L'universalité de l'appel, par Raphaëlle Berterottière — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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L'universalité de l'appel, par Raphaëlle Berterottière

Prédication du dimanche 15 juillet 2018, par Raphaëlle Berterottière

Lectures : 

  • Amos 7, 10-15
  • Ephésiens 1, 3-14
  • Marc 6, 7-13

 

Nous sommes au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, dans un royaume d’Israël prospère. Depuis la séparation du royaume après Salomon, il y a un royaume d’Israël au nord, et un royaume de Juda, beaucoup plus petit, au sud et autour de Jérusalem. Là nous sommes dans le royaume du Nord, deux cents ans après ce schisme des deux royaumes. Le royaume du Nord, c’est le plus grand, le plus puissant, le plus riche. Et à l’époque d’Amos la paix est installée dans la région pour quelques décennies, les échanges commerciaux reprennent, et les couches supérieures de la population s’enrichissent au détriment de la paysannerie.


Et le second livre des Rois nous raconte aussi que juste après la séparation, le premier roi du Nord, qui s’appelle Jéroboam, ne voulait plus que les Israélites continuent d’aller sacrifier au temple de Jérusalem ; il avait donc bâti un sanctuaire spécifique au royaume du nord, à Bethel. Et nous lisons, toujours dans le livre des Rois, que le roi à qui s’adresse Amos deux cents ans plus tard – donc le roi du Nord – continue à fréquenter ces sanctuaires qui ont été voulus par un homme, par le roi Jéroboam, et non par Dieu ; ces sanctuaires qui ne sont pas le temple de Jérusalem, et qui lui font concurrence pour ainsi dire. Ce roi à qui parle Amos s’appelle d’ailleurs Jéroboam II – c’est un hasard de l’histoire, mais cela rend la continuité d’autant plus visible.


Et Amos s’insurge contre cette politique. Amos fait le lien, dans ses déclarations, entre l’injustice qui domine le royaume, et le fait que les Israélites ont abandonné Dieu. Je vous lis un verset du chapitre 2 (8) : « Ils s'étendent près de chaque autel sur des vêtements pris en gage et ils boivent dans la maison de leur dieu le vin de ceux qu'ils ont condamnés à l'amende » (NBS).


C’est le coeur de la prédication d’Amos : les plus aisés n’ont pensé qu’à leur bonheur, ils se sont enfermés dans leur bien-être et se sont refermés sur eux-mêmes, oubliant ceux qui étaient dans le besoin, et oubliant Dieu.


Nous voici alors à notre texte, avec Amassia, prêtre de ce sanctuaire édifié à Bethel, qu’il appelle d’ailleurs dans le texte sanctuaire royal, ce qui montre bien que c’est d’abord le roi, et non Dieu, qu’on y honore.


Amassia fait à Amos un procès en légitimité. Premier motif, premier grief de ce procès : Amos vient du sud, du royaume de Juda, pas du royaume d’Israël. Mais surtout, second motif, Amos n’est pas un prophète de cour. C’est le reproche le plus important, et c’est à cette attaque que répond Amos en disant : je ne suis ni prophète, ni fils de prophète. La traduction qui a été lue explicite un peu en disant : je ne suis ni prophète de métier, ni membre d’une confrérie prophétique, mais le texte est en fait plus simple et dit : je ne suis ni prophète, ni fils de prophète. Mais Amos parle juste après de son métier, éleveur de bétail, donc on peut interpréter « je ne suis pas prophète » comme voulant dire « je ne suis pas prophète de métier, d’habitude je ne suis pas prophète », sauf justement à ce moment, quand Amos parle à Jéroboam de la colère de Dieu à son égard, et qu’il est alors prophète.


Amos dit ensuite « je ne suis pas fils de prophète » ; on trouve souvent, dans les livres de Samuel et des Rois, la mention de prophètes qui vivent et se déplacent en groupe, et dont la fonction semble se transmettre de père en fils. Cela peut nous paraître un peu étrange, mais nous savons bien que d’autres fonctions cultuelles sont aussi héréditaires dans l’Israël ancien, par exemple les Lévites, qui sont une tribu, les descendants de Lévi, tous réservés pour le service du culte. Donc la traduction explicite là aussi en disant qu’Amos n’est pas membre d’une confrérie prophétique.


Amos est donc ce qu’on appellerait aujourd’hui un laïc.


Si nous résumons, Amassia dit à Amos : pars d’ici, car tu n’as rien à faire ici, et Amos lui répond : en effet, je n’ai rien à faire ici. Je n’appartiens pas à l’appareil officiel du culte, mais j’ai reçu un appel du Seigneur, et je suis plus légitime pour parler au peuple du Seigneur que les prêtres officiels qui ne servent pas le vrai Dieu.


