Écoute avec tes yeux
Écoute avec tes yeux
Prédication du dimanche 30 novembre 2025, par la pasteure Sophie Ollier.
Lectures bibliques :
- Ésaïe 2, versets 1 à 5
- Romains 13, versets 11 à 14
Vous n’êtes pas sans savoir que, à vue de nez, nous sommes des êtres avec cinq sens. Parfois, nous marchons à l’oreille, parfois on se fie au doigt et à l’œil, d’autres fois, on fait les choses au feeling… ou on les sent mal arriver. Et puis il nous arrive aussi de faire la sourde oreille ou bien de fermer les yeux pour ne pas voir… On met parfois notre nez là où il ne faut pas, ou on garde un goût amer d’une situation.
Et puis, il y a les moments où tout nous échappe : on ne voit rien venir, on n’entend plus personne, on perd le contact… Bref, on est à côté de la plaque.
Mais voilà : Dieu nous a créés avec cinq sens, et il nous invite aujourd’hui à les réveiller tous… parce que, pour croire, il faut parfois ouvrir les yeux, prêter l’oreille, sentir la vie revenir, goûter à la joie et toucher l’espérance.
L’Avent, c’est un peu cela : redécouvrir que Dieu ne parle pas seulement par des idées abstraites, mais par une présence très sensible, par une foi qui écoute avec les yeux.
Nous entrons ce dimanche dans le temps de l’Avent. Une période où l’on parle beaucoup d’attente, de veille, de promesses. Et pourtant, si nous observons l’état du monde aujourd’hui, ce que nous voyons n’a pas grand-chose d’attendu ni de très rassurant. Les conflits s’intensifient, la violence circule sur nos écrans comme un poison quotidien, les injustices semblent prospérer. Le climat nous alerte que nous avons peut-être dépassé des points de non-retour. Le cœur humain se durcit trop souvent sous la peur, le repli, le « chacun pour soi ».
Alors parfois, une tentation nous guette : fermer les yeux. Ne plus regarder. Faire comme si, pour continuer à avancer. Et la Parole de Dieu vient précisément répondre à cette tentation. Elle ne nous dit pas : « Ce n’est rien, ça passera ». Elle nous dit : Écoute avec tes yeux. Regarde ce que tu ne vois pas encore. Dieu te parle.
Car la foi n’est pas un déni du réel. La foi est un autre regard sur le réel. La foi est la capacité à discerner, déjà là, ce que Dieu promet d’accomplir. La foi, c’est apprendre à regarder autrement. C’est laisser la lumière de Dieu nous aider à voir.
C’est ce qui arrive au prophète Ésaïe. Lorsqu’il reçoit la vision que nous avons entendue, le monde politique et social de son époque est également dans la tourmente. Le royaume de Juda est menacé par un empire puissant, l’Assyrie. L’idolâtrie gagne du terrain, les puissants écrasent les faibles, le peuple s’égare. Ésaïe n’a rien d’un homme qui mettrait la tête dans le sable. Il dénonce. Il voit le mal et il en souffre. Et voici que Dieu lui dit : « Lève les yeux ». Le texte commence par ces mots : « Voici ce qu’Ésaïe a vu », non pas seulement « entendu ».
Et cette vision n’est pas un rêve hors-sol. Elle ne parle pas du triomphe d’un peuple sur un autre, elle ne parle pas de vengeance divine. Elle montre les nations en route vers la montagne du Seigneur. Elles montent… ensemble. Elles montent non pour chercher des privilèges, mais pour apprendre, pour recevoir la Torah, ce mot que l’on traduit souvent par « loi », mais qui signifie avant tout orientation, enseignement pour la vie. Dieu ne veut pas nous gouverner par la menace ; il veut nous guider par la sagesse.
Puis vient un verset absolument prodigieux je trouve : « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, de leurs lances des serpes : une nation ne lèvera plus l'épée contre une autre, et on n'apprendra plus la guerre. » Le rêve ! Mais il y a quelque chose d’essentiel dans ce verset !
