seule fois qu’un évangéliste souligne que ses disciples n’obéissent pas à cette prescription. Mais il y a un entrelacs de symboles passionnant dans cette désobéissance : en rendant l’ouïe et la parole à un homme – c’est un païen, d’ailleurs, ce qui est forcément significatif –, en lui rendant l’ouïe et la parole, le Christ libère aussi le discours sur son ministère, libère aussi l’écoute de sa prédication. Et je suppose que l’on trouve dans toutes les langues le jeu d’ambiguïtés fécondes qu’il y a dans la formule qu’il prononce : ephphata – ouvre-toi.

Écouter, parler, c’est s’ouvrir. Et ce miracle est singulier dans les Évangiles : non seulement le Christ fait des gestes magiques directement liés aux infirmités de cet homme mais en plus il désigne ce qui est accompli, il désigne ce qui guérit le sourd-muet à tout jamais : ouvre-toi.

Quand je parlais des autres langues dans lesquelles la Bible se traduit, c’est que les mots « ouvre-toi » ont un sens contemporain absolument éclatant. S’ouvrir, n’est-ce pas ce que l’on demande non seulement à notre église, à notre temps, à nos enfants, à nous-mêmes ? N’est-ce pas précisément une des vertus majeures du citoyen idéal d’aujourd’hui ; n’est-ce pas même ce qui semble être, dans la société française, notre réputation première – « ce que j’aime avec vous les protestants, c’est que vous êtes ouverts ; zêtes vachement open, comme religion ».

Et c’est curieux, une fois de plus, comme résonnent ensemble des singularités presque contraires dans cet épisode : d’une part, la vieille magie du miracle à base de salive et de formules en araméen et, d’autre part, une morale très contemporaine qui sonne presque comme un éditorial politique dans Libération – ouvre-toi.

 

Mais revenons à l’essentiel, à ce qui lie nos trois textes du jour. Le Christ ne nous commande pas d’écouter : il fait entendre un sourd ; et ce n’est certainement pas un hasard si entendre et parler sont les deux facultés que retrouve concomitamment le miraculé.

Plus tôt dans l’Évangile de Marc, le Christ a guéri divers malades, marché sur les eaux, multiplié les pains ; plus tard, il va encore multiplier les pains, guérir un aveugle, guérir un démoniaque… Si nous nous arrêtons à ce sourd-muet, c’est aussi parce qu’il prolonge Zacharie, d’une certaine manière, mais aussi annonce ce que le Christ demande à ses disciples, à l’humanité et, en attendant la nouvelle Jérusalem, ce qui est demandé à son Église : ne plus être sourd, donc.

Et c’est certainement une des difficultés les plus constantes de tous les humains qui cherchent à suivre le Christ : nous croyons tous entendre distinctement.

Quand Paul enguirlande les Galates – « Galates sans intelligence ! » – il a certainement face à lui des fidèles qui sont certains d’avoir les oreilles, et donc l’intelligence, et donc le cœur – largement ouverts. D’ailleurs, n’écoutent-ils pas l’Évangile ?

Paul reconnait – je cite – qu’ils écoutent avec foi. On est loin déjà des imprécations de Zacharie contre les hommes qui « ont rendu leur cœur dur comme le diamant pour ne pas écouter la loi et les paroles de l'Eternel ». Mais Paul fait remarquer aux Galates qu’il leur suffit d’écouter ; leur salut passe par l’écoute de l’Évangile ; leur foi – la foi qui sauve – se manifeste par l’écoute.

Et l’histoire des multiples dénominations et des innombrables nuances à l’intérieur de chaque dénomination depuis le début de la Réforme il y a cinq cents ans, cette histoire est principalement l’histoire d’humains qui ont cessé d’être sourds – et qui en ont conscience.

Les reproches de Zacharie ont été entendus ; le miracle a été accompli par le Christ. Et je suis persuadé que la plupart d’entre nous dans cette église avons un petit regard ironique pour les Galates – ces pauvres Galates qui croient encore se sauver en pratiquant les œuvres de la loi…

 Donc, c’est bien entendu : nous ne sommes pas sourds. Bien sûr, nous nous reprochons notre surdité aux souffrances du monde, notre surdité parfois aux difficultés de nos proches, notre surdité collective aux hurlements de douleur de la création que l’humanité torture.

