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Seul(e) ou accompagné(e)

Prédication du dimanche 4 décembre 2022, par Christian Tanon

Jésus nous rejoint dans notre faiblesse

 

Lecture biblique : Luc 24 , 13-35  Récit des pèlerins d’Emmaüs

 

Prédication de Christian Tanon

 

Leur espérance est morte sur la croix

 

Ils étaient deux. Deux à rentrer chez eux. De Jérusalem à un village nommé Emmaüs. Onze kilomètre à pied, deux heures de marche à travers les collines et les ravins creusés.

Le premier s’appelait Cléopas. Le deuxième n’est pas nommé. Il pourrait être l’un d’entre nous. C’est peut-être toi ?...ou vous ? ou moi ?

 

Ce qu’ils avaient vécu avec Jésus de Nazareth au cours des derniers mois étaient tout simplement extraordinaire. Un homme de cette envergure, de cette générosité, de cette autorité, ils n’en avaient jamais vu. Ils avaient foi en lui. Leur espérance de voir le Royaume de paix revenir à Jérusalem était à son comble. Oui, c’était sûrement le messie.

 

Mais leur espérance est morte sur la croix. Au lieu de quitter Jérusalem le cœur en fête, pressés de proclamer leur foi, ils ne peuvent que rentrer chez eux. Loin de leurs amis.

Pourquoi se battre ? Pourquoi même espérer ?

 

N’est-ce pas ce qui se produit dans notre existence quand nous sommes terriblement déçus par la vie ? Comment notre foi ne serait-elle pas ébranlée par un grand malheur ? Par une grande injustice, une souffrance inacceptable ?

 

Un inconnu les rejoint

 

Les deux pèlerins rentrent donc chez eux, à travers les collines et les ravins creusés. En chemin vers la vie terne et sans espérance.

Et voilà qu’un inconnu les rejoint. Il ne dit pas son nom. Il marche un moment à leur côté sans rien dire. Un inconnu.

 

Ce récit, frères et sœurs, est aussi notre récit. Si au jour du malheur un homme, une femme ou un enfant nous rejoint, c’est peut-être Jésus. Ou plus précisément un messager de Jésus Christ ou de Dieu. S’il fait quelques pas avec nous sans rien dire, sans juger, sans vouloir tout de suite nous donner des conseils, sans chercher à nous rassurer en disant : vous allez voir, ça ira mieux… alors si cela nous est arrivé un jour, nous étions comme ces pèlerins d’Emmaüs.

 

Un homme les a rejoint : il n’a pas dit : c’est moi Jésus !, il n’a pas jugé, il n’a pas donné de conseils, il n’a pas cherché à rassurer. Il les a rejoints là où ils étaient, sur leur chemin.

Il n’a pas marché devant eux en leur indiquant la bonne direction. Il n’a pas marché derrière eux non plus. Il a marché à leur côté, à leur rythme. C’est ça l’accompagnement. Jésus les a accompagné dans leur nuit.

 

Il y a un film muet dont j’ai oublié le nom qui raconte la vie d’un homme de New York, jeté à la rue par la grande dépression de 1929. Il a perdu son travail. Il ne peut plus nourrir sa famille. Dans son errance et son désespoir, le voilà qu’il s’engage au petit matin sur le pont au dessus de la Hudson River. Il grimpe sur le parapet métallique et regarde en bas. Très loin se devine un une nappe noire, immobile.  Le brouillard matinal commence à l’envelopper.

L’homme se penche un peu plus lorsqu’il entend à travers la brume du matin une voix d’enfant, son enfant, qui crie « papa ! papa ! ». L’homme redescend du parapet, l’enfant court et se jette dans les bras de son père. Ils rentrent chez eux en se tenant la main, le soleil se lève sur la Hudson River.

 

Nous avons là un premier enseignement de notre évangile : c’est souvent quand nous errons dans la nuit que quelqu’un nous rejoint. Là où nous sommes. Ce quelqu’un, c’est Jésus, vivant et invisible à la fois.

Pour nos pèlerins d’Emmaüs, celui qui les a rejoints est un inconnu.  Et si nous nous demandons : pourquoi les deux pèlerins n’ont pas reconnu que c’était Jésus ? posons-nous d’abord la question : et nous, quand une femme, un homme ou un enfant nous a rejoint dans notre nuit, avons-nous reconnu que c’était Jésus, vivant et invisible à la fois ?

