Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage
Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage
Prédication du dimanche 4 mai 2025, par Philippe Rivet de Sabatier
Lecture biblique : Jean 21, versets 1 à 17
Pour beaucoup d’entre nous, ce récit est connu, bien connu, peut-être trop connu, mais peut-être cela n’est-il pas le cas pour tous. Alors, aujourd’hui, je vous propose, pour commencer, de le regarder au ras des pâquerettes, au ras de l’eau, au ras de la surface du lac de Tibériade, au ras de ce qui se passe, au ras de ce qui est raconté dans la première partie du récit. Et puis, dans une seconde partie, de nous intéresser au cas très particulier de Pierre, de ce qui lui arrive, de ce qui nous arrive. Et de voir, pour nous, comment ces deux parties peuvent s’articuler.
Un travail professionnel et routinier
Et tout d’abord, on nous parle de gens comme nous, de braves gens, d’un groupe de gens, venus d’un peu partout, qui sont un peu déboussolés parce que Jésus est mort, et que, désormais, ils n’ont plus quelqu’un pour leur dire que faire, pour leur dire où aller. Alors, back to basics, on retourne à ce qu’on sait faire, on va faire le travail que l’on a appris, on va faire son métier de pêcheur, sa routine quotidienne. Et, apparemment, c’est bien de pêcher la nuit, par ce que les poissons se laissent gentiment prendre. Moi, je n’en sais rien, mais je leur fais confiance. Ils font bien leur métier.
Et rien, il ne se passe rien. C’est une mauvaise nuit, comme il y en a sans doute beaucoup, mais pire encore, par ce que, cette fois-ci, c’est : rien. Zéro. Le filet est vide.
Regardons-les un instant : un groupe d’hommes, un groupe de corps embarqués sur une barque. Des corps d’hommes (pardonnez-moi, dans ce récit il n’y a que des hommes), un groupe d’hommes bien réels. Tellement réels que, pour mieux travailler, ils se sont mis tout nus. Comme ça, pas de vêtements mouillés, qui vont être glacés dans le vent du matin, pas de vêtements qui vont puer le poisson. On remettra ses vêtements secs une fois arrivés au rivage.
Et bien sûr, au petit matin, après tout ce travail inutile, ils auront faim. Routine.
Disjonction. Advenir de Jésus.
Le jour commence à se lever.
Avec le lever du jour, Jésus est là, survenu sur le rivage. Venu de nulle part et survenu dans leur vie la plus ordinaire.
Il est là.
Il est là, devant eux.
Prenons un peu de recul. Nous sommes à la fin de l’évangile de Jean. Jean a sa façon particulière de raconter son évangile, et de mettre en évidence le caractère exceptionnel de la personne de Jésus.
Dans l’évangile de Jean, Jésus dit à de nombreuses reprises ego eimi. En grec dans l’évangile. On traduit souvent, en bon français, par « C’est moi ». Mais en fait, cela veut dire « Je suis ». Pour les juifs qui entendaient Jésus, cela fait penser tout de suite à la parole de Dieu dans le buisson ardent. Devant le buisson ardent, Moïse répond à la voix de Dieu, qui sort du buisson et qui l’envoie en mission vers le Pharaon, et il lui demande : « Par quel nom désignerai-je celui qui m’envoie ? » Et la voix lui répond : « éié asher éié. Je suis celui qui est, je suis celui qui advient. »
Revenons à notre histoire. Ici, tout d’un coup, Jésus est là, sur le rivage. A côté d’un feu de braises, d’un feu sans flamme. En voyant cette scène, on peut penser tout de suite au buisson ardent, et à la présence de Dieu devant Moïse à travers le feu qui ne consume pas le buisson. A la présence de Dieu qui envoie Moïse en mission. Pourquoi pas. Pourquoi ne pas parcourir le texte biblique d’un bord à l’autre, et tisser des correspondances, pour soi-même et pour les autres, entre un passage et un autre ? C’est une façon de faire travailler notre intelligence à travers le texte de la Bible, pour en devenir familiers, et pour en découvrir peu à peu toutes les richesses, cela nous permet de relire et de comprendre notre vie à sa lumière.
Cela nous permet de nous en revêtir comme d’un vêtement qui nous protège et qui donne sens à notre vie.
Les pêcheurs avaient planifié soigneusement et professionnellement leur travail, et ils l’ont vu ne pas aboutir. Ils pensaient que Jésus les avait quittés, et ils l’ont vu apparaître.
