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Ne restez pas plantés là !

Prédication du dimanche 1er juin 2025, par la pasteure Sophie Ollier.

 

Ne restez pas plantés là !

Prédication du dimanche 1er juin 2025, par la pasteure Sophie Ollier.

 

Lectures bibliques :

  • Luc 24, versets 46 à 53
  • Actes 1, versets 1 à 11

 

 

Jeudi c’était l’Ascension, un mot qui aujourd’hui porte une couleur particulière.

L’ascension est un mot que l’on utilise sans trop y penser.

Dans notre monde pressé et inquiet, l’ascension est bien souvent une affaire de performance et de réussite. Monter les échelons, grimper dans l’estime, gravir les sommets... Il faut être vu, reconnu, parfois applaudi. On parle d’ascension sociale, professionnelle, politique… un peu comme un but en soi dans la vie.

On mesure la réussite à la hauteur qu’on parvient à gravir, comme si la vie devait forcément aller du bas vers le haut, du plus petit vers le plus grand, du discret vers le spectaculaire, et en extrapolant, du pauvre au riche, de l’assisté au méritant, de la bassesse à la grandeur. Avouons que c’est comme ça que c’est vu aujourd’hui.

Et parfois, il faut bien le dire, cette course vers le "toujours plus" fatigue. Elle isole. Elle essouffle. Et surtout, elle hiérarchise, elle justifie, elle enferme dans des classes et des catégories.

Mais l’Ascension, celle dans notre calendrier chrétien, que nous trouvons dans les textes bibliques, cette ascension ne relève pas de cet ordre-là.

Elle n’est pas une performance. Elle ne se mesure pas en clics, en likes ou en médailles. Elle ne donne pas lieu à une promotion, ni à un bonus de fin d’année. Et pourtant, elle bouleverse tout.

L’Ascension dont nous parle Luc, c’est celle de Jésus, non pas une élévation sociale, mais un passage, un départ, une absence nouvelle, une présence autrement. Et paradoxalement, c’est peut-être parce que Jésus s’en va que quelque chose commence pour nous.

On vit l’ascension comme quelque chose de passé, et pourtant, c’est encore très présent dans notre quotidien et notre rapport à Dieu. Ce lien entre la présence de Dieu et son absence, entre son action et son retrait.

C’est bien ce que nous découvrons dans les textes que nous avons lus : une présence qui devient absence. Un mouvement vers le haut, et une parole qui nous renvoie vers le maintenant, l’aujourd’hui. Dans ces textes nous entendons ce temps de bénédiction qui se révèle dans l’espace d’un adieu.

Et peut-être que c’est cela, l’essentiel : ce départ n’est pas une perte, mais une promesse. Il ne marque pas la fin d’un compagnonnage, mais le début d’un chemin nouveau, un chemin qui va devoir s’inventer sans ce Jésus visible, palpable, mais pas sans une présence.

Car l’absence n’est pas un vide, elle est une autre manière d’être là.

Quand Jésus monte vers le ciel, il ne s’évade pas, il n’abandonne pas les siens.
Il leur confie la mission d’annonce, il leur remet l’acte de la Parole et la force qui viendra. Il les appelle à devenir les témoins d’une vie plus forte que la mort, d’une paix plus forte que la peur, d’une espérance qui traverse l’obscurité.

Et les disciples, comme nous souvent, restent là, les yeux levés. Peut-être sidérés.  Peut-être émus. Peut-être inquiets aussi. Et deux hommes en blanc leur posent une question qui nous concerne encore aujourd’hui : Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ? Pourquoi restez-vous plantés là ?

Oui, pourquoi ? Pourquoi cherchons-nous parfois Dieu dans les nuages, alors qu’il nous attend les pieds dans le sol et la réalité du monde ? Pourquoi espérons-nous une réponse lointaine, quand la Parole nous invite à une présence toute proche, par le prochain et par la Parole que nous recevons encore et encore ? Cela n’est ni abstrait ni lointain.
Pourquoi cherchons-nous des signes venus d’ailleurs, alors que tout nous est déjà donné ici, dans le surgissement de la lumière ?

Comme Noël commence dans une crèche, comme Pâques surgit d’un tombeau vide, l’Ascension, elle, commence dans une absence habitée. Un vide qui appelle la vie. Un départ qui trace un chemin.

Et ce chemin, c’est celui des témoins. "Vous êtes / serez mes témoins."

Le ciel est ouvert, mais la mission est sur la terre. C’est là que nous sommes appelés à vivre, à témoigner, à aimer, à fraterniser, à marcher, chanter, danser, aider, rire, accueillir, pleurer, crier, manger, boire, peindre, dessiner, se balader, s’émerveiller, partager, lire, vivre des naissances, prier, accompagner les autres…

C’est là que nous devons porter la lumière de Pâques, dans nos paroles, nos choix, nos engagements. Dans le quotidien de nos vies. Non pas seulement tourné vers le ciel ou vers une absence, mais devenir nous-même cette présence lumineuse que Dieu nous demande d’être.

