Comme une envie de ne pas s'engager...
Comme une envie de ne pas s’engager…
Prédication du dimanche 16 novembre 2025, par la pasteure Sophie Ollier.
Lecture biblique : Luc 21, versets 5 à 19
Vous savez que Dieu a de l’humour ? Parce que pour un jour comme aujourd’hui, dont la date est fixée depuis des mois, voilà le texte qui nous est proposé : un texte apocalyptique, rempli de catastrophes, de persécutions, de menaces. On aurait pu espérer une belle page sur l’amour — la paix — le bonheur de croire. Un texte qui résonnerait bien avec la joie de célébrer aujourd’hui les baptêmes de Teri et Sabine, et la confirmation d’Enguerrand. Trois adultes qui prennent la parole avec force pour dire : « Oui, je crois. Oui, je veux suivre Jésus-Christ. Oui, je me laisse entraîner dans sa lumière ».
Et aujourd’hui nous avons sûrement dans l’assemblée de personnes présentes pour la première fois à un culte protestant, invitées par des amis ou de la famille et qui entendent ce texte. C’est quand même pas le texte qui, au premier abord, donne envie de s’engager, encore moins à la suite du Christ. Franchement, entre nous, quand j’ai ouvert ma Bible en début de semaine, j’aurais préféré les noces de Cana où Jésus change l’eau en vin, l’appel des disciples, les pèlerins d’Emmaüs, un miracle…
Mais non, nous voilà avec ce texte qui nous dit… que nous serons détestés à cause du nom de Jésus-Christ. Voilà qui ne donne pas vraiment envie de nous rejoindre, n’est-ce pas ? Et en même temps, je crois au contraire que ce texte est pile poil ce qu’il nous faut, parce que ce texte ne décrit pas un cauchemar religieux comme on pourrait le pense, mais la réalité de la vie chrétienne. Une vie lucide, qui ne se voile pas la face. Une vie debout dans un monde qui vacille, et dans nos vies qui vacillent. Alors prenons le texte et voyons où il nous emmène.
Les disciples sont donc au Temple de Jérusalem, lieu saint pour les juifs. Ils l’admirent : quelle beauté ! Quel édifice solide ! Quelle fierté pour Israël ! Le Temple est le symbole de la présence de Dieu : si le Temple est là, alors Dieu est avec eux, et tout va bien. Et voilà que Jésus vient mettre un grand coup de pieds dans la fourmilière des certitudes : « Les jours viendront où, de ce que vous voyez, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée » On imagine le choc des disciples à cette annonce de destruction. A savoir que ce texte est écrit environ en l’an 70, après la destruction réelle du Temple par les armées romaines. La prophétie de Jésus n’est pas qu’une annonce mystique à ce moment-là, elle raconte ce que la communauté chrétienne va traverser, et l’écrit témoigne de ce qu’ils ont traversé.
Alors voilà déjà quelque chose à entendre pour nous aujourd’hui de la part de Jésus : nos sécurités religieuses ou humaines ne sont jamais absolues. Les institutions, les monuments, les systèmes politiques… tout cela peut tomber. Tout ce que nous tenons pour acquis peut se fissurer. Et ce n’est pas pour nous angoisser que Jésus dit cela. C’est pour nous réveiller. Nous réveiller face à la destruction de ce qui nous semble solide, et en même temps pour nous réveiller face à une forme d’idolâtrie de l’objet, du religieux, de l’institution…
Ce qui va advenir, Jésus l’appelle un kairos — un temps décisif, un temps à vivre pleinement, un temps où quelque chose se joue. Pas n’importe quel instant : un moment où nous sommes invités à choisir.
