"En action par la grâce" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

"En action par la grâce"

Texte de la prédication d'Annette Preyer du dimanche 22 novembre 2020
Culte du 22 novembre 2020 - Méditation sur Matthieu 25, 31-46

 

Les paroles que nous venons d’écouter ne sont pas faciles à entendre. Le jugement dernier ne parle ni de foi ni de grâce mais d’œuvres et de condamnation. Comment s’y retrouver ?

 

Dans l’évangile de Matthieu, Jésus fait cinq discours, depuis le sermon sur la montagne jusqu’à celui-ci fait au mont des Oliviers qui occupe les chapitres 24 et 25 de l’évangile, juste avant la passion du Christ. Ce 5ème discours répond à des questions des disciples sur la destruction du temple de Jérusalem, la fin du monde et le retour de Jésus, quand et quels signes annonciateurs ? En somme, la question du salut. La parabole des dix vierges et celle dite des talents dont notre pasteur Christian Baccuet nous a parlé dimanche dernier, figurent juste avant notre texte qui clôt ce discours. Il s’agit donc de la dernière déclaration du Christ avant sa passion.

 

D’abord une vision grandiose : le Fils de l’homme arrive dans sa gloire, avec ses anges, un trône de gloire, une foule sans nombre qui lui rend hommage. On se croirait à Hollywood dans un film à grand budget. Une chorégraphie comme pour un empereur romain.

Les disciples et contemporains de Jésus ont rêvé d’un tel héros qui allait les débarrasser de la domination romaine, plutôt que d’un messie crucifié et ressuscité. En 2020, les foules qui acclament Trump et Bolsonaro croient avoir trouvé le sauveur de leur monde.

 

Franchement, cela m’arrive, quand je me sent totalement impuissante dans une situation, que je lise sur la Chine qui assèche le Mékong avec ses barrages ou que nos députés cèdent aux lobbys agricoles et industriels et autorisent le traitement des betteraves avec  un insecticide qui tue les abeilles, ou que des calomnies et fausses vérités détruisent la réputation d’un collègue, eh bien, cela peut me faire du bien de rêver à une intervention deus ex machina comme dans la tragédie grecque. Mais, voilà, c’est une vision.

 

Revenons au récit de Matthieu. Il nous fait changer d’univers. La représentation royale laisse la place à une scène paysanne avec un berger, scène bien familière des disciples du Christ. Une image de la vie quotidienne que Jésus mobilise plusieurs fois dans ses paraboles.

 

Pendant la journée, moutons et chèvres peuvent paître ensemble dans la même prairie. La nuit, les moutons qui ne craignent pas le froid peuvent rester dehors, alors qu’il vaut mieux offrir un endroit plus chaud aux chèvres. Les séparer revient donc à prendre en compte leurs besoins respectifs.

Dans la bible, comme dans le psaume 23 que nous venons d’entendre, le berger renvoie à Dieu, celui qui nous connaît par notre nom, qui prend soin de nous, qui va nous chercher quand nous sommes perdus, qui nous protège.

Ici, rien de tout cela. Après la séparation des moutons et des chèvres, le récit glisse à nouveau vers l’image royale. Le roi donne le Royaume en partage aux uns et envoie les autres au feu éternel.

J’avoue que ces images me heurtent. Si je suis née chèvre qu’est-ce que j’y peux ? Et voilà que je suis condamnée pour cela. A priori, il n’y a rien de méritoire à être né mouton – et on serait récompensé pour sa simple nature ? Peut-être cette image n’est là que pour faire sentir l’acte de séparation, clair, net et indiscutable. Jésus a des jugements tranchants et en même temps accueille le pêcheur.

 

Jésus explique les raisons de son jugement : quand il a eu faim ils lui ont donné à manger, quand il a eu soif, ils lui ont donné à boire, quand il a été étranger ils l’ont accueilli, quand il était nu ils l’ont habillé, quand il a été malade, ils lui ont rendu visite, quand il a été en prison ils sont restés solidaires avec lui.