 

La réponse est non, et c’est tout à fait normal. Comment reconnaîtrai-je celui que je n’ai jamais vu ? Les pèlerins, eux, auraient pu le reconnaître, mais leurs yeux… je dirais même leur cœur, étaient empêchés de le reconnaître, nous dit le récit.

 

Les pèlerins allaient vers Emmaüs, leur village. Le retour à la vie ordinaire. Une vie qui a perdu l’espérance d’un monde meilleur. Le chemin d’Emmaüs est le chemin de la déception et de l’obscurité. Mais l’inconnu les accompagne sur ce chemin. Il ne leur dit pas : stop, retournez sur vos pas. Il les rejoint jusque dans leur désespérance.

 

Et sur ce chemin, ils ne pouvaient pas le reconnaître. Il leur a fallu franchir plusieurs étapes. Non pas des étapes géographiques, mais des étapes intérieures, au nombre de trois, que nous allons examiner maintenant.

 

L’étape du questionnement

 

La première étape, je l’appellerais l’étape du questionnement.

C’est par une question que Jésus engage l’entretien avec les pèlerins. Une question apparemment anodine, mais qui va pousser les disciples à s’expliquer eux-mêmes, à dévoiler leur situation réelle au fur et à mesure qu’ils en feront l’exposé. Fine pédagogie que celle de Jésus !  « De quoi discutiez-vous en marchant ? » Question ouverte. Question qui invite à voir la réalité en face. Un jour, nous nous posons les « bonnes » questions. Non pas : qui vais-je inviter à dîner la semaine prochaine ? mais plutôt : où en suis-je dans ma foi ?  quel héritage moral ou spirituel laisserai-je à mes enfants ? C’est ce que j’appelle les « bonnes question ». Elles viennent à mon avis de Jésus Christ, qui ne cesse de nous accompagner.

 

L’étape de la Parole

 

La deuxième étape est encore à l’initiative de Jésus. C’est l’étape de la Parole de Dieu.

Après avoir longuement écouté les deux voyageurs raconter tout ce qu’ils avaient vécu, Jésus les bouscule en leur disant : esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes !

Les deux disciples connaissaient bien les prophètes pourtant, mais ils n’avaient pas compris. Alors, en bon exégète, Jésus leur fait une étude biblique sur mesure qui va leur permettre d’y voir clair.

 

Dans notre chemin de foi nous ne pouvons pas faire l’économie d’une bonne explication des Ecritures. Quand je dis une « bonne explication », je veux dire une explication qui fait lever les idées fausses que nous pouvions avoir sur Dieu, et nous fait voir les choses autrement. 

 

Pendant longtemps l’Eglise a entretenu une idée d’un Dieu juge, qui punit et condamne, à moins de produire des œuvres bonnes qui lui plaisent. Lecture partielle de la Bible. Martin Luther et les Réformateurs, et bien d’autres avant lui et après lui, ont donné à la chrétienté une autre vision de Dieu, également tirée de la Bible, et plus en conformité avec l’ensemble de la Bible : la vision d’un Dieu qui pardonne et justifie tout être humain qui se tourne vers lui dans un esprit de repentance. Un Dieu Père qui ne désire qu’une chose, que son enfant grandisse. Un Dieu qui ne laisse pas son enfant à terre. Un Dieu qui rejoint le voyageur fatigué sur son chemin d’errance.

 

L’étape du don d’amour

 

L’exégèse biblique sur mesure que Jésus a donné à nos deux voyageurs, apparemment, n’a pas suffi pour qu’ils le reconnaissent. Il a fallu qu’il joigne le geste à la parole. C’est la troisième étape. L’étape du don d’amour.

 

Au moment d’arriver au village, Jésus fait mine d’aller plus loin. « Reste avec nous, leur dit-il, car le jour décline ». Ils se mettent à table à l’auberge. Jésus prend le pain, prononce la prière de bénédiction. Puis, partageant le pain, il le leur donne.

Rien d’autre.

 

C’est alors que leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. La joie les envahit en même temps qu’une grande espérance se lève dans leur cœur. Elle est si forte, cette espérance, qu’ils repartiront aussitôt, en pleine nuit, sans se soucier des dangers de la route, pour annoncer la bonne nouvelle aux autres disciples à Jérusalem. 11 km à pas grands et légers.