Mais si nous prêtons attention au contexte général de la prédication d’Amos, nous pouvons dire que c’est même justement parce qu’il n’a rien à faire ici qu’Amos est légitime pour parler au nom du Seigneur. C’est parce qu’Amos est extérieur à cette société fermée sur elle-même qu’il peut critiquer l’ensemble de cette société, c’est-à-dire non seulement l’attitude de certaines personnes de ce royaume du Nord envers Dieu mais aussi le fonctionnement économique de leur société.


C’est un message fort : pour dire une parole radicale, Dieu a choisi quelqu’un qui n’aurait aucune légitimité aux yeux de son auditoire. Mais parce que Dieu est avec lui, Amos fait entendre sa parole.


Ce genre d’appel n’est pas rare dans la Bible, dans l’Ancien testament ou dans le Nouveau. Et l’exemple peut-être le plus frappant de cette nature inattendue de l’appel, c’est lorsque le Christ a invité certaines personnes qui se trouvaient sur son chemin à devenir ses apôtres : Jésus n’a pas choisi des pharisiens et des prêtres docteurs de la loi pour le servir. Jésus a demandé à des pêcheurs du lac de Galilée, à un collecteur d’impôts, etc., de venir l’aider à expliquer aux docteurs de la loi ce que voulaient dire les Écritures.


Ce qu’on peut donc lire dans ces textes, c’est que la légitimité la plus grande, c’est celle qui est fondée dans l’appel de Dieu ; que la lecture humaine de la légitimité est imparfaite ; que les critères qui sont les nôtres pour définir ce qu’est une action légitime ne sont pas infaillibles, et qu’il existe une forme de légitimité qui passe sous nos radars.


Et combien de récits d’appel dans la Bible commencent par l’effroi de celui qui est appelé et qui dit : non, Seigneur, tu dois faire erreur ! Ésaïe, Jérémie, Jonas, Gédéon…pour ne citer que ceux-là.


La vraie légitimité c’est Dieu qui la fonde et la révèle dans son appel. Et personne ne peut se croire exclu de cet appel de Dieu à devenir son porte-parole, puisque Dieu nous a justement montré, avec Amos, avec ces disciples de tous horizons que Jésus appelle simplement en les croisant sur sa route, et en les renvoyant tout aussi simplement sur la route, Dieu nous a montré que son appel n’exclut pas, mais qu’il inclut les personnes qui ne se croyaient pas légitimes en les invitant à se mettre, avec les autres, au service de Dieu.


C’est ce que dit Amos lorsqu’il répond « Dieu m’a pris de derrière mon troupeau » - ici encore, l’hébreu est plus simple et dit : de derrière le troupeau. Amos n’était pas tant un meneur de brebis qu’une brebis parmi d’autres, dans le grand troupeau d’Israël, et pourtant il a été amené à parler au nom de Dieu.


Et si l’on y pense, cette équivalence des rôles du berger et de la brebis, on la trouve aussi à propos du Christ, que les Évangiles décrivent à la fois comme l’agneau de Dieu et comme le bon berger, bien sûr dans des contextes différents ; mais Christian a parlé la semaine dernière de ce qu’on appelle les controverses christologiques, lorsqu’on s’est demandé ce que signifiait le fait que le Christ soit fils de Dieu et qu’on a choisi cette formule selon laquelle le Christ est vrai homme et vrai Dieu – eh bien c’est aussi une manière d’exprimer l’incarnation que de dire que Dieu, en se faisant homme, a pris Jésus dans le troupeau, c’est-à-dire un homme de même nature que nous.


Alors l’Église a vu dans les prophètes une annonce du Christ : eh bien nous voyons avec Amos un premier élargissement de l’appel : ce ne sont pas seulement les préposés au culte qui peuvent parler au nom du Seigneur. Et avec le Christ, c’est à un élargissement total de l’appel que nous croyons, puisque le sens de la venue du Christ, c’est que la révélation, la manière qu’a Dieu de nous parler, ne passe plus par des « moyens de communication » spécifiques à Israël, notamment les prescriptions cultuelles de la Torah, mais que cette parole que Dieu nous adresse passe par l’incarnation, que cette parole s’est faite homme. Et lorsque Dieu se fait homme, il rejoint ce que nous partageons toutes et tous sur cette terre, ce que nous avons tous en commun, et se rend donc accessible à chaque être humain. En rejoignant ainsi l’humanité, Dieu a rendu son appel universel, il a élargi son appel, qu’il n’adresse plus seulement aux enfants d’Israël, mais à chaque personne de cette terre.


Amen.