Six gestes très concrets, observables, qui répondent à des détresses, des situations d’urgence. Les justes ont comblé les besoins physiologiques de Jésus – manger et boire, les besoins de protection – vêtement, soins, et les besoins d’appartenance – accueil, solidarité. Sauf qu’ils ne l’ont pas fait pour Jésus. Nous ne pouvons que faire des hypothèses sur leur motivation : responsabilité, sympathie, empathie, compassion, charité, humanité, amour, conviction que nous sommes tous interdépendants. En tout cas, ils ont regardé l’autre, l’ont écouté, se sont mis à sa place, ont été touché par lui.

 

Alors arrive le verset 40, verset clé s’il en est :

« Le roi leur répondra : Je vous le déclare, c'est la vérité : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait. »

 

Dans la TOB, la traduction œcuménique de la bible, c’est « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères ».

Jésus s’identifie à ces plus petits qui sont ses frères ou les siens, donc de la même famille, de la même communauté ou alors appartenant au troupeau du même berger.

Le Christ s’est abaissé de la condition divine à la condition humaine pour devenir notre frère. Il fait corps avec les victimes. Il ne cesse de faire attention aux petits, de relever les pauvres, de soigner les malades, d’accueillir les enfants.

Il n’est pas question de foi, d’obéissance à des règles, de prier régulièrement, d’aller au culte tous les dimanches, non Jésus nous parle de gestes simples qui soulagent l’autre, celui que nous avons vu, reconnu comme semblable, dont nous avons identifié le besoin.

 

Jésus ne dit pas qu’il faut être auprès de tout le monde tout le temps. Il valorise le geste individuel pour l’un des plus petits. Pas besoin d’être un héros, d’avoir changé le monde, il suffit de gestes, même petits, d’attitude. C’est à la portée de tous.

Il ne s’agit pas d’éradiquer la faim dans le monde, mais de partager son repas avec quelqu'un.

La vie à Paris aujourd'hui, en particulier dans cette crise sanitaire, nous donne – malheureusement – plein d’occasions pour agir ainsi. Que ce soit avec la paroisse de Pentemont-Luxembourg ou avec l’Entraide ELP de notre paroisse, que ce soit dans son immeuble, dans sa rue, dans le métro, au bureau, dans une association ou en politique.

 

Regardons la suite du texte. Qu’est-ce qui fait que d’autres aient été placés à la gauche du roi-juge pour être condamnés ? Ils ne sont pas coupables de mauvaises actions – mensonge, tricherie, vol, meurtre – ni de mauvaises intentions – jalousie, orgueil, cupidité, haine. Le roi les punit pour l’absence de gestes d’humanité, leur indifférence, insensibilité, égoïsme, inattention, froideur. Peut-être étaient-ils juste très préoccupés par une affaire importante et sont passés à côté d’un petit sans le voir. Et cela suffit pour que Jésus les repousse et les envoie au feu ! Est-ce irrémédiable, comme dans la parabole de l’homme riche et de Lazare, racontée par Luc, où il est strictement impossible de passer du Royaume, du lieu où se trouve Abraham, à l’enfer, dans le monde des morts ?

 

Est-ce que Jésus veut nous faire peur ? Nous menace-t-il ? Je ne le crois pas. La peur pour apprendre, la peur pour devenir bienveillant vis-à-vis des victimes ou laissés pour compte – cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas la pédagogie de Jésus. Il pardonne et guérit avant de donner des recommandations pour l’avenir.

D’ailleurs son contraire – prendre soin d’un prochain dans l’attente d’une récompense – ne vaut pas mieux. Et les justes du texte ont pris soin d’un autre sans l’idée de gagner ainsi le Royaume.

