La brique de Pâques
La brique de Pâques
Prédication du dimanche de Pâques - 20 avril 2025, par la pasteure Sophie Ollier
Lecture biblique : Matthieu 28, versets 1- à10
Malgré plus de 8 milliards d’êtres humains sur terre, elle n’est pas l’espèce la plus abondante, loin de là ! Les êtres humains sont par exemple trois fois moins nombreux… que les poules ! Même en cumulant la masse combinée de tous ces individus, la biomasse, l’humanité ne pèse pas plus lourd que les fourmis. Les humains ne sont pas non plus les plus grands, ni les plus forts, ni ceux qui vivent le plus longtemps. Les humains sont d’une fragilité déconcertante face à l’immensité de ce qui les entoure.
Et pourtant ! Et pourtant, Dieu est venu nous rejoindre, en chair, pour vivre ce que nous vivons, pour partager avec nous les joies et les peines, les élans de vie et les souffrances. Et plus encore, il est venu nous montrer, par la résurrection, combien nous sommes chers à ses yeux, combien nous sommes appelés à vivre quelque chose de grand dans ce monde qu’il a remis entre nos mains, combien ce qui nous entoure fait aussi partie de nous. Et nous sommes l’espèce qui a la plus grande capacité d’impact négatif et positif dans ce monde. Sans être au-dessus du reste, notre être transforme ce monde.
Cette résurrection que nous célébrons aujourd’hui est donc d’autant plus exceptionnelle, elle vient nous dire quelque chose d’essentiel de ce que nous sommes et de ce que nous sommes invités à vivre et à être pour ce monde. Dans cette insignifiance de surface, nous sommes, pour Dieu, essentiels, et cette résurrection du Christ nous dit quelque chose de cet essentiel !
R E S U R R E C T I O N
La résurrection est loin d’être quelque chose d’évident en fait. Un mot qu’on connait bien dans nos milieux d’Eglise, un mot qui fait sens pour nous, mais qui pourtant est peut-être un peu hermétique parfois, difficilement audible.
D’ailleurs, le mot « résurrection », vous l’avez entendu dans ce texte que nous avons lu chez Matthieu ? En fait, en grec, ce n’est pas ce mot qui est utilisé, j’y reviendrai. Il n’est même pas dit dans les autres Evangiles de Marc, Luc et Jean. Le mot « résurrection » est peu fréquent dans le Nouveau Testament, la plupart du temps il ne parle pas de Jésus mais de l’idée de la résurrection en général.
On peut discuter deux heures de la résurrection, des siècles même, c’est ce qui a été fait. Mais y’a toujours un moment où notre raison bloque ! On discute, on théologise, on dogmatise, mais ça reste un mystère !
Parce que, la vraie question finalement, c’est « comment est-ce que moi j’entends et je vis cette résurrection aujourd’hui ? ».
Aujourd’hui on peut avoir un peu cette impression d’être enfermé dans un tombeau. Plus que 3 ans pour sauver la planète, la guerre sur notre continent et dans le monde, loin d’être finies, des décisions politiques qui nous donnent des résultats effrayants, misère sociale, pauvreté grandissante, et dans nos vies à nous, des pertes, des décès, des échecs, des découragements, des fatigues ! Oui, la mort nous entoure en continue, le vendredi saint est plus que présent. Parler de résurrection et de célébration de la vie ça peut être un peu compliqué qu’on se le dise !
Alors oui, je crois que si déjà on comprend la résurrection au-delà du mystère qu’elle porte, mais qu’elle nous dit quelque chose de notre résurrection à nous aujourd’hui, ça peut nous aider !
D’ailleurs, sur la résurrection en elle-même, à aucun moment il nous est dit « regardez, Jésus est en train de ressusciter », nan, on nous dit qu’il est déjà ressuscité, qu’il s’est déjà relevé. Et si on regarde nos vies, c’est souvent ça en fait. On capte rarement le moment où Dieu nous relève. On ne dit pas « Oh tiens, tiens, tiens, là, Dieu agit en moi ». Nan, on regarde le chemin de nos vies, après coup, et on arrive à distinguer les moments où Dieu était à l’œuvre en nous pour nous relever. Et c’est toujours dans des temps assez communs de vie finalement, à travers un rire, une main tendue, à travers une situation qui nous met debout, une rencontre.
