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Mêle-toi de tes affaires !

Prédication du dimanche 10 septembre 2023, par la Pasteure Sophie Ollier

 

Mêle-toi de tes affaires

Prédication du dimanche 10 septembre 2023, par la Pasteure Sophie Ollier

 

Lectures bibliques :

  • Matthieu 18, versets 15 à 22
  • Romains 13, versets 8 à 10

 

 

Mêle-toi de tes affaires !! Une phrase qu’on adore ! Mêle-toi de tes affaires !!

Si quelqu’un faute ou s’il se conduit bien, s’il lui arrive quelques chose de bien ou s’il est en difficulté, c’est son problème, pas le mien ! Chacun s’occupe de sa vie privé, et cela ne regarde personne d'autre !

Ha oui, un discours bien sympa qu’on entend plus que souvent ! On pense alors qu’on aura la paix si chacun s’occupe de ses propres problèmes. C’est un peu la règle du chacun pour soi, de l’individualisme ! Et en même temps, on se mêle de tout, tout le temps, encore plus quand ça ne nous concerne pas directement. On se rend bien compte que nous sommes tous liés les uns aux autres dans nos actions ! Mais comment sommes-nous face à l’autre au milieu de tout ça ? Cette question du pardon et d'être en face de celui qui nous a blessé est devenu quotidien dans notre société ! La colère est tellement présente contre tellement de personnes qu’on peut se demander légitimement où se trouve la conciliation seine ou même le pardon ! 

« Si ton frère pèche contre toi… ». Voilà bien une situation que nous connaissons tous, que ce soit dans le cadre privé ou public, en famille, au travail, en associations, à l’Eglise même… Ce mot frère ne désigne pas seulement les personnes qui sont aujourd’hui assises sur ces bancs, mais bien toute personne que nous pouvons côtoyer, qui ferait partie d'une « famille symbolique », ou même plus largement ! Jésus parle ici à un groupe de personnes en particulier et prend donc le cadre de l’Eglise, ou plus justement de la communauté. Mais la communauté n’est pas seulement l’Eglise, la communauté peut prendre des formes très diverses, mon club de foot est une communauté, mon club de bridge, mon parti politique, mon voisinage ou que sais-je… Lorsque je parlerai communauté dans cette prédication, n’y entendez pas que l’Eglise hein !

Alors, si cela nous est arrivé, cette situation de confit, d'être blessé, comment avons-nous réagit ? Avons-nous complètement rompu les ponts ? Avons-nous cherché à nous venger, à lui faire payer ? Nous sommes-nous mis en colère ? Avons-nous tout gardé secret, attendant que le pardon qu’on pourrait accorder arrive de lui-même ? Ou peut-être avons-nous ameuter les foules pour rendre l’offense publique ? Peut-être sommes-nous allés voir une personne qui irait dans notre sens et critiquerait l’autre avec nous ? Mais qui parmi nous a déjà suivi le conseil de l’Evangile à la lettre et est allé trouver la personne qui l’a blessée pour lui en faire part ?

Oui, d'ailleurs, il est intéressant de noter que c’est celui qui est blessé qui va voir celui qui l’a blessé, l’initiative vient donc de celui qui est meurtri. Cela demande du courage pour aller voir une personne et dire « oui, tu m’as blessé ».

Mais si nous ne le faisons pas, ce n’est peut-être pas à cause d'un manque de courage, mais plutôt basé sur un principe enfouit : si nous sommes chrétiens nous devons tout pardonner, quoiqu’il arrive, c’est d'ailleurs ce que nous dit la fin du texte, et nous entendons donc par là le fait de ne pas rendre public tout cela, de laisser passer, on pardonne et puis c’est tout. Nous avons du mal à nous avouer à nous-même que le pardon n’est pas chose aisée, ce qui nous amène soit à une situation d'évitement, nous évitons la confrontation et le pardon, nous nous tenons éloignés de la personne qui nous a blessé, quitte à changer un peu nos habitudes, soit, autre option, être perpétuellement en colère et laisser s’enliser le conflit.

En même temps, vous me direz, ce conflit intérieur est même présent dans le texte. Nous avons une première partie faite de « règles » à suivre lorsqu’il y a eu faute dans une communauté, ou dans notre environnement en général, une marche à suivre qui comprend des phases de confrontations, d'écoute, de médiation, qui finit par une phase finale de réconciliation ou d'exclusion. Mais on ne parle pas de pardon.

Dans la seconde partie du texte nous avons un appel à pardonner sans limite. Alors, que faut-il faire ? Comment nous comporter ? Quel critère prime ?