Ce sont eux, les peuples, qui transformeront le métal des armes. Ils forgeront ! La matière de la violence est prise, travaillée, réorientée, transformée. Ce qui servait à détruire sert désormais à nourrir. Ce qui blessait devient outil pour cultiver la vie. Cela demande du travail ! Je ne sais pas si vous avons un forgeron dans l’assemblée ?! Transformer une épée en matériel de culture, j’imagine que ce n’est pas de tout repos ! Mais, c’est possible ! Et c’est cela qui compte.
Ca m’a d’ailleurs fait penser à une œuvre d’art que j’ai découvert il n’y a pas longtemps : Transforming Arms into Tools, au Mozambique. Un AK47 transformé en saxophone, un objet de guerre transformé en un instrument de musique qui rassemble. Voilà ce que nous sommes appelés à faire, à vivre, à être.
Dieu nous parle ainsi : Regarde, l’humanité peut changer. Regarde, ton monde peut encore être transformé, par toi, pas par un autre. Par nous, Eglise.
Et Ésaïe ne s’arrête pas à cette vision. Il en tire une conséquence immédiate : « Maison de Jacob, marchons dans la lumière du Seigneur. » Autrement dit : N’attends pas que le monde change pour marcher vers la lumière. Marche vers la lumière pour que le monde change.
Il ne s’agit pas seulement d’admirer l’avenir de Dieu : il s’agit d’y entrer.
Paul, dans sa lettre aux Romains, prolonge exactement ce même appel. Il parle à une communauté chrétienne parfois tentée par le repli, le découragement ou la peur. Il écrit : « La nuit est avancée, le jour est proche. »
La nuit n’a pas disparu, elle « est avancée ». Elle existe encore, parfois même elle progresse. D’ailleurs, hyper intéressant, enfin je trouve, le terme utilisé en grec pour ce verbe « avancer » c’est « prokopto », qui est aussi utilisé pour dire « allonger par martelage », comme un forgeron façonne le métal… La nuit est martelée. Et elle l’est aujourd’hui, martelée de toute part avec cette impression qu’il n’y a que la nuit qui existe dans la bouche ou la plume de certains médias. Mais nous avons le choix, de faire de ce martelage, en tant que forgerons en devenir, une arme ou un soc. Et oui, parce que le jour approche. Si nous osons changer l’arme en saxophone, le jour s’avance, il se manifeste.
Paul parle aussi d’un réveil intérieur : « C’est l’heure de vous réveiller du sommeil ». Le mot grec utilisé, egeirô, est le même que pour dire ressusciter. Paul ne parle pas d’un petit coup de fouet moral ; il parle d’une véritable résurrection du regard. Parce que si l’on garde les yeux fermés, on passe à côté de la lumière.
« Rejetons les œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière. » On peut parler d’armes de lumière, ou d’instruments de lumière… (montrer le saxophone). La lumière, chez Paul, est une force : elle combat, elle résiste, elle avance. La lumière convertit notre énergie, nos capacités, notre force, afin de servir la vie.
Paul termine en disant : « Revêtez le Seigneur Jésus-Christ. »
Ce n’est pas une métaphore vague. C’est une réalité spirituelle. Revêtir le Christ, c’est adopter son regard, ses gestes, son amour, sa manière de vivre. Se vêtir de Christ, c’est entrer dans sa lumière et la laisser habiter notre manière d’être au monde.
Alors, comment vivre cela dans notre vie aujourd’hui ? Comment écouter avec nos yeux ce que Dieu nous dit dans ce monde qui a tant besoin d’espérance ? L’Avent peut être compris comme un chemin à quatre mouvements qui se nourrissent entre eux : anticiper, se convertir, transformer et s’engager.
D’abord, anticiper. Anticiper c’est regarder ce que Dieu promet et non ce que les statistiques prédisent, surtout en ce moment. C’est discerner dans un petit signe un grand avenir. C’est croire qu’un pardon possible peut changer toute une histoire. C’est croire qu’un enfant né dans une période troublée, Jésus lui-même, peut illuminer le monde. Dieu nous parle à travers ce qui commence petit, fragile, inattendu. Dieu nous dit : « Regarde plus loin. » Dans le Roi Lion Rafiki dit « Regarde au-delà de ce que tu vois ». Regarde l’avenir non pas avec les lunettes de la peur, mais avec les yeux de la promesse.