Et justement !! Y’a un truc absolument génial avec la résurrection ! Et vous allez voir, tout ce que je viens de dire prend tout son sens ! Alors, c’est surtout avec le mot « résurrection ». Et j’avoue humblement, il y a quelques années, un pasteur avait fait une vidéo « Pasteur du dimanche » où il donnait l’anagramme de résurrection. Pour celles et ceux qui savent, ce pasteur c’est Christian Baccuet. Et en fait, cette année, je trouvais que cela faisait sens encore de le rappeler.
Vous connaissez les anagrammes ? C’est quand on utilise toutes les lettres d’un mot pour en donner un autre ! Et avec résurrection !!! C’est génial !
L’anagramme de résurrection, pour celles et ceux qui le savent c’est : reconstruire !
C’est pas fou ça ?
Je suis très consciente que cela marche en français, pas en grec… Quoiqu’en grec nous trouvons Jésus qui peut parler de construire le temple. Dans l’Evangile de Jean, au chapitre 2, au moment où Jésus retourne le temple et fouette les marchands, il dit « Détruisez ce temple, et en 3 jours je le relèverai ». Il parle de lui. Ce mot en grec « egeiro » on peut le traduire par relever, élever ou construire lorsqu’on touche aux bâtiments. Et c’est le même mot que nous trouvons ici dans l’Evangile de Matthieu, quand l’ange dit « il n’est pas ici, il s’est réveillé ».
Ce mot « egeiro » on le trouve 141 fois dans le Nouveau Testament, contre « anatasis » que l’on traduit par résurrection, que l’on trouve 42 fois. On est donc plus proche de la construction.
Ici nous sommes sur le verbe de mouvement, un verbe qui ne laisse pas sur place. Vous me direz, Jésus, que ce soit dans sa vie, sa mort ou sa résurrection, ne nous laisse jamais là où nous sommes.
Et cela nous aide !
Là où avec le nom « résurrection » on a tout de suite à faire avec une réalité étrange, là où le mot résurrection résonne comme très « chrétiens » au sens religieux du terme, le Nouveau Testament emploie des verbes de tous les jours !
Et ça nous dit 2 choses :
La première, c’est qu’il ne faut pas chercher la résurrection dans de l’extraordinaire mais dans le quotidien de nos vies.
Et la deuxième, c’est que la résurrection n’est pas d’abord un concept, une idée, une théorie, un dogme, mais bien un élan, une dynamique, une mise en route, une mise en mouvement.
La résurrection n’est pas un état mais une action. C’est très important.
Et donc l’anagramme marche pleinement ! Se lever, se réveiller, résurrection, reconstruire !
Et très certainement que ce mot fait plus échos en nous pour parler de la manière dont Dieu agit dans nos vies pour nous relever que le mot résurrection ! Reconstruire !
En ressuscitant, le Christ a débuté la reconstruction de celles et ceux qui étaient dans le désarroi ! En ressuscitant le Christ a débuté la reconstruction de la vie ! En ressuscitant le Christ a débuté la reconstruction de nos vies ! Cette victoire de la vie sur la mort, de la lumière sur les ténèbres, cette victoire de l’amour sur l’indifférence, cette victoire-là c’est la reconstruction de l’humain !
J’aimerais que vous pensiez à un temps dans votre vie qui a été un temps de résurrection, un temps de reconstruction, un temps où vous vous êtes relevés !
On va prendre 1 minute !
Tous ces temps-là sont des temps où nous sommes ressuscités, avec le Christ. Ce sont des temps où nous avons été mis en mouvement ! Et ce sont ces temps-là qui nous ont, à toutes et tous, permis de nous reconstruire !!
Ressusciter c’est se reconstruire ! C’est remettre les briques de nos vies les unes sur les autres pour se relever !!
Et plus on rajoute des briques de vies, plus on se relève ! Et ces briques dans nos vies peuvent être de tailles très différentes, mais elles n’en sont pas moins importantes.
Cette reconstruction passe généralement par des rencontres, ou une rencontre ! Prenons l’exemple de ce que nous avons lu dans ce récit de la résurrection chez Matthieu ! Marie de Magdala et une autre Marie vivent cette résurrection, cette reconstruction, par une rencontre ! Deux rencontrent similaires même !
Celle d’un messager de Dieu d’abord, porteur d’une parole de paix (n’ayez pas peur), d’une promesse de vie (Jésus le crucifié s’est réveillé) et d’une invitation (allez le dire à ses disciples, il vous attend en Galilée).