Arrivé à ce stade-là nous avons besoin d'aide. Il serait peut-être utile d'aller regarder dans les autres Evangiles ce qui nous est dit à ce sujet, pour voir si on nous propose, soit une solution, soit un point de vue différent. On appelle cela les passages parallèles. L’évangéliste Luc traite justement de ce sujet, à sa manière, au chapitre 17, 3-4 : "Si ton frère a péché, reprends-le, et, s'il se repent, pardonne-lui. Et s'il pèche contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi, en disant : je me repens, tu lui pardonneras."

Luc lui fait donc une synthèse entre la confrontation et le pardon, mais, à la condition que celui qui a offensé regrette et change de comportement, comme un présupposé au pardon. Mais bon, quelque chose nous gêne quand même, car dans ce texte chez Luc, la personne pourrait venir offenser, il y aurait confrontation, il regrette, il est pardonné, puis il revient offenser, il y a confrontation, il regrette, il est pardonné, et ainsi de suite 7 fois dans la journée.

On peut alors se demander, légitimement je crois, si on nous fait pas un peu passer pour une quiche à pardonner encore et encore quelqu’un qui s’acharne, ce qui en deviendrait presque de la manipulation perverse.

Alors, revenons un peu au texte de Matthieu pour continuer notre réflexion. Donc, d'une certaine manière, comme vu avec Luc, la confrontation et le pardon sont complémentaires. Bien. Mais cette confrontation en tant que tel, comment se passe-t-elle ? Là Matthieu nous aide, et cette « confrontation » expliquée peut, peut-être, justement, éviter de passer pour une quiche, éviter la manipulation perverse.

Dans ce qu’il va suivre, je crois qu’il faut tout de même être conscient que tout cela est souvent difficile à pratiquer en Eglise, ou même dans notre société, ce n’est pas impossible à faire, mais difficile. Mais nous allons quand même en parler, peut-être pourrons-nous en sortir quelque chose de plus substantiel qu’une règle rodée pour gérer les conflits.

Alors, que nous dit Matthieu ?

Il nous parle certes d'offense et de pardon, mais bien plus, il nous parle de relation et de manière d'être les uns envers les autres.

Premièrement, ne pas ameuter tout le monde lorsqu’il y a conflit. Secondement, ne pas condamner directement si la première tentative de rapprochement échoue. Passer à l’étape suivante, demander le témoignage de deux ou trois autres personnes. Et si cela ne fonctionne toujours pas, s’en référer à « L’Eglise », enfin, à la communauté. Nous pourrions facilement nous laisser aller à penser qu’il y a quelque chose de l’ordre de la graduation d'autorité, comme si s’en référer à d'autres puis ensuite à la communauté plus élargit nous faisait grimper dans l’autorité.

Si à chaque fois que nous nous sentions offensé par quelqu’un nous devions en arriver à se retrouver devant la communauté pour en discuter et discerner, je pense que nous nous prendrions rapidement pour une cour de justice, un endroit où nous nous sentirions bloqués, évitant de dire telle ou telle chose, de peur de blesser quelqu’un et de se retrouver face à la communauté.

Mais je crois qu’ici il nous est dit tout autre chose. En fait, nous avons l’apparition de l’altérité dans les relations. Aussi, plus que la question de la communauté, il est question ici de l’individu, avec qui nous parlons d'abord seul à seul, pour essayer de « le gagner », c’est-à-dire, de ne pas lui faire quitter la communauté, en fait, qu’il n’y ait pas de rupture de relation ! C’est ça le fait de gagner son frère, ce n’est pas de le ralier à ma cause, c’est de ne pas rompre la relation.

Lorsque cela ne fonctionne pas, l’altérité rentre alors en jeu ! Faire appel à des témoins, deux, trois, ou une communauté, non pour montrer du doigt la personne qui a offensé, non pour juger de qui a raison et qui a tort, mais bien pour discerner, discerner ce qui se joue dans la relation à ce moment précis. Qu’est-ce qui a été brisé dans la relation et comment recoudre ?

Ce n’est pas, ici, un enjeu de pouvoir ou de jugement, mais de faire entrer, dans la relation, une altérité et une neutralité de discernement. C’est comme un soutien de la part de la communauté, aussi bien pour celui qui a été blessé, de se sentir soutenu et entendu, que pour celui qui a offensé, car la communauté ne l’abandonnera pas lorsqu’il chute, mais le soutien et l’accompagne. Nous pourrions aussi facilement penser ce fonctionnement de manière plus large dans notre société ! Ne pourrions-nous pas penser ce fonctionnement dans les différentes strates de notre société aussi, avec l’Etat par exemple ?! Avant toute colère, penser la relation pour éviter la rupture ? Je me rends bien compte que ce n’est pas aussi simple lorsque je dis cela, et puis, on pourrait dire qu’il y a de saines colères. Mais je pense que nous avons quelque chose à entendre de ce texte pour gérer les conflits même de notre société aujourd’hui !