Peut-être que ce qui est important n’est pas planifiable. Que c’est quelque chose qui survient. Comme la grâce.
La grâce ? C’est quelque chose qui survient, quelque chose que l’on ne comprend pas. Quelque chose pour nous, un cadeau. Un cadeau gratuit, sans rapport avec nos efforts.
Et c’est le signe d’autre chose. Le signe que la vie a un sens, qu’il y a, dans la vie terre à terre, quelque chose d’autre, d’insaisissable, quelque chose qui lui donne sens. Et qui nous envoie vivre ce sens.
Soyons attentifs à cette survenue de la grâce dans nos vies.
Pierre s’habille
Mais revenons de nouveau à notre barque, avec Pierre et les autres pêcheurs. Il s’agit maintenant d’arriver à terre, de tirer le filet, de manger, parce que l’on a faim, parce qu’il faut nourrir notre corps pour continuer à vivre.
Pierre reconnaît que celui qui est sur le rivage, c’est Jésus. Il s’habille et se jette à l’eau.
Pourquoi s’habiller pour se jeter à l’eau ? C’est du concret, et c’est plutôt drôle. Qui prétend que l’évangile est triste, que la Parole de Dieu est triste ?
Pierre met un vêtement avant de rejoindre le Christ. Pourquoi ? Pourquoi faire des manières pour rejoindre le Christ ? On peut penser à beaucoup de choses, mais on oublie souvent qu’enfiler un vêtement, c’est faire quelque chose avec son corps. C’est mettre son corps au service du Christ, au service de l’appel du Christ. Mettre sa personne tout entière au service du Christ.
On a bien loué Dieu par la parole et en chantant au début de ce culte. On peut faire de même avec son corps, en enfilant de beaux vêtements. Pourquoi pas, tant que ce n’est pas une superstition.
Tout à l’heure, on parlait de mettre son intelligence au travail, et maintenant, on parle de mettre son corps au travail. En fait, c’est toute notre personne, c’est notre vie sous toutes ses dimensions qui est appelée à se mettre au travail.
Baptême de Pierre ?
Et alors, à propos de cette plongée dans l’eau, et de ce vêtement qu’il enfile, peut-on parler de quelque chose comme un baptême pour Pierre ?
Pierre a renié 3 fois. 3 fois, à ceux qui l’interrogeaient, il a dit qu’il ne connaissait pas Jésus.
Cela nous arrive aussi, de dire qu’on ne connait pas Jésus. De l’évacuer de nos vies. Pour poursuivre notre chemin par nous-mêmes, seuls. Peut-être simplement pour nous chauffer tranquillement le bout des doigts parce qu’il fait froid, ou, peut-être, plus gravement, pour sauver notre peau.
Donc, Pierre a renié 3 fois Jésus. Et, la 3ème fois, le coq a chanté, et Pierre s’est levé et est parti, rouge de honte.
Et maintenant, le Christ lui demande 3 fois s’il l’aime. Le reniement n’est pas effacé. Pierre a dit trois fois qu’il ne connaissait pas Jésus, et cela a eu lieu, cela ne sera pas effacé. Et la vie de Pierre en a été marquée. Pierre a eu honte. Cette honte, cette tristesse quand Jésus y fait allusion, font désormais partie de sa personne. C’est comme un os de plus qui s’est rajouté à son squelette.
Mais Pierre est pardonné : il est renouvelé, il commence une nouvelle vie, une vie habitée par ce qu’il a fait auparavant, et par le pardon du Christ.
Plus lourd du souvenir de ce qu’il a fait, et plus vivant par le pardon qui lui a été donné.
Donné ? Sous quelle forme ? Par 3 fois, Jésus répète : « Pais mes brebis ». Jésus l’envoie en mission. Il lui donne sa confiance, et l’envoie.
A nous aussi, Jésus nous donne sa confiance et son pardon. Nous sommes, chacun de nous, ce que nous sommes comme personnes, avec nos forces et nos faiblesses, nos clartés et nos zones d’ombre, comme des arbres aux branches emmêlées. Et Jésus vient à nous, inattendu, se tenant soudainement en face de nous sans prévenir. Et il nous remet sur pied, nous fait repartir pour une nouvelle vie, pardonnés mais pas ébranchés, avec toutes nos complexités, nos peurs, nos faiblesses, pour une vie nouvelle, qui se lève comme s’est levé le jour ce matin-là, au bord du lac de Tibériade.