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Être ou faire… Telle est la question !

Prédication du dimanche 2 novembre 2025, par la pasteure Sophie Ollier.

 

Être ou faire… Telle est la question !

 

Prédication du dimanche 2 novembre 2025, par la pasteure Sophie Ollier.

 

Lectures bibliques :

  • 1 Corinthiens 13, versets 1 à 7 et 13
  • Matthieu 6, versets 25 à 34

 

 

Pendant le culte de ce soir, nous avons la joie d’accueillir la demande de bénédiction d’un couple à l’occasion de son mariage. Et ce sont ces deux textes qu’ils ont choisis : l’hymne à l’amour de la Bible, que la majorité connait très bien, et ce passage de Matthieu qui nous invite à ne pas nous inquiéter sans cesse de ce que nous mangerons ou de ce dont nous nous vêtirons. Deux textes magnifiques, même s’ils ne sont pas ceux du jour, mais qui, je crois, nous parlent bien pour aujourd’hui.

Parce que la question de l’inquiétude nous habite tous, tout le temps. Il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un me partage ses inquiétudes : pour sa santé, ses enfants, son travail, son couple, la société, la politique, les réseaux sociaux, ou même le monde. Il y a quelques mois, le gouvernement nous annonçait un « guide de survie », un « kit d’urgence » à recevoir à la maison. Comme un signe de notre époque : l’inquiétude grandit, sur tous les plans.

Alors, entendre Jésus dire : « Ne vous inquiétez pas »… cela peut sembler presque déconnecté de la réalité. Et pourtant, cette parole ne nie pas nos peurs ; elle les éclaire autrement.

Il y a nos inquiétudes personnelles, et celles que nous portons pour les autres, quand on voit la pauvreté, les guerres, les rejets en tout genre. Et souvent me revient une autre parole de Jésus chez Matthieu : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Ces deux passages mis ensemble peuvent un peu nous désorienter : faut-il s’abandonner à Dieu sans rien faire et ne pas s’inquiéter, ou faut-il agir et se soucier des autres ? Bref, faut-il faire ou être ?

Super texte pour un mariage, n’est-ce pas ?

Jésus parle ici de ceux qui s’inquiètent pour leur survie, pour les besoins essentiels : la nourriture et le vêtement. On ne parle pas là de caprices, mais des besoins élémentaires et non du superflu. Besoins pour vivre et besoins pour notre corps, dit le texte biblique. Besoins de première nécessité, dit-on aujourd’hui.

Alors, quand il dit « Ne vous inquiétez pas », n’entendons pas ça comme un appel à la paresse ou une réprimande. Non, parce que, quand même, il est normal de nous inquiéter de savoir si nous allons pouvoir nous vêtir, manger, nous loger ! C’est le quotidien de tellement de personnes malheureusement qu’on ne peut pas imaginer que Jésus accuserait ces personnes-là de superflu, surtout que Jésus est le premier à s’inquiéter pour ceux qui sont en difficulté. Il nous invite à regarder au-delà de la simple survie.

Le verbe grec employé pour l’inquiétude c’est merimnaō, qui signifie littéralement “être tiraillé en plusieurs directions”. Ce que Jésus dénonce, c’est cette inquiétude qui nous divise intérieurement, qui disperse nos forces et nous empêche de vivre dans la confiance. Il nous appelle à l’unité du cœur, à une vie centrée, pacifiée, qui cherche d’abord le Royaume.

Il demande : « La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » Autrement dit : quelles sont nos priorités ? Qu’est-ce qui compte le plus dans nos vies ? Que produit notre inquiétude ? Et qu’est-ce que nos inquiétudes disent de nous, de notre foi, de Dieu ? Qu’est-ce qu’elles entrainent ? Est-ce qu’elles nous figent ou est-ce qu’elles nous mettent en route ? Quelques versets avant le passage que nous avons lu, il y a ce verset, qui éclaire quand même un peu notre passage : « Où se trouve notre trésor… là aussi se trouve aussi notre cœur ? ». Est-ce que nos inquiétudes, là où nous nous fixons, nous enferment dans du matériel ou nous met en route dans un être ?

Cette question rejoint assez bien, pour le coup, le texte de 1 Corinthiens 13 : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. » Qu’importe ce que nous possédons, ce que nous accomplissons ou ce que nous savons, si nous n’avons pas l’amour, tout cela ne sert à rien. Paul et Matthieu nous invitent tous deux à une même conversion : passer d’un faire inquiet à un être confiant, que cela soit pour nous ou pour les autres d’ailleurs.

En réalité, ce texte de Matthieu n’est pas si étranger à nos vies. Nous savons ce que c’est que d’aider, d’accompagner, de tendre la main. Mais quand nous aidons quelqu’un, à quoi nous attachons-nous ? À ce que nous faisons… ou à ce que nous vivons dans cette relation ?

Dans toute entraide, il y a l’essentiel et le secondaire. Jésus ne dit pas de négliger le pain ou les vêtements, mais de se rappeler pourquoi nous agissons : recentrons-nous sur l’essentiel de nos vies et de la vie de l’autre. Autrement dit : notre aide n’a de sens que si elle porte la trace de l’amour.

Que ce soit entre amis, en couple, entre paroissiens, avec des inconnus, est-il plus important de donner à manger et de renvoyer quelqu’un repu, ou de lui redonner sa dignité, sa place d’être humain parmi les autres ? Est-il plus important d’assister un temps ou de rendre quelqu’un autonome, reconnu, libre ? Souvent, la seule chose que nous pouvons faire, c’est déjà être là.