Vous savez, ça m’a fait penser à deux enfants qui jouent, l’un tape l’autre, ce qui lui fait mal. Celui qui s’est fait taper demandera à l’autre de s’excuser. Il ne le fera pas. Alors ils vont voir leur mère, non pas pour qu’elle soit juge, mais pour réconcilier ce qui a été brisé au moment du coup de pied, entre celui qui a frappé, et celui qui en veut à l’autre de l’avoir frappé.

La communauté est le lieu de la réconciliation, et non du jugement ! C’est aller chercher l’autre là où il chute, le retrouver, tout comme l’histoire de la brebis perdue qui est juste avant ce passage. Si une brebis s’est perdue, il faut laisser les 99 autres brebis pour aller à la recherche de celle-ci. C’est une histoire d'être attentif à l’autre, d'être à l’écoute des demandes et des besoins dans la communauté, de chacun. En tant qu’Eglise peut-être pouvons-nous avoir ce rôle d’altérité dans la société, être ceux qui empêchent la rupture de relations. Quand on voit les conflits perpétuels dans notre société, nous pourrions être des porteurs d’un autre message que celui de la colère continue. Être cette altérité qui ne juge pas mais qui cherche l’avancée commune pour que personne ne soit exclu de cette communauté sociale que nous formons.

Le chapitre 18 tout entier chez Matthieu fait état de cela : l’idée de support entre frères et sœurs dans une même communauté plus ou moins élargie, un support fraternel et non un enjeu de pouvoir sur qui juge. 

En fait, c’est un enjeu de relations honnête entre tous. Alors, bien sûr, cela peut sembler un peu pâquerette, comme si, avec cette manière de gérer les offenses, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, on est tous en fraternité les uns envers les autres. C’est plus compliqué que cela, nous en conviendrons tous.

A défaut de pouvoir réaliser exactement de cette manière ce que nous demande Jésus ici, nous pouvons réfléchir à l’honnêteté de nos relations les uns envers les autres.

Dans l’autre texte que nous avons lu de Paul, il nous donne, si on peut dire, le complément qui manque à cette marche à suivre : « ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres », « l’amour est l’accomplissement de la loi ». Tout ce processus de réconciliation et de pardon dont nous avons parlé tourne autour de ces quelques mots, c’est par ceux-là que tout le reste est guidé, non dans un amour doucereux, mais dans un amour total de l’autre dans ce qu’il est, par souci de l’autre.

Cet amour-là, qui est souvent encore plus difficile à vivre que le pardon, n’est guidé que par celui qui nous permet de nous retrouver ensemble : le Christ, qui est au milieu de nous. Lorsque nous sommes ensemble, à 2, à 3 ou à 60, en conflits ou en bonne entente, il est au milieu de nous dans tout ce que nous vivons pour nous guider. C’est grâce à lui que nous pouvons entendre et vivre le discernement sans tomber dans le jugement !

Finalement, il y a trois choses que je ressors de ce texte et que j’aimerais vous laisser aujourd’hui, pour nos vies comme pour notre communauté ou dans notre société :

La persévérance : persévérer dans la recherche de l’honnêteté de nos relations.

Le discernement : dans l’humilité de chacun et chacune face aux autres, accepter parfois de s’en remettre au discernement des autres, pour rendre nos vies collégiales.

Et enfin, l’attention : l’attention fraternelle à l’autre lorsqu’on l’a blessé, lorsqu’il nous a blessé. Etre attentif à la communauté dans son ensemble comme un lieu où se jouent des relations essentielles entre chacun et chacune. 

Regarder le prochain, veiller sur lui, oui ! Pas question de vivre chacun et chacune pour soi, indifférent au devenir du prochain ! On laisse de côté le « mêles toi de tes affaires » pour vivre l’honnêteté de nos relations.

Veiller sur le prochain, non pour l’espionner, l’accuser, le prendre en faute, mais veiller sur les autres pour les aimer, pour les entourer. Voilà ce à quoi nous devons veiller : persévérons à nous mêler les uns des autres, discernant le vivre ensemble juste, attentif à tous !

Amen.

Sophie Ollier