Sommes-nous dans une partie de morpion ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu

Sommes-nous dans une partie de morpion ?

Prédication du dimanche 22 octobre 2023, par la pasteure Sophie Ollier

 

Sommes-nous dans une partie de Morpion ?

Prédication du dimanche 22 octobre 2023, par la pasteure Sophie Ollier

 

Lecture biblique : Matthieu 22, 15-21

 

 

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Qui n’a jamais entendu cette réplique ? Presque personne et ça ne me surprend pas !

Cette réplique de Jésus, très connue, est devenue un proverbe. On la trouve dans la plupart des dictionnaires. Historiquement, elle a fait couler beaucoup d’encre.

Et nous en tant que chrétiens aujourd’hui, comment entendre cette phrase ? Quelle est notre voix ? Question étrange peut-être, surtout que « chrétien » c’est hyper vaste comme mot. Si on touche à ce sujet-là, on peut prendre la question, par exemple, de la révocation du droit à l’avortement dans certains Etats des Etats-Unis il n’y a pas longtemps, une loi qui vient de l’Etat, loi qui est défendue par certains au nom de leur foi, et le droit à l’avortement qui est aussi défendu par certains au nom de leur foi. On peut aussi prendre la question de fin de vie que nous avons abordée pendant 3 soirées ces dernières semaines. Certains, au nom de leur foi ne sont pas pour l’euthanasie ou le suicide assisté, parce que la vie est un don de Dieu, et d’autres, au nom de leur foi aussi, sont pour, parce que le choix libre en Dieu prend le dessus. Dieu de chaque côté mais c’est l’Etat qui décide. Où est César et où est Dieu dans nos vies ? Question somme toute facile pour un dimanche vous en conviendrez !

Prenons autre chose, en France, que ce soit l’époque des restrictions liées au Covid qu’on a vécu ou qu’on vivra peut-être encore, que ce soit la question d’être ou d’entrer en guerre, ou non, quand prendre position dans un conflit, pour ou contre, lorsque le pouvoir d’achat diminue et met en difficulté des millions de foyers en France (2882 enfants sont dans la rue actuellement, contre 1990 en août), quand s’arrête l’Etat et quand commence Dieu ? Quand commence l’Etat et quand s’arrête Dieu ? Quand s’arrête le politique et quand commence la foi ? Quand commence le politique et quand s’arrête la foi ?

Je pose la question un peu brutalement certes, mais c’est parce que dans toutes les incertitudes actuelles, tant de voix s’élèvent de tous les côtés et deviennent « paroles de vérité », comme si tout était clair, noir ou blanc !  Et on ne sait plus trop où se situer, quoi penser, comment envisager les choses ?!

Il m’est arrivé, par exemple, en 2020 de recevoir un appel de quelqu’un qui me disait que ce n’était pas chrétien de porter le masque pendant le culte, que la fraternité ne pouvait pas opérer, qu’en tant que chrétiens nous devrions nous lever et nous révolter contre l’Etat qui nous oblige telle ou telle chose, que c’est notre devoir !

 Alors, ici il n’est pas question de rentrer dans le débat masque ou pas, mais la question que j’ai relevée clairement était cette question de la relation entre l’Etat, ses demandes, et notre foi chrétienne. Jusqu’où acceptons-nous finalement les règles de l’Etat, quand est-ce qu’elles rentrent en contradiction profonde avec notre foi ? Quand est-ce que nous devons nous lever contre l’Etat ou au contraire le suivre ? Je ne suis pas certaine d'avoir réponse à cette question je dois avouer, et pourtant, pourtant c’est la question que nous pose ce texte aujourd’hui ! Qu’est-ce qui est de l’Etat ? Qu’est-ce qui est de Dieu ? Quand et comment distinguer l’un de l’autre ? La question est essentielle ! Et pas que pour aujourd’hui ! Il y a de sombres périodes dans notre histoire où des chrétiens ont suivis l’Etat aveuglément et en sont arrivés à prêcher que Jésus était aryen et qu’il demandait de tuer les juifs ! Ou la période avant la loi de séparation de l’Eglise et l’Etat où pendant des siècles la religion a imposé sa loi à toute la société ! On a beaucoup d’autres exemples.

On voit bien que dans notre histoire cette question s’est posée. Il est toujours important de mettre en perspective la question que nous pose ces Paroles de Jésus ! Paroles très actuelles finalement, César, l’impôt, Dieu…

Mais il nous faut comprendre le contexte. Et le contexte le voici : c’est d’abord celui d’un piège ! Un piège tendu par les interlocuteurs de Jésus qui cherchent à trouver un motif pour le faire arrêter. « Est-il permis de payer ou non l’impôt à César ? » Il faut dire que leur question est fine et bien trouvée…

Vous connaissez le jeu du Morpion ? Vous savez, 9 cases, un joueur doit aligner 3 croix, l’autre 3 ronds, le premier qui y arrive à gagner ! Et dans ce jeu il arrive parfois que l’on place ses croix ou ses ronds de telle manière que le joueur en face n’a d'autre choix que de perdre, peu importe où il place son signe, il a perdu !