Ensuite, se convertir. Se convertir signifie accepter que la lumière du Christ entre dans nos zones d’ombre. Ce n’est pas se juger soi-même, ni se mépriser : c’est se laisser relever, et entendre que nous pouvons vraiment faire autrement. C’est entendre Dieu dire : « Je veux libérer ce qui t’étouffe. Je veux te montrer que tu peux toujours devenir davantage lumière. » La conversion est un don de liberté.
Après la conversion, la transformation. Transformer, c’est faire entrer l’Évangile dans le concret. Là où il y a une arme, Dieu rêve d’un outil de culture. Là où il y a un mur, Dieu rêve d’un pont. Là où il y a de la méfiance, Dieu rêve de confiance. Là où il y a une blessure, Dieu rêve de guérison. L’espérance chrétienne n’est jamais abstraite. Elle se fait pain, parole, présence, aide, justice. André Dumas disait que « L’espérance ne constate pas : elle façonne. » C’est d’ailleurs la prédication d’il y a deux semaines, plonger dans le monde sans éviter ses zones de violences pour y placer quelque chose de différent : notre espérance.
Et enfin, s’engager ! S’engager, c’est accepter que Dieu nous fasse participer à son projet de vie. Une lumière qui ne se donne pas, qui ne circule pas, qui ne se partage pas, n’éclaire rien, donc ne sert à rien. Nous sommes ici, en Église, non pour être spectateurs, mais pour devenir signes. Signes d’un autre Royaume, d’une autre réalité possible. Signes d’un avenir de paix. Signes de la lumière qui s’approche. Signes d’une diversité qui se vit vraiment.
Dieu te parle pour que tu bouges, pour que tu sois un témoin de sa lumière, même petitement, même timidement. Chaque geste d’amour fait reculer la nuit.
Alors où Dieu nous parle-t-il aujourd’hui ? Dans nos relations humaines, dans les appels discrets de la fraternité, dans les injustices qu’il nous révèle pour que nous les combattions, dans les mains tendues qui demandent soutien, dans les yeux d’un inconnu qui attend un sourire, dans les larmes d’une personne qui espère une écoute, dans les sourires d’un enfant qui fait confiance au futur. Comme lorsqu’ils nous montrent ce qui, pour eux, est beau dans ce monde ! (Voir fresque accrochée au mur).
Dieu nous parle chaque fois que la vie cherche à gagner. Dieu nous parle chaque fois qu’un petit acte de lumière brise la nuit. Dieu nous parle lorsque, par nos yeux, nous reconnaissons que la vie se révèle, même dans les actes et les lieux les plus minimes.
Et oui, la nuit est avancée. Le jour est proche. Le Christ vient. Et il ne vient pas seulement un jour dans le futur : il vient déjà dans chaque geste d’amour qui se risque, dans chaque parole qui relève, dans chaque acte de justice qui éclaire. Il vient dans la transformation des armes en outils de culture, dans la conversion des cœurs, dans l’engagement quotidien pour la vie.
Un jour viendra, oui, où nous n’apprendrons plus la guerre. Où la paix sera naturelle comme la respiration. Où la lumière n’aura plus à lutter pour se faire de la place. Ce jour vient. Il approche. Et nous sommes invités à marcher vers lui, et surtout à le révéler !
C’est cela, l’Avent : apprendre à écouter avec les yeux. Voir ce que Dieu fait naître. Reconnaître sa lumière. Anticiper, se convertir, transformer et s’engager.
Et si parfois, il nous arrive encore de faire la sourde oreille, de fermer les yeux, ou même de perdre le nord… alors souvenons-nous : Dieu est déjà là avec sa lumière, sa patience, sa joie.
Alors allons dans le monde avec les cinq sens en éveil et la foi en plus comme étincelle : celle qui voit l’invisible, entend l’inouï, sent la paix advenir, goûte la joie qui vient, et touche du doigt la vie plus forte que tout.
Et que nos vies disent à celles et ceux que nous croisons : Regarde, Dieu te parle. Il te parle à toi, il parle par toi.
Amen.
