Que ta joie renverse le monde !
Que ta joie renverse le monde !
Prédication du dimanche 14 septembre 2025, par la pasteure Sophie Ollier.
Lectures bibliques : Philippiens 4, versets 4 à 7 et 21 à 23
« Il en faut peu pour être heureux » disait Baloo dans le Livre de la jungle.
Oui, voilà, c’est comme ça que je souhaitais commencer cette prédication pour le culte de rentrée ! Je ne vais pas vous le chanter, je vais vous éviter ça… Cette phrase qu’on connaît quasiment tous n’est pas une évidence ! Mais quand même, elle nous dit quelque chose, différemment de l’apôtre Paul c’est sûr, mais peut-être que ça peut se rejoindre !
Pour cette rentrée qui s’ouvre, je voulais vous parler de joie ! C’était le thème de ma retraite pastorale début septembre.
Et quoi de mieux que de prendre un passage de l’épître aux Philippiens où la joie est présente de bout en bout ! Vous pourrez la relire chez vous, 4 chapitres, et la joie se mêle tout du long. Pour finir avec cette phrase : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je le répète, réjouissez-vous ! »
Bon, littéralement, Réjouissez-vous, et je vais vous le dire encore une fois pour que vous compreniez bien : Réjouissez-vous !
Et plus encore : toujours. Pas « parfois », pas « quand tout va bien », pas « quand on a du soleil dans le cœur et un bon café dans la main ». Toujours ! Réjouissez-vous toujours !
Et le plus étonnant avec ce passage, c’est que Paul écrit ça… depuis une prison. Pas franchement l’endroit rêvé pour parler de joie. Si encore il avait écrit ça d’une terrasse en Grèce, avec une vue sur la mer Égée et une petite limonade… Mais non. Les murs, les chaînes, les gardes. Et c’est là, précisément là, qu’il trouve la force de dire : « Réjouissez-vous ! »
Alors est-ce que c’est un ordre de la part de Paul ? Un conseil ? Ou est-ce qu’il nous dit quelque chose d’autre qui toucherait à du plus global, de l’ordre du témoignage, de l’incarnation, de quelque chose à vivre plutôt qu’à faire ?
En grec ce mot joie est hyper intéressant, parce que la joie c’est kara et la grâce c’est karis, qui donnera aussi le charisme. Comme pour nous dire que la joie et la grâce sont inséparables et que cela se vit en nous dans un charisme, une attitude vécue, quelque chose d’incarné. Se savoir au bénéfice de cette grâce de Dieu créé de la joie, et la joie est une expérience de la grâce.
Mais il faut bien reconnaître qu’au quotidien c’est pas toujours la joie ! On a toujours des sujets d’inquiétude voire de souffrance dans nos vies. Alors comment habiter cette joie ? Comment l’incarner ?
Et en Eglise, est-ce que nos lieux d’Eglise, d’activités, pour celles et ceux qui poussent la porte, disent d’abord qu’ils y trouvent de la joie ? C’est l’essence de notre présence ici, en Eglise, en tant qu’Eglise, cette joie qui témoigne d’une grâce reçue, qui témoigne de ce qui nous anime profondément.
Cette joie qui nous est donnée comme un cadeau, ce n’est pas quelque chose que l’on créé par nous-même, c’est quelque chose qui nous habite profondément et qu’on peut pleinement partager.
En disant tout cela, je tiens à dire que je trouve quand même que nous sommes dans une paroisse qui est dans la joie ! Mais si je nous en parle, c’est par cette phrase de Paul : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je le répète, réjouissez-vous ! », pour nous rappeler que cette joie n’est pas une façade, mais quelque chose à vivre à chaque instant. Que ce soit dans les activités, les rencontres, les conférences, les groupes bibliques, la catéchèse, la chorale, l’entraide, le catéchisme pour adulte, mais aussi dans ce qui se voit moins : dans les réunions, dans les réflexions sur un projet, dans les appels à l’engagement, dans les mails échangés, dans les divers groupes Whatsapp de la paroisse, dans tout ce qui fait notre Eglise et qui peut parfois être invisible aux yeux du plus grand nombre.
Cette joie ne se présente pas seulement en façade non, ce n’est pas se balader avec un sourire bisounours, mais en profondeur, c’est ce qui nous met en route ! Cette joie qui émane de nous peut profondément réconforter, accompagner, relever celles et ceux qui nous rencontreraient. Et nous pouvons également être au bénéfice de la joie des autres lorsque, pour nous, elle semble difficile à trouver, à vivre, à incarner.