Quand Jésus parle de famines, de tremblements de terre, de guerres, il ne cherche pas à produire un film catastrophe avant l’heure. Il nous dit : le mal existe, la souffrance existe, la peur existe, et Dieu n’est pas étranger à ça. Et ce texte devient soudain terriblement actuel. En même temps, avouons-le, nous avons entendu notre monde à la lecture du texte. Il suffit d’ouvrir un journal, de penser aux conflits, aux maladies qui bouleversent nos vies, aux effondrements qui nous semblent parfois proches, aux divisions qui traversent nos familles, nos sociétés, à l’effritement de la démocratie dans de nombreux pays, et le notre n’est pas épargné. Et oui, 2000 ans après, Jésus nous parle à nous aujourd’hui, Jésus parle de nous.
Mais tout n’est pas foutu, tout n’est pas obscurité ! Jésus ajoute : « Ne vous effrayez pas. » Voilà le cœur du message. La foi chrétienne ne nie pas le réel : elle le traverse. Elle ne supprime pas la peur : elle donne un appui pour tenir debout malgré elle. C’est même exactement ce dont vous avez témoigné Teri et Enguerrand, et c’est aussi ce que Sabine mettra en avant ce soir dans sa confession de foi, inspirée de Martin Luther King, la foi nous rend vivant au milieu de ce qui semble mort ou sombre.
Dietrich Bonhoeffer, pasteur pendant la Seconde guerre mondiale, entouré par la guerre et l’horreur des camps écrivait dans Le prix de la grâce : « La grâce coûte parce qu’elle appelle à l’obéissance ». Pas facile à entendre, et en même temps la foi n’est pas un bijou décoratif ou un porte-bonheur. Elle s’inscrit dans la vie. Elle se vit parfois en choix compliqués, en fidélité risquée, en actes courageux. Et parce qu’elle coûte… elle est précieuse. Attention, elle ne se monnaie pas auprès de Dieu, mais elle nous engage. Cette grâce reçue elle se vit, même si ce n’est pas toujours évident.
Jésus dit qu’on portera les mains sur nous. Qu’on nous exclura. Qu’on nous ridiculisera peut-être. Et c’est vrai que le message du Christ dérange. Non parce qu’il serait violent, mais parce qu’il libère, et qu’il va parfois, souvent, à l’encontre de ce que nous fait entendre la société : aime ton ennemi, tends l’autre joue, aime sans condition, accueille et aide sans conditions, prêche l’amour et la lumière face à l’obscurantisme ou l’indifférence, quitte à passer pour un naïf.
Le message de l’Evangile appelle à la justice, au pardon, à la liberté là où se trouve le rejet facile, le refus de la communion et l’exclusion par l’enfermement, devant les puissances du monde. Il donne une dignité que nul n’a le droit d’écraser. Et cette dignité-là fait peur à ceux qui préfèrent la domination. Jésus nous donne des fleurs pour combattre les armes. Je donne cet exemple car nous commémorions cette semaine les 10 ans du Bataclan, et une vidéo est tournée à l’époque d’un petit garçon et son papa devant un parterre de fleur qui nous donne un message d’espérance : Ils ont des pistolets et nous on a des fleurs, pour combattre les pistolets et protéger. Et oui, ce message n’est pas, ou plus, celui qu’on entend : combattre la haine non pas avec de la haine mais par la beauté et l’humanité.
Quand Jésus dit : « Vous serez haïs à cause de mon nom », il ne glorifie pas la souffrance. Il rappelle juste ceci : l’amour dérange le mal.
