Noël sans attendre
Noël sans attendre
Prédication du dimanche 7 décembre 2025, par Annette Preyer
Lectures bibliques :
- Esaïe 11, versets 1 à 10
- Matthieu 3, versets 1 à 12
Nous voici à moins de trois semaines de Noël, au deuxième dimanche de l’Avent. L’Avent, ce temps d’attente et de préparation à la venue du Christ, son arrivée, son adventus.
Les textes de ce jour sont bien différents. L’évangile selon Matthieu nous met en présence d’un Jean le Baptiste à la prédication musclée, père fouettard. Le texte de l’ancien testament offre une double vision de rêve, idyllique. J’ai hésité à prendre l’un ou l’autre, puis il m’est apparu que les avoir tous les deux fait sens.
Commençons par l’évangile. L’auteur nous dit que Jean le Baptiste prêchait dans le désert. Pourquoi le désert ? Dans le désert, nous les humains, nous sommes particulièrement vulnérables et donc dépendants de Dieu. C’est le lieu de la proximité avec Dieu. Certaines personnes ont la chance de vivre cette proximité dans une expérience bouleversante. Je pense, par exemple, à Eric-Emmanuel Schmitt qui raconte dans La nuit de feu sa conversion à 28 ans dans le grand sud algérien, où égaré, absolument seul, il est envahi par un sentiment brûlant de bonheur, de paix et d’éternité.
Mais le désert n’est pas forcément géographique. Il peut signifier une disposition intérieure, qui consiste à ne pas s’étourdir d’activités et de préoccupations, de l’avidité déchaînée du Black Friday, de la recherche frénétique de cadeaux et de décorations de Noël, en plastique et made in China. C’est ce désert que nous cherchons quand nous faisons une retraite, peut-être en silence, loin de notre vie quotidienne. Et dans notre vie quotidienne nous pouvons aussi nous aménager des moments de silence, d’ouverture à l’Esprit Saint. L’Avent est fait pour cela.
Le désert de Judée où officie Jean le Baptiste est proche des villes et des villages et il y a une rivière : le Jourdain. Les gens affluent vers lui, y compris les Pharisiens et les Saducéens. Les Pharisiens sont des religieux qui obéissent avec ferveur à la loi juive, avec tous ses détails rituels et interdictions alimentaires. Ils cochent des cases et pensent se rendre dignes de l’amour de Dieu par leurs propres forces. Les Saducéens font vivre le temple de Jérusalem, ils sont proches du pouvoir. Pourquoi viennent-ils se faire baptiser ? Par curiosité ? Pour contrôler ? Pour ne pas se couper de la population qu’ils dominent ? Parce que réellement ils sentent que quelque chose d’essentiel manque à leurs vies ?
Ils vont être servis. Car Jean le Baptiste ne cherche pas à plaire, il ne craint personne. Il met à mal leur assurance d’être meilleurs, supérieurs, par le simple fait d’être issus de la lignée d’Abraham. Appartenir à une communauté religieuse, même très ancienne, n’est pas mécaniquement un billet d’entrée à la vie éternelle.
Jean le Baptiste traite les puissants de vipères, d’engeance de vipères, d’espèce de vipères, selon les traductions. Vipère, serpent, cela fait penser au serpent qui manipule Eve et Adam au jardin d’Eden, pour qu’ils mangent le fruit défendu et se coupent de Dieu. Le serpent, sournois, image du diable, à la morsure mortelle.
J’imagine que Matthieu a voulu faire émerger ces images. Il y a aussi un autre sens possible : la vipère est un animal très craintif qui prendra toujours la fuite devant un danger si cela est possible plutôt que d’attaquer. La menace à fuir ici est « la colère de Dieu qui vient ».
Nous n’évoquons plus beaucoup la colère de Dieu dans nos cultes. La confession des fautes, des péchés en public nous fait horreur, fait penser à des sectes, à la parodie de certains procès politiques.
Colère de Dieu, sainte colère, une saine colère. Les évangiles nous rapportent des récits de Jésus en colère – en colère en manifestant toujours en même temps sa compassion.
La colère est énergie et parfois nous en avons besoin. Face à l’injustice, face au mensonge, l’indignation résolue est nécessaire. La colère peut être le moteur pour l’engagement.
Il faut parfois la hache de notre texte, par exemple pour se sevrer d’une addiction – tabagisme, alcool, réseaux sociaux. Pour faire le tri dans nos comportements et habitudes, pour nous libérer de nos idolâtries petites et grandes, la pelle à vanner est utile. Noël et les vœux pour 2026 donnent l’occasion d’un retour sur soi, d’abandon de travers qui nous déplaisent, que nous pouvons et voulons rejeter avec vigueur.