 

Le geste de Jésus est celui du don. Semblable à celui que nous allons vivre à la Sainte Cène. Jésus se donne à chacun d’entre nous. Quel extraordinaire don d’amour !

Un petit geste suffit : sur le pont qui enjambe la Hudson River, c’est le geste du fils qui passe sa main autour du cou de son père, et qui dit mieux que toute parole : je tiens à toi, Papa. Tu vaux quelque chose. Et le père de descendre de son parapet métallique et reprendre le chemin de la vie.

 

 

La foi est un chemin

 

La foi, frères et sœurs, est un chemin. Il nous faut plusieurs étapes pour que nous comprenions qui est vraiment Jésus Christ dans notre vie : l’étape du questionnement, parfois douloureux, qui nous place en face de notre réalité ; l’étape de la lecture et de la compréhension du sens des Ecritures, car là aussi il y a pour nous des paroles de vie, l’étape de la réception du don de Jésus Christ : c’est-à-dire de comprendre non par l’intelligence mais par le cœur, que Jésus Christ se donne corps et âme à chacun d’entre nous.

 

Jésus, invisible mais vivant, nous rejoint dans notre faiblesse. Il marche avec nous même si nous allons sur le chemin de la déception et de l’obscurité.

Il « descend » dans les bas-fonds de la société des hommes.  Il descend en nous dans les parties sombres de notre être. Car c’est là qu’il va chercher et sauver ce qui est perdu.

 

Et il nous conduit vers le Dieu de lumière à travers des étapes, toutes différentes selon les uns et les autres et les circonstances de la vie.

Jésus le fait avec une pédagogie et une délicatesse qui nous laisse toujours libres de poursuivre ou non le chemin avec lui. Ce point est illustré par le fait qu’en arrivant à Emmaûs, Jésus fit mine d’aller plus loin. A vous de me retenir, semblait-il leur dire. Ce qu’ils ont fait.

 

 

Le paradoxe de l’amour

 

Encore un détail de notre récit : à peine les pèlerins l’avaient-ils reconnu qu’il disparut de devant eux.

 

Jésus se rend présent, puis il disparaît. Il y a là un paradoxe :

Un jour Dieu nous remplit de sa présence, on le « sent » pourrait-on dire, puis il se retire. Il laisse un vide. Cela ne vous est-il jamais arrivé ?

 

Pourquoi en est-il ainsi ? En fait l’Evangile nous dit que s’il se retire, ce n’est pas pour nous abandonner, mais pour nous faire grandir dans la foi.

Si Jésus se retire, c’est pour laisser les pèlerins témoigner seuls de leur expérience. Leur foi est désormais assez forte pour qu’ils puissent faire deux heures de marche, seuls, même la nuit. Et en faisant cela leur foi grandit.

 

Le véritable amour est fait de présence et d’absence à la fois, de proximité et de distance, dans un équilibre parfois difficile à atteindre. L’amour sait se tenir à distance pour ne point écraser l’autre, pour ne point l’envahir, l’étouffer. Il n’est pas possessif.

 

La psychologie moderne a bien souligné les ravages que peut faire un amour possessif, fusionnel, étouffant. A l’opposé, nous connaissons les blessures que peut provoquer trop de distance, qui peut être vécue comme un rejet ou un abandon.

Le parfait amour évite ces deux écueils, et sait se faire ni trop présent ni trop absent. Ainsi en est-il de l’amour de Dieu pour ses enfants.

 

Merveilleux est le Dieu de Jésus Christ qui nous rejoint dans notre faiblesse, qui marche avec nous sans s’imposer.

Merveilleux est-il dans la question qu’il nous pose, une question qui fâche peut-être, mais qui dit une vérité en nous et pour nous.

Merveilleux ce Dieu qui nous éclaire et nous instruit pour comprendre sa parole,

Merveilleux enfin quant il joint le geste à la parole,

Avec une infinie patience,

Jusqu’à ce que nous puissions dire enfin : c’est lui ! il est vivant !

Merveilleux est-il quand il se tient à la juste distance, nous aidant à grandir dans la liberté !

 

Tout cela est l’œuvre du Saint Esprit : Esprit de sagesse, esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de la connaissance et de la crainte de l’Eternel. Parole prophète Esaïe, que nous avons entendue ce matin.

 

Cléopas, l’un des deux pèlerins, a désormais un compagnon de route : c’est vous, c’est toi, c’est moi !

 

Amen