Mais il dit aussi : « Cela vous amènera à rendre témoignage. » Le mot grec pour témoignage est martyria, qui donnera martyre, signifie d’abord : dire ce que nous avons vu et entendu de Dieu. Témoigner, ce n’est pas imposer un dogme ou se glorifier d’une souffrance. C’est vivre d’une lumière qui finit toujours par se voir. C’est dire par sa vie : « Oui, j’ai rencontré une source d’amour qui m’a mis debout. Oui, j’ai découvert une espérance plus grande que mes peurs, et je vous la partage. »
Teri, Sabine et Enguerrand, aujourd’hui, vous vous êtes tenus devant nous, et vous avec fait un acte de témoignage. Vous n’avez pas toutes les réponses. Vous n’avez pas encore tout compris — et nous non plus, rassurez-vous ! Vous n’êtes pas parvenus à la fin de votre route, de votre chemin de foi. Vous commencez. Et cet acte — simple en apparence — est une force. Vous affirmez : « J’ai choisi de croire à la vie plus forte que la mort. » « J’ai choisi le Christ. » « J’ai choisi le courage. »
Paul Tillich, théologien protestant du 20ème siècle, disait que la foi est le courage d’être, malgré le non-être. Le courage d’être… parce que le non-être est toujours là. La peur. Le vide. L’angoisse. Ce qui détruit l’être. Le courage d’être, c’est d’accepter d’être fragile mais vivant. C’est de dire : « Je suis précieux aux yeux de Dieu, et mon être, le fait que j’existe, met à mal tous ceux qui disent le contraire. » Cela est vrai pour moi, et pour mon voisin.
Le courage d’être, c’est ce que Dieu dépose dans vos vies aujourd’hui.
Et dans ce texte parfois sombre, se glissent des promesses lumineuses : « Mais pas un seul cheveu de votre tête ne sera perdu. », « moi, je vous donnerai une parole, une sagesse, à laquelle tous vos adversaires ne pourront s'opposer, qu'ils ne pourront contredire. » Nous ne sommes pas envoyés au combat sans armes. Nous recevons ce cadeau extraordinaire : la parole donnée par le Christ. La sophia — la sagesse de Dieu — qui n’est pas intelligence supérieure mais parole de vie, parole qui ouvre un chemin là où tout semblait fermé.
Et, bizarrement, quelle belle promesse pour nous aujourd’hui : la foi, le baptême et la confirmation ne nous promettent pas une vie sans problème. Ils nous promettent une présence. Un souffle. Une lumière qui ne s’éteindra pas. Une main qui ne nous lâchera plus.
Et si être chrétien, c’était simplement cela : se lever chaque matin en entendant Dieu dire « Je te fais confiance » ? Parce qu’en réalité, le premier acte de foi, ce n’est pas nous qui le posons… c’est Dieu. Dieu croit en nous avant que nous ne croyions en lui.
Alors oui, le monde est dur. Oui, il y a des forces qui abîment la vie. Mais Jésus ne dit pas : « Attendez que tout aille mieux pour vous engager. » Il dit : « Maintenant. Aujourd’hui, et surtout ne soyez pas effrayés, prenez courage, le courage d’être. »
Aimons aujourd’hui. Espérons aujourd’hui. Résistons aujourd’hui. Agissons aujourd’hui. Parce qu’il n’y a pas d’autre moment que celui que nous vivons. Et parce que le Royaume commence là où un être humain ose faire un pas d’amour.
La foi ne consiste pas à s’évader du monde, mais à entrer en lui plus profondément. Elle consiste à croire que ce qui est beau, vrai, bon… peut gagner. Pas seul. Pas par magie. Mais avec nous, témoins du Christ.
Votre baptême, votre confirmation, est une naissance à cette vocation.
Alors aujourd’hui, nous célébrons la victoire de la vie sur tout ce qui fait mourir, la victoire de la lumière sur l’obscurité, la victoire de l’espérance sur la fatalité. Nous célébrons le courage d’être. Nous célébrons la grâce qui coûte mais qui engage et porte. Nous célébrons l’amour de Dieu qui nous envoie et qui nous accompagne. Nous célébrons Jésus-Christ qui nous donne une parole pour chaque moment crucial de nos vies.
Écoutons-le une dernière fois aujourd’hui :
« Je vous donnerai des paroles et une sagesse. »
Que cette promesse nous habite chaque fois que nous douterons.
Qu’elle devienne notre force quand la vie nous éprouvera.
Qu’elle illumine chaque pas que nous ferons à la suite du Christ.
Qu’elle nous donne le courage d’être.
Alors, toujours pas envie de s’engager ?
Amen.