Puis la rencontre du Christ lui-même, porteur vivant de la même parole et de la même invitation à la vie : « Bonjour, n’ayez pas peur ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »
N’ayez pas peur… C’est la parole de paix dont nos vies ont besoin, secouées qu’elles sont par tant de souci, d’inquiétude, de souffrance. N’ayez pas peur, c’est une parole de grâce, un cadeau, une brique dans nos vies pour débuter la reconstruction ! N’aie pas peur de te reconstruire, de ressusciter !
Puis cette promesse de vie par celui qui s’est relevé !! Allez, une brique après l’autre, mais la première est Parole de grâce, de vie ! N’ai pas peur de poser la première brique.
Et puis un témoignage ! Ce que vous vous êtes dit dans votre cœur, n’ayez pas peur d’en témoigner, un temps dans vos vies de reconstruction, de résurrection, un temps où Dieu vous a dit « N’aie pas peur ».
Cette invitation à ne pas rester là, près du tombeau mais à se mettre en route vers un ailleurs « Allez dire à mes frères ». Cet appel indique le lieu de la vie quotidienne désormais éclairée d’une présence, le lieu où d’autres vont pouvoir recevoir cette invitation qu’un jour, nous, nous avons reçu, et que peut-être nous recevons encore aujourd’hui ! Le Christ nous donne rendez-vous avec une nouvelle reconstruction, une promesse de rencontre, une espérance !
N'aie pas peur, ressuscite, relève-toi, reconstruis-toi !!! Et va vers celles et ceux qui ont besoin de cette Parole ! Le Christ, par la résurrection, ne nous laisse pas sur place mais nous invite à avancer, à mettre un pied devant l’autre et à reconstruire, nos vies, nos relations, l’espérance !!
Dans ce temps de troubles, lourd d’inquiétude et d’incertitude, entre les conflits, les détresses de celles et ceux qui subissent la barbarie, les rejets et les jugements faciles, les blessures de nos vies, la parole de Pâques nous dit : Il est vivant, tu peux à ton tour te réveiller, te lever, ressusciter, reconstruire !!! Te reconstruire toi, aider d’autres à se reconstruire, aider le monde ! Et oui, pourquoi pas ?
Là est notre espérance ! La fameuse dont on parle régulièrement en Eglise, qui n’est pas l’espoir mais qui invite à regarder au-delà dans une confiance qui n’est pas commune à notre société. Jürgen Moltmann, théologien de l’espérance, disait « Espérer c’est commencer », et oui, espérer c’est poser une première brique de vie là où elle semble ne plus avoir sa place. Il poursuit en disant « Les hommes d’espérance voient le monde non pas seulement dans sa réalité, mais aussi dans ses possibles, et ils explorent ces possibles. Par la peur et la crainte, nous explorons les possibles d’ordre négatif, pour nous y préparer ; dans l’espérance et la joie anticipée, nous explorons les possibles qui sont positifs. Il n’y a pas d’existence sans peur et sans espérance. L’espérance chrétienne, c’est en fait l’espérance que Dieu place dans les hommes. Dieu n’est pas seulement notre espérance : nous sommes l’espérance de Dieu pour sa terre et pour sa Création. » (Interview à Réforme), pour les poules trois fois plus nombreuses que nous.
C’est cela la résurrection. Une mise en route à la suite du Christ, un élan de vie, une espérance. La résurrection, c’est se réveiller et se lever. La résurrection, c’est reconstruire, c’est vivre ! Pour marcher, chanter, danser, aider, rire, pleurer, crier, manger, boire, aimer, partager, lire, vivre des naissances, prier, accompagner les autres… c’est tout ça ! La résurrection que nous célébrons aujourd’hui et qui fait partie de nos vies, c’est tout ça, c’est une première brique qui en invite d’autres.
Résurrection, reconstruire… Les mêmes lettres, la même réalité, le même appel.
Alors, oui, 8 milliards d’êtres humains, rien par rapport au reste du monde, mais autant de chances d’avoir un impact d’espérance et de reconstruction, par cette Parole qui est invitée à ressusciter chaque jour en nous ! Ce qui est vrai c’est que reconstruire ce monde nous appartient à toutes et tous, et que ce Dieu qui m’anime, par son Esprit mais aussi par sa Parole, me fait dire que je n’aie pas peur !
La résurrection c’est l’espérance !
La résurrection c’est vivre. C’est vivre pour reconstruire ce monde, une brique à la fois !
Amen.