C’est ce que j’ai envie de retenir de ce texte : tout en sachant que la foi est grâce, cadeau, c’est à nous de créer les conditions de la conversion, peut-être en faisant « désert », c'est-à-dire en écartant les tentations et préoccupations, pour ouvrir notre cœur. Cela peut être initié par l’interpellation d’un autre, une parole qui nous bouscule. Pour aboutir à des décisions fortes, voire difficiles, parfois en mobilisant l’énergie de la colère.
Mais ce qui est plus fort que la colère, c’est le désir, le rêve, la vision d’un avenir attirant. La prophétie d’Esaïe nous apporte cela avec ses images poétiques.
Je trouve que nous avons vraiment de la chance de pouvoir lire dans la bible autant de beaux textes, sensibles et pleins d’espérance !
Notre passage a deux parties, une première sur le rejeton des racines du tronc de Jessé et une seconde sur le monde des animaux et des humains, complètement apaisé.
D’abord la description de cet être parfait qui n’est jamais appelé homme, prince ou roi, mais rameau et nouvelle pousse et que nous, les chrétiens, identifions au Christ.
Si j’ai bien compris, le phénomène de la réitération, découvert lors de la journée en forêt de Fontainebleau, organisée par notre équipe d’Eglise verte, le phénomène de la réitération, donc, fait qu’un arbre peut pousser sur un arbre, ou sortir d’un tronc qui paraît mort à des yeux inexpérimentés. Message d’espérance : le vivant né d’une souche qui paraît morte.
Toute traduction est interprétation, et dans nos bibles il y a en plus des intertitres comme : « un nouveau David », « Annonce d’un roi juste, de la famille de David », « le descendant de David ». Car Jessé est le père de David, LE grand roi du peuple d’Israël. On peut donc comprendre que notre texte parle d’un nouveau roi, un roi idéal. Sagesse et intelligence, conseil et vaillance, connaissance sont ses qualités et, pour qu’il reste humble, la crainte du Seigneur. Il cherche la vérité des situations et ne se laisse pas séduire ou égarer par des apparences et racontars. Il est du côté des pauvres et des affligés, il pratique la justice et il a la force de faire mourir le méchant.
N'est-ce pas que cela donne envie ? Esaïe écrit après 722, année qui a vu Israël, le royaume du Nord, annexé et transformé en une province assyrienne. Juda, la partie sud, est alors devenu vassal de l'Assyrie. En d’autres termes, il écrit dans des temps de conflits, de guerres, de déportation, d’oppression. Ces souffrances ressemblent aux épreuves que subissent aujourd'hui les habitants d’Ukraine, de Gaza, du Soudan et tant d’autres pays. Sans oublier les inégalités sociales criantes à l’intérieur de tous les pays.
Un sentiment d’impuissance peut s’installer face à l’horizon bouché et à partir de là, peut naître le fantasme qu’un roi providentiel mette fin à toutes les difficultés. C’est ce que les populistes de tout genre veulent nous faire croire. Malgré les leçons de l’histoire.
Il y a 2000 ans, les foules espèrent que Jésus soit cet homme fort qui les libère de l’occupation romaine ; elles ont eu du mal à reconnaître le Christ dans l’enfant né à Bethlehem, le rabbi sans cesse en mouvement entre villes et villages, le messie mort sur la croix et ressuscité.
Ce messie offre son amour et sa grâce, gratuitement, sans aucun mérite de notre part, mais il ne va pas renverser l’ordre établi à notre place, il n’est pas l’homme ou la femme fort providentiel, qu’ils sont nombreux aujourd'hui à appeler de leurs vœux.
Avec Jean le Baptiste, nous sommes invités à regarder le monde tel qu’il est et à refuser avec vigueur ce qui entraîne vers la mort. Avec Esaïe nous savons que le royaume de Dieu est parmi nous et en nous. Ce qui nous permet de nous retrousser nos manches en confiance, de contribuer. A quoi ?
Nous arrivons à la seconde partie de la prophétie d’Esaïe et la dernière partie de ma méditation.