La question place Jésus dans cette même situation. A première vue, quoi qu’il réponde, les interlocuteurs l’emportent. César, c’est l’empereur romain, c’est un titre, un peu comme nous avons nos « présidents ». César, c’est l’image de l’envahisseur avec ses dieux et ses coutumes, avec ses impôts. Ainsi, devons-nous payer l’impôt à César ?

Si Jésus répondait oui, il faut payer l'impôt, les juifs et le peuple qui souffraient de l’occupation romaine, se tourneraient contre Jésus. Il serait désormais perçu comme un traître et comme un collaborateur du pouvoir romain. Il aurait perdu toute crédibilité aux yeux de beaucoup et son message ne passerait plus.

S’il répondait par contre : « Non, il ne faut surtout pas payer l'impôt », Jésus devient alors un élément dangereux pour l’ordre public aux yeux des Romains, un fauteur de trouble, un terroriste qu'il faut supprimer. Jésus mettrait alors sa vie en danger.

Jésus qui se présente comme le messie promis, se met en mauvaise posture s’il se prononce pour l’impôt. Peu importe la réponse qu’il donne, oui ou non, ça va mal se passer !

Alors que fait Jésus ? Il demande une pièce de monnaie. J’en ai une là d'ailleurs ! Un euro ! Qui a une pièce dans sa poche ? Il n’y a encore pas si longtemps, quoique ça commence à faire, nous étions en franc ! Mais peu importe, dans tous les cas, au fil des siècles et des époques les motifs sur les pièces ont changé ! Savez-vous ce qui se trouve sur nos pièces à nous ? Petit moment culture : sur les pièces de 1, 2 et 5 cts, on a une Marianne moderne, qui incarne le souhait d'une Europe solide et durable. Sur les pièces de 20 et 50 cts, nous avons la Semeuse, qui serait le symbole d'une France soucieuse de s’intégrer dans l’Union Européenne. Et sur les pièces de 1 et deux euros, nous avons un arbre, évoquant la croissance et la pérennité, entouré de la devise de la France : Liberté, Egalité, Fraternité. Et bien que nous ayons majoritairement tous la même monnaie dans l’Union Européenne, chaque pays a des motifs différents sur ses pièces !  Fin de la page culture ! En tout cas, l’effigie sur les pièces renvoie à l’identité d’un pays, à son autorité et à ses valeurs, à ce qui le constitue. La monnaie, c’est un symbole identitaire au 21ème siècle… et peut-être encore plus au 1er siècle.

L’empire romain frappait bien sûr sa monnaie, signe à l’époque d’autorité et de gouvernance. C’est avec cette monnaie que les peuples soumis devaient payer l’impôt à l’Etat. A côté, les juifs disposaient d’une autre monnaie pour les affaires courantes. Sur ces pièces romaines : il y avait l’image de l’empereur, donc de César, comme pour dire à chacun : à lui va votre soumission.

Et là, Jésus fait quelque chose d’hyper fin. Jésus demande une de ces pièces à ses interlocuteurs. Habile de la part de Jésus, car, en la donnant, les pharisiens montrent qu’ils acceptent la monnaie romaine puisqu’ils en ont dans leur poche. Ils entrent dans le jeu économique de l’occupant, ils acceptent sa souveraineté et donc l’impôt. Ce simple geste trahit leurs intentions et les renvoie à leur propre incohérence. Ca les laisse sans voix. Alors, on pourrait objecter qu’ils n’avaient pas le choix effectivement, mais c’est très certainement déjà une manière pour Jésus de leur dire : si vous en avez sur vous, c’est déjà une forme d'acceptation. Nous même on le voit bien, on les paye nos impôts (enfin, j’espère), on se soumet à la loi de l’Etat. Nous ne sommes pas que des êtres spirituels ! Alors oui, « Rendez à César ce qui est à César », Jésus aurait pu s’arrêter là.

Mais Jésus ajoute « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu », ce qui nous amène dans une dimension bien plus profonde. Jésus n’a pas demandé la pièce pour rien. « Rendre à César ce qui est à César » : ce qui est rendu, c’est la pièce romaine pour l’impôt. César est souverain, c’est lui rendre ce qu’il peut normalement demander. Le principe reste le même aujourd’hui. Mais s’il faut rendre à César ce qui porte l’image de César, que doit on rendre à Dieu ? Qu’est-ce qui porte l’image de Dieu ?