 

Si ce jugement dernier est une promesse de justice pour la fin des temps, où la violence, l’exploitation, l’injustice prennent fin, où sommes-nous, à droite ou à gauche ? Vous et moi, nous savons, moi, en tout cas, je sais que je n’ai pas toujours le geste qu’il faut, le mot qui fait du bien. Loin s’en faut, même !

Personne n’est fait d’un bloc. Il y a une petite chèvre, même chez le saint et il y a un petit mouton, même chez le pire criminel.

 

Alors j’ai envie de crier, comme les disciples en Matthieu 19, 25-26 « Qui donc peut être sauvé ? » Sur quoi Jésus répond : « Aux hommes c’est impossible, mais à Dieu tout est possible ».

 

Mais ne détournons pas trop vite le regard du roi-juge. Il a toutes les nations devant lui. Le mot grec signifie aussi « les païens », mais je préfère, comme le font la plupart des auteurs contemporains, y inclure les chrétiens. Donc, le roi-juge dit aux justes, qu’ils reçoivent le Royaume en partage qui a été préparé pour eux depuis la fondation du monde. Magnifique ! S’il y a un plan de Dieu pour l’humanité, c’est depuis les origines une promesse de vie.

La symétrie pour ceux qui sont placés à gauche n’est pas complète. Le feu éternel a été préparé non pas pour l’humanité mais pour le diable et ses anges. Il manque aussi la notion du « depuis toujours ».

Ce qui me paraît remarquable enfin, c’est que ces personnes ne sont pas qualifiées de pêcheurs ou de criminels. Ils ne sont pas définitivement mis dans un tiroir. Matthieu nous dit simplement qu’ils sont placés à la gauche du roi.

 

Nous Protestants professons le sola gracia, la grâce seule. Nous lisons beaucoup Paul qui bataille contre la primauté de la Loi et les comportements hypocrites qu’elle produit. Nous croyons que c’est la grâce seule qui nous sauve. Notre texte semble en pleine contradiction avec cette affirmation. Ici, c’est la justification par les œuvres. Peut-être tout simplement parce que Matthieu écrit 30 plus tard quand les Chrétiens comprennent que le retour du Christ n’est pas pour tout de suite et qu’il faut s’installer dans la durée et vivre ensemble en croyants.

 

Dans la lettre de Jacques nous lisons (2.14-17) : « A quoi bon, mes frères, dire qu’on a de la foi, si l’on n’a pas les œuvres ? La foi peut-elle sauver, dans ce cas ? Si un frère ou une sœur n’ont rien à se mettre et pas de quoi manger tous les jours, et que l’un de vous dise : « Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit », sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? De même, la foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement. »

Le juge sévère et le père d’une miséricorde universelle, les deux existent et nous ne pouvons pas jouer l’un contre l’autre, effacer l’un par l’autre. Ce que nous pouvons faire, c’est prier pour la chrétienté et pour le monde, confiant dans ce Dieu qui peut tout, confiant en Jésus Christ qui a tout donné pour nous.

Nous sommes les yeux, les oreilles et les mains de Dieu pour nous entraider et nous sommes tous une mosaïque de bon et de moins bon qui évolue dans le temps. Parfois nous sommes aussi ces petits et ces laissés pour compte.

 

Je vais conclure avec Paul qui écrit dans sa lettre aux Ephésiens (chapitre 3) :

C'est pourquoi je me mets à genoux devant Dieu, le Père, 

dont dépendent toutes les générations dans les cieux et sur la terre. 

Je lui demande que, selon la richesse de sa gloire, il fortifie votre être intérieur par la puissance de son Esprit, 

et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi. Je demande que vous soyez enracinés et solidement établis dans l'amour ; 

À Dieu qui a le pouvoir de faire infiniment plus que tout ce que nous demandons ou même imaginons, par sa puissance qui agit en nous, 

à lui soit la gloire dans l'Église et par Jésus Christ, dans tous les temps et pour toujours ! Amen.

 

Annette Preyer