Des témoins, pas des experts, des anges, des héros ou des sauveurs, mais simplement des témoins. Des femmes et des hommes traversés par l'Évangile, habités par une espérance qui les dépasse, et porteurs, à leur manière, d’un amour et d’une lumière qui ne meurt pas.

Et cette lumière, elle est précieuse, parce que le monde est sombre parfois.

Parce qu’il y a des violences, des guerres, des injustices qui nous désolent.

Parce qu’il y a des réactions à une victoire en ligue des champions qui nous révoltent.

Parce que tant de vies sont fragilisées, oubliées, niées.

Parce qu’il y a tant de lieux où la vie semble tenir à un fil.

Parce qu’il y a tant de questions de sens qui émergent aujourd’hui.

Mais justement, c’est pour ce monde-là que l’Évangile a été donné.

Pas que pour des temps faciles, mais pour des temps vrais.

Pas que pour des vies parfaites, mais pour des vies vulnérables.

Pas que pour des croyants sans faute, mais pour des témoins imparfaits, aimés, envoyés.

Pas que pour les habitués mais aussi pour celles et ceux qui sont en recherche.

L’Ascension n’est pas un épisode exotique dans la vie de Jésus, elle est une étape décisive dans la vie des disciples, et donc dans la nôtre.

Elle nous installe dans un temps nouveau, un temps que l’on pourrait dire ordinaire, mais qui est en réalité un temps habité.

Voilà ce que vivent les disciples, et voilà ce que nous vivons dans notre monde, de manière similaire et différente bien sûr. Cette présence de Jésus, qui devient absence pour les yeux mais non pour nos vies, nous pose la question de notre place et de notre présence dans le monde, notre présence qui révèle celle du Christ.

Et les deux hommes en blanc devant les disciples posent cette question qui résonne encore pour nous aujourd’hui : quelle est la suite ?

Et si le sens de cette nouvelle étape, du pas en avant, d’oser avancer en ne regardant pas que le ciel mais cette terre, était de nous rappeler que : « Jésus nous fait pleinement confiance, avec et malgré nos nombreux manques, à nous les incapables (Luc 17,10), les paresseux et imprudents (Matthieu 24, 48), les jaloux (Matthieu 20,11-12), les contrariants (Matthieu 21, 28-32) et les maladroits ».

Oui, Jésus se retire et nous dit : « Ne restez pas plantés là ! A vous d'y aller ! ».

Et voici que l’Ascension, pas celle du pouvoir, de la domination ou de la réussite, mais l’Ascension qui nous fait avancer de manière lumineuse avec une force nouvelle nous rappelle ceci :

Il n’est jamais trop tôt pour commencer.

Et il n’est jamais trop tard pour espérer.

Jamais trop tôt pour dire une parole de résurrection, même timide.

Jamais trop tard pour tendre une main, même incertaine.

Jamais trop tôt pour oser être pour les autres des porteurs de lumière.

Jamais trop tard pour proclamer que la paix peut exister dans ce monde.

Jamais trop tôt pour croire qu’un monde nouveau est possible.

Et jamais trop tard pour faire un pas vers ce monde-là qui s’approche du Royaume.

Parce que le Christ nous fait confiance. C’est peut-être cela, le cœur de cette fête. Il part, et il nous laisse la suite. Il s’élève, et il nous élève avec lui dans son message d’amour, de fraternité, d’accueil sans condition, de non-jugement, de compassion et d’attention à l’autre. Ce n’est pas seulement un beau discours, mais c’est ce qu’il nous laisse à propager, à témoigner, à vivre !

Le Christ ne nous impose rien, mais il nous rend capables. Capables d’être sel et lumière, ferment de paix, levain d’espérance. Non pas seuls, bien sûr, car l’Esprit est là et nous porte. Et non pas seul non plus car d’autres sont à nos côtés, comme chacun et chacune de nous présents aujourd’hui, c’est cela être Eglise, comme les disciples ce jour-là !

Dès maintenant, nous sommes appelés à être témoins, témoins de ce que nous avons vu, entendu, goûté. Témoins de ce que l’amour peut faire dans une vie.

Alors en ce week-end d’Ascension, ne restons pas le regard figé vers le ciel, ne restons pas plantés là, dans nos temples, dans nos vies et dans nos cœurs. Levons les yeux, oui, mais pour voir plus loin. Et baissons-les aussi, pour voir celles et ceux qui nous entourent.

Recevons cette ascension, ce départ, cette mission, comme une ouverture : celle d’un temps à inventer, celle d’un espace à habiter, celle d’une foi à incarner.

Et que notre joie soit paisible, tenace, vivante.

Car si le Christ est monté, ce n’est pas pour fuir la terre, c’est pour que la terre entière devienne le lieu de sa présence, à travers nous. Peut-être qu’alors, dans nos propres ascensions, nous pourrons y entendre une présence habitée par un élan de vie, et non un lieu de pouvoir à atteindre.

Amen.