Mais sourds à l’Évangile, peut-être pas. D’ailleurs, si l’on vient au temple un dimanche, c’est bien le signe que métaphoriquement, nous avons senti les doigts du Christ dans nos oreilles, c’est que nous nous ouvrons quand il dit Ephphata.

 

Et si la question n’était pas aussi de savoir ce qu’il faut entendre, si donc nous ne sommes pas sourds ? Et si la question n’était pas principalement celle d’une ouverture bien choisie. D’une ouverture pertinente, et d’une ouverture qui soit dans le sens de la foi ?

Et si ce que nous demandait le Christ quand il nous dit d’entendre, et si ce que nous demandait Paul quand il nous commande d’écouter avec foi, ce n’était pas l’essentiel du travail théologique de chacun d’entre nous – nous qui ne sommes pas pasteurs, nous qui sommes des fidèles du Christ avec des métiers, des attachements, des passions, des occupations qui ne nous laissent pas toujours le loisir de plonger dans la Bible plusieurs heures par jour.

Donc, très souvent, dans les grandes choses de l’Église comme dans les soucis plus intimes, nous essayons d’entendre le juste conseil, la voie droite, l’option qui nous semble la plus conforme à notre foi. Et alors, en lisant la Bible, en allant sur les réseaux sociaux chrétiens, en écoutant la prédication ici ou là, nous ne sommes certes pas sourds mais nous entendons souvent beaucoup de choses à la fois.

Et quand le Christ parle de s’ouvrir, il ne dit pas seulement d’entendre mais aussi de parler – c'est-à-dire faire entendre à son tour.

Et, après lui, Paul donne un bon conseil : écouter l’Évangile avec foi.

Or la Sainte Bible est un gros livre. Un livre de 66 livres d’où montent des voix nombreuses, des voix plurielles, des voix parfois contradictoires. Et ne pas être sourd serait de les entendre toutes à la fois.

La voix énorme qui apporte au monde ces quelques mots : « aime ton prochain comme toi-même ».

Et puis en même temps des voix de juges, des voix de prêtres, des voix de chefs, des voix d’un tout autre temps que le nôtre qui disent avec l’air grave : « Car si une femme n'est pas voilée, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée, qu'elle se voile. » (Ne me regardez pas comme ça, c’est au chapitre 11, verset 6 de la 1re épître de Paul aux Corinthiens, traduction de Louis Segond.)

Est-ce cela qu’il faut entendre ? Je ne parle pas seulement des prescriptions plurimillénaires de l’Ancien Testament – « C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave et ta servante qui t'appartiendront » (Lévitique, 25, 44).

Non, je parle de ce bruissement d’obligations, de décrets, de nuances, d’interdictions, d’autorisations qui, régulièrement viennent semer la discorde dans le peuple du Christ. Certains vous attesteront qu’il est écrit – et que donc on doit l’entendre et y obéir – qu’il est écrit : « Femmes, soyez soumises à vos maris » (Éphésiens, 5, 22) ; certains excluent avec passion une ou l’autre partie des humains à cause d’une énumération de la 1re Corinthiens 6, 9-10 : « Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n'hériteront le royaume de Dieu » – autrement dit, adultères, efféminés – c'est-à-dire homosexuels –, ivrognes, c’est beaucoup de monde. Et c’est beaucoup de ceux que, précisément, le Christ dit d’aimer comme soi-même.

Je n’ai évidemment pas le dernier mot sur ces questions mais j’ai le sentiment que ce qui s’impose quand le Christ veut mettre fin à la surdité des hommes, ce n’est pas uniquement mettre fin à leur incapacité à entendre son évangile, mais aussi entendre avec discernement. Non pas seulement entendre mais aussi percevoir les différences de ton et de volume dans les écritures. Savoir que Sa parole est toujours victorieuse, savoir que ses commandements d’amour valent toujours mieux que les lois – et même les lois de ses disciples, et même les lois de son Église.

Ne pas être sourd, ce pourrait être ceci : choisir de n’entendre que l’amour du Christ, et redevenir sourd aux murmures du pharisianisme. Car si Christ est ressuscité, il faut toujours craindre que les Pharisiens ne renaissent.

Entendre le Christ, c’est surtout ne pas entendre l’étroitesse qui, toujours, revient parmi les hommes, et même dans son Églsie. Entendre le Christ, ce n’est entendre que l’amour de Dieu.

Amen.