Esaïe nous dépeint de charmantes scènes, vivantes et variées : le loup, la panthère, le lionceau, l’ourse, le lion, le serpent et la vipère forment avec l’agneau, le chevreau, le veau, la vache, le bœuf, un petit garçon, un nourrisson, des couples ou pairs parfois surprenants, et chaque binôme témoigne à sa façon de la paix qui règne sur toute la terre. Tous sont revenus au régime végétarien qui nous est prescrit dans le premier récit de la création, dans le livre de la Genèse, tout au début de la Bible. Dieu dit le sixième jour : « Sur toute la surface de la terre, je vous donne les plantes produisant des graines et les arbres qui portent des fruits avec pépins ou noyaux. Leurs graines ou leurs fruits vous serviront de nourriture. De même, je donne l'herbe verte comme nourriture à tous les animaux terrestres, à tous les oiseaux, à toutes les bêtes qui vont et viennent au ras du sol, bref à tout ce qui vit. »
J’aimerais souligner qu’Esaïe nomme le masculin et le féminin et surtout des jeunes, pour les humains exclusivement nourrisson et enfant. Il ne mentionne pas les oiseaux ni les poissons, mais je crois qu’on peut dire que toute la création participe à cette paix, car « la connaissance du Seigneur remplira la terre tout comme les eaux recouvrent le fond des mers ».
Ce sera donc enfin la paix. De nouvelles relations entre toutes les créatures, de nouvelles règles du jeu pour la vie et la création.
Enfin la paix, l’harmonie, un désir profond, un besoin vital enfin comblé.
De fait, dans la création tout le monde n’est pas végétarien, mais fait partie de la chaîne alimentaire. Les végétaux et les bactéries, les premiers maillons de la chaîne, se nourrissent de l’énergie solaire, d’eau et des nutriments minéraux inorganiques. Puis arrivent les insectes qui peuvent être herbivores, décomposeurs ou prédateurs. L’oiseau mange l’insecte, le renard mange l’oiseau … chaque maillon transfère de l’énergie au maillon suivant. Une biosphère en équilibre avant que les humains viennent la perturber et déclenchent l’effondrement de la biodiversité.
Et si la vision concernait notre paix intérieure ? Quand notre côté lion veut montrer les crocs, ou la partie serpent cracher son venin alors que notre partie agneau veut proposer de la douceur. Comme le chacal et la girafe en communication non violente. Ou comme les deux interlocuteurs de Milou, le chien de Tintin, qui, envoyé en mission, croise un os délicieux. Il entend alors un Milou ange blanc avec deux petites ailes lui dire de continuer sa route alors qu’un Milou petit diable tout rouge lui conseille de surtout ne pas laisser passer l’occasion de ce festin.
L’idylle d’Esaïe peut signifier la paix entre les humains. Après la chute du mur de Berlin en 1989, on s’était mis à y croire. Mais aujourd'hui il suffit d’écouter les informations pour savoir que les conflits militaires s’intensifient et s’étendent et que tous les gouvernements investissent dans leurs forces armées.
Alors comment réagir à la vision d’Esaïe ?
Certains pourraient dire : C’est impossible. Courbons l’échine. Résignons-nous à notre dur destin.
D’autres pourraient être tentés de se replier complètement sur leur sphère personnelle.
Mais on peut aussi suivre André Malraux qui affirme : « Les grands rêves poussent les hommes aux grandes actions. » Corrigeons immédiatement « les femmes et les hommes », bien sûr. Pour le reste, j’ai envie de lui donner raison : nous avons besoin de rêver, de rêver de grands rêves. Notre texte avec ses images poétiques est là pour nous encourager. La vision d’Esaïe nous place dans la création, elle nous dit de ne pas nous résigner ni de nous retirer dans notre vie individuelle. Un rameau sort d’un vieux tronc et donnera des fruits inattendus. Au milieu de la nuit politique, écologique, sociale un enfant va naître, lumière dans la froide obscurité.
Quand nous étions confinés pendant l’épidémie de Covid, nous avons rêvé et réfléchi ensemble, ici au sein de Pentemont-Luxembourg et ailleurs, au monde d’après, sur ce que nous voulions abandonner, sauvegarder ou inventer. Qu’en reste-t-il aujourd'hui ? L’écoute, la communion dans ces moments d’échange en vérité. Il est possible de s’ouvrir à la réalité de l’autre, d’évoluer vers un bien commun. C’est un chemin ni sans danger, ni sans effort, mais il est possible. Les conventions citoyennes sur le climat, sur la fin de vie et sur les rythmes de l’enfant l’ont démontré.
Alors mobilisons notre colère quand cela est nécessaire, retroussons-nous les manches en acteurs debout et à l’écoute de l’Esprit, pour aller ensemble vers une société rêvée de justice et de paix. C’est avec le rêve qu’on commence à transformer le monde, de l’humaniser, d’ouvrir la porte vers le royaume des possibles.
Pas besoin d’attendre le 25 décembre pour accueillir le Christ ! Noël cela peut être aujourd'hui, cela peut être tous les jours. Soyons force de paix pour nous et en nous, et l’enfant dans la crèche aura vaincu.
Amen