Au tout début de la Bible, dans le livre de la Genèse, Dieu dit : « faisons l’humain à notre image, à notre ressemblance (…) Et Dieu créa l’humain à son image, homme et femme il les créa ». En nous rappelant ce texte, la parole de Jésus prend une autre couleur. Les pharisiens parlent d’argent mais la question la plus importante ne concerne-t-elle pas d’abord… l’être humain ?»

Qu’est-ce que Jésus veut dire ?

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, ce n’est pas donner des biens matériels, ou créer des projets d’Eglise, cela nous ramène à notre cœur, à notre personne. Par cette parole Jésus appelle le cœur de ses interlocuteurs vers celui de Dieu. Il leur dit « Et vous ? Vous me parlez d’impôts, de choses importantes mais extérieures. Et vous, où est votre cœur ? Qu’est-ce qui est essentiel pour vous ? A l’image de quoi ou de qui est votre existence ? »

Jésus ne fait pas la morale. Dieu ne nous réclame pas comme un dû, un truc à payer. Alors avec ce « rendez à Dieu ce qui est à Dieu », Jésus les interpelle : « Et vous ? » Et je crois que cette question est belle et forte et qu’on peut la garder avec nous aujourd’hui. « Et nous ? A l’image de qui ou de quoi est notre existence ? »

Être à l’image de Dieu nous remet face à notre propre cœur et nous renvoie face à nos choix. Le Seigneur fait appel à notre liberté. Pour vivre, nous acceptons le jeu de l’économie. Nous vivons en société et cela va de soi que la question politique fasse partie de notre vie. Tout nous rappelle que nous devons payer des impôts, et, aujourd’hui, suivre les directives données pour une vie en société selon l’Etat.

Alors c’est vrai, la présence de Dieu, elle, est plus discrète. Elle ne s’impose pas aux yeux comme de la monnaie, elle ne contraint pas comme des impôts. Jésus compare d’ailleurs cette présence de Dieu, ce Royaume de Dieu, à un trésor caché dans un champ. Un trésor à chercher. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est donc un appel, quelque chose de plus profond que du matériel. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, si on entend la Genèse,  c’est lui remettre notre humanité, ce qu’il nous a donné au départ.

C’est un appel à nous tourner vers lui et à lui faire une place dans notre vie quotidienne, ce truc qui nous fait dire, peu importe la personne en face de nous « ha, tiens, tu es comme moi, humain », malgré les dominations, les guerres, les violences, les souffrances, les peurs, les incompréhensions, cette humanité là est le fondement de ce que Dieu nous offre à vivre ensemble ! Notre humanité !

Dans cette phrase de Jésus on peut y entendre ça ! Aussi violent soit-il pour notre quotidien et notre vécu ! Dissocier le César, le fonctionnement humain, le politique, la domination, l’organisation… de l’humanité qui nous habite, Dieu, par le Christ. C’est le challenge que nous pose Jésus encore aujourd’hui ! Sans rejeter l’un ou l’autre, mais prendre conscience que ces deux pôles font partie de nos vies.

Faits à la ressemblance de Dieu, nous sommes appelés à prendre soin de notre vie spirituelle et de l’humain qui est en nous et qui nous entoure. Nous sommes appelés à vivre en communion avec lui, à se laisser interpeler, à se laisser transformer. Paul écrit aux Colossiens : « Nous sommes renouvelé à l’image de celui qui nous a créé ». Accepter de se renouveler, de se laisser transformer au cours de notre vie c’est rendre à Dieu ce qui est à lui : notre humanité ! Et notre humanité se révèle aussi dans et pour le monde d’aujourd’hui, dans toutes ses facettes. Dans le social, le sociétal, l’éthique, le politique, l’art ou autres. Dans notre quotidien !

Dieu a déposé son image en chaque homme, en chaque femme, sans distinctions de pays, de couleur, de sexe ou de religion, et c’est bien la marque de son amour pour nous, de la valeur que nous avons à ses yeux. Nous avons de la valeur a ses yeux parce que nous sommes humains. Se rappeler d’où nous venons nous aide à savoir où nous allons. Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est choisir de tourner notre cœur vers l’humanité que Dieu a mis en nous et en notre prochain, son image, c’est choisir de placer cette humanité au centre de nos vies, de nos choix !

Alors non, je ne crois pas qu’aujourd’hui nous soyons dans une partie de Morpion où nous serions bloqués entre perdre et perdre, parce que la vie que Dieu nous a offert, vivre, c’est ça que nous pouvons lui rendre ! Choisir la vie en humanité ! Et ça, c’est tout gagnant !!!

AMEN

Sophie Ollier