Et je crois que c’est précieux pour nous aujourd’hui. Parce que soyons honnêtes : l’actualité ne donne pas beaucoup de raisons de se réjouir. Nous commençons une nouvelle année scolaire dans un monde marqué par la peur, la violence, la fatigue, l’inquiétude. On pourrait être tentés par le cynisme ou le découragement.
Et pourtant, la parole de Paul traverse les siècles pour nous rejoindre aujourd’hui, ici, dans cette église, comme une invitation : Ne laissez pas vos inquiétudes vous voler la joie. Ne laissez pas la peur vous voler la confiance. Ne laissez pas la dureté du monde vous voler la douceur.
Parce que la joie chrétienne n’est pas une option décorative. Elle est résistance et renversement. Elle est protestation. Elle est déclaration : « Non, le mal n’aura pas le dernier mot. » Et au final, ce que nous dit Paul, c’est que la joie n’est pas la conséquence de circonstances favorables, mais le fruit d’une présence. Celle de Dieu, du Christ, qui est la Lumière du monde qui nous est donnée pour que notre joie soit complète (Jean 15, 11).
Cela me fait penser à une petite histoire. Un soir d’hiver, tout un quartier a été plongé dans le noir à cause d’une coupure d’électricité. Les gens râlaient, paniquaient, tâtonnaient dans l’obscurité. Et dans une maison, une famille a allumé… une simple bougie. Pas de projecteur, pas de miracle, juste une bougie. Elle n’éclairait pas grand-chose, mais assez pour que les voisins, attirés par cette petite lumière, viennent frapper à leur porte. Bientôt, plusieurs familles se sont retrouvées ensemble, partageant un repas improvisé autour de cette flamme fragile. Le noir n’avait pas disparu. Mais il n’avait plus le dernier mot.
La joie de Dieu, c’est cette petite bougie. Elle n’efface pas la nuit, mais elle l’empêche de régner. Elle rassemble, elle réchauffe, elle ouvre un autre espace. Et c’est cela que Paul appelle de ses vœux : une communauté qui laisse briller la joie comme une lumière, même fragile, mais capable de renverser les ténèbres, de dire au monde que ce n’est pas foutu, loin de là.
Dans ce monde qui est rempli de zones d’ombres, la joie que Dieu nous donne peut tout renverser ! Est-ce naïf de dire que la lumière existe aujourd’hui ? Est-ce naïf de croire profondément qu’il y a plus de bien que de mal dans ce monde ? Est-ce naïf de penser qu’une simple bougie peut permettre à des gens de se retrouver ensemble ? Peut-être ! Ou peut-être pas ! Justement, témoigner par notre joie de cela peut profondément changer des situations. Porter notre joie dans une réunion de travail, dans la queue du supermarché, dans le coup de téléphone à la compagnie de gaz, dans nos débats… Cela ne veut pas dire avoir un sourire un peu bêta, mais porter avec nous quelque chose de différent que la colère, l’indifférence, l’inquiétude, l’agacement…
D’ailleurs, Paul ajoute : « Que votre bonté soit connue de tous. » En grec ce mot c’est plutôt la douceur en fait.
Alors là ça peut se corser un peu ! Au premier abord je ne dirais pas, par exemple, que je me définisse spécifiquement par la douceur. Je connais des personnes qui incarnent cela, mais je ne crois pas que ce soit le premier mot qui vous vient pour me définir. Et en tant qu’Eglise, est-ce que les personnes qui nous rencontrent disent de nous cela ? « Cette Eglise est douce » ! Je ne suis pas sûre. Et je ne suis pas sûre non plus que je définirais l’Evangile comme doux ! Jésus a plutôt tendance à nous remuer, voir nous rentrer dedans parfois un peu. Attention, cela ne veut pas dire qu’on soit dur, mais qu’elle est cette douceur dont parle Paul ?
Je ne crois pas que ce soit quelque chose de doucereux et mielleux, mais peut-être plus quelque chose qui s’apparenterait à de la modération.
Dans le Robert nous pouvons trouver cette définition (entre autres) : « Qualité d'un mouvement progressif et aisé, de ce qui fonctionne sans heurt ni bruit. Qualité morale qui porte à ne pas heurter autrui de front, à être patient, conciliant, affectueux. »
Dans ce monde qui est radical, qui est de plus en plus radical, que ce soit politiquement, socialement ou encore même dans la relation aux autres, dans les réactions à vif, peut-être qu’en tant que chrétiens et chrétiennes, et en tant qu’Eglise, nous pouvons entendre et trouver un autre chemin. Une voie qui accompagne et non qui ignore, une voie qui réconcilie et non qui sépare, divise, une voie qui ne s’arrête pas au détail mais qui entend le global, une voie qui accueille et non qui rejette, une voie qui n’impose pas mais qui écoute… Finalement, une voie qui, sans faire de bruit, change le monde en profondeur.
Voilà une manière très concrète de vivre cette joie. Pour Paul, la joie se traduit. Elle devient visible. Elle se fait douceur, hospitalité, écoute, bienveillance, accueil, accompagnement, réconciliation. C’est une joie de reconnaissance de l’existence de la vie. Ysée, ta demande de baptême aujourd’hui a témoigné de cette joie, de cette reconnaissance de la vie, de cette force qui nous porte ! Garde-la cette joie, partage-la, vis-la pleinement !
Alors, ce n’est pas toujours évident je vous le concède, mais cela est possible car, comme nous le dit Paul : Le Seigneur est proche. Dans vos traductions c’est « vient bientôt », mais c’est plus la question de la proximité que de la venue. Cet acte de douceur, de joie, n’est possible que lorsque nous sommes enracinés en Dieu, et quand cela vient de lui et non de nous, c’est un acte de foi qui a des conséquences.
En vivant cela, pleinement, profondément, en incarnant cette joie devant Dieu et cette douceur devant les humains, alors oui, comme nous le dit Paul : Ne vous inquiétez de rien ! « T’inquiètes » comme disent les jeunes ! Je rappelle que Paul nous dit cela depuis le fond d’une cellule ! La joie prend le dessus sur l’inquiétude ! L’action de grâce prend le dessus sur les soucis ! La résurrection prend le dessus sur l’obscurité ! C’est là que nous sommes appelés, là que nous sommes enracinés pour annoncer l’Evangile. Et ça ce n’est pas rien, que ce soit individuellement, chacun et chacune de nous, ou pour notre Eglise.
Et si, pour cette nouvelle année paroissiale, nous continuions à faire de cette parole un programme ? Que notre communauté soit connue non pas d’abord pour ses projets, ses débats, ses activités… mais pour sa douceur. Pour sa joie. Pour sa capacité à allumer une petite bougie quand tout semble sombre.
Est-ce que l’on aimerait qu’il soit dit de nous « Cette Eglise a plein de projets et d’activités ! » ou plutôt « Cette Eglise est porteuse de joie, une joie qui vient d’un tout autre ! » ?
Nietzsche disait : « Je ne croirai qu’à un Dieu qui saurait danser. » Eh bien, le Dieu de Paul est un Dieu qui danse. Un Dieu qui invite son Église à entrer dans sa joie, même au milieu des orages. Un Dieu qui met dans nos cœurs un chant que rien ne peut faire taire. Un Dieu qui nous fait entendre combien la vie est plus forte que la mort, combien la joie est plus forte que l’obscurité, combien la danse est plus forte que la résignation.
Frères et sœurs, nous commençons une nouvelle année ensemble. Elle aura sans doute ses difficultés, ses imprévus, ses tempêtes. Mais Paul nous donne une promesse : « La paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées en Jésus-Christ. » Cette paix de Dieu elle appartient à Dieu, elle est au bout du chemin, mais c’est aussi ce que nous pouvons vivre en nous au quotidien, comme une « safe place ».
Alors allons-y, confiants. Laissons la joie du Christ nous accompagner. Faisons-en notre respiration, notre force, notre manière de marcher ensemble. Et soyons, chacun et chacune, cette petite bougie allumée dans la nuit. Parce qu’une seule flamme peut suffire à rassembler, à réchauffer, à ouvrir un chemin.
Et si ça, ça ne renverse pas le monde, cette joie, cette douceur et cette paix, alors je ne sais pas ce qui le peut !
Que cette joie, la joie de Dieu, renverse notre monde – ou au moins déjà notre paroisse, notre quartier, notre quotidien. Et qui sait ? Peut-être que, par contagion, le monde entier se mettra à danser.
Amen.