Et “être là”, c’est déjà aimer. Paul nous le dit : « L’amour prend patience, il rend service, il ne cherche pas son intérêt. » Être présent à l’autre sans chercher à tout résoudre, c’est manifester cet amour qui espère tout. Parfois, un regard, une main tendue, un silence partagé disent déjà tout, et permet, parfois, pour un temps, de soulager une inquiétude. C’est là que se révèle le Royaume et que s’incarne l’amour.

Prenons un exemple concret : dimanche prochain nous avons le repas du CASP, Centre d’Action Sociale protestant, et je pense à ces bénévoles qui, chaque semaine, partagent un repas chaud avec des personnes sans abri ou isolées. Certains leur parlent, d’autres se taisent, d’autres encore rient ou pleurent. Ce qui nourrit vraiment ces rencontres, ce n’est pas tant la soupe ou le pain, c’est la reconnaissance mutuelle. Dans ce moment, personne n’est supérieur ni inférieur. Il n’y a ni assisté ni aidant. Il y a des êtres humains qui se tiennent ensemble, dans une même humanité. C’est déjà l’amour qui se fait chair.

Jésus dit : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice. » Pas “cherchez seulement”, mais “cherchez d’abord”. L’ordre est important. Dans nos entraides et nos accompagnements, cherchons d'abord l’essentiel, même si nous savons bien que le besoin d'aide matériel est urgent. Il n’est ni à éviter ni à laisser de côté, car comme avec l’autre texte de l’Évangile de Matthieu que je vous ai cité, à un moment Jésus dit : « j’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez accueilli, j’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade et vous m’avez visité ».

Voilà peut-être ce que Jésus veut nous dire ici lorsqu’il nous parle de ne pas nous inquiéter : de nous recentrer sur le sens de l’aide, de l’accompagnement, de la relation et de ne pas tout miser sur le matériel. À quoi bon donner à manger ou à boire s’il n’y a pas, d’abord, la rencontre sincère et humaine ?

Si Dieu prend soin de nous, c’est pour que nous puissions prendre soin des autres. S’il nous donne l’essentiel, c’est pour que nous fassions jaillir la vie. S’il nous aime, c’est pour que nous aimions à notre tour.

C’est une dynamique d’amour qui libère : Dieu nous aime le premier, et cet amour devient en nous force d’action. Comme le dit Paul : « La foi agit par l’amour. » Et Jésus dirait : « Cherchez d’abord le Royaume. » Ce n’est pas une morale, mais un mouvement de vie qui s’offre.

Pour certains cela paraît peu. Et pourtant, nos actions n’ont de sens que parce qu’elles s’enracinent dans la foi, c’est notre foi en un Dieu qui relève et qui offre, qui nous permet de nous tourner vers l’autre dans son humanité et pas que dans ses besoins matériels !

Comme le rappelle 1 Corinthiens 13 : la foi, l’espérance et l’amour demeurent, mais la plus grande, c’est l’amour. C’est parce que nous sommes portés par l’amour que nous redonnons à l’autre sa place, pour y faire jaillir l’espérance. On parle beaucoup d’amour dans cette prédication, mais on ne parle pas là d’un amour doucereux, mignon, à l’eau de rose, on parle de l’amour d’1 Corinthiens 13, un amour cash et difficile. Qui parmi nous peut dire qu’il pratique cet amour-là, décrit ici ? Qui pardonne tout, qui croit tout, qui espère tout ? C’est l’amour que Dieu a pour nous, et nous, nous faisons notre possible pour se diriger vers là. Mais oui, cela ne sert à rien de déplacer des montagnes si nous n’avons pas l’amour. Cela ne sert à rien de donner à manger et à boire à celles et ceux qui en ont besoin si ce n’est pas porté par l’amour.

Sans amour, l’aide devient assistance. Avec l’amour, elle devient alliance. C’est toute la différence entre faire et être.

Et ce que nous offrons n’est pas de notre superflu, mais de notre essentiel : l’amour de Dieu en Jésus-Christ. Son pardon, sa vie, son espérance. Et cela ne peut être entendu que si, en même temps, nous offrons le pain, le vêtement, la fraternité. Ça me fait penser à L’Armée du Salut qui parle des “trois S” : soupe, savon, salut.

C’est tout un programme : nourrir, soigner, et relever. Donner à manger, oui — mais pour restaurer la dignité de l’autre, par amour.

Je pense aussi à un couple après des années de vie commune. Ils “font” peut-être moins qu’avant : moins de projets, moins de voyages. Et pourtant, dans un regard échangé après une dispute, dans une main posée sur l’épaule de l’autre au moment du doute, il se passe quelque chose de l’ordre du Royaume. Ce n’est plus du faire, c’est de l’être-avec. L’amour patient, fidèle, silencieux… celui-là même dont parle Paul.

En fait, je crois que c’est ça : dans un monde où nous sommes dans le faire et le praticable, dans un monde où nous sommes appelés à courir et à planifier sur dix ans, dans un monde manuel et matériel, ici Jésus nous demande d'être dans l’être, dans l’essentiel, dans l’instant, avec la personne qui est en face de nous.

Ne pas être dans le faire, mais dans l’être — voilà peut-être le cœur de la foi.

Être est un faire, certes, mais un faire enraciné dans la confiance.

Et cet amour véritable est écologique au sens profond : il relie, il prend soin, il respecte le rythme du vivant. Ne pas s’inquiéter du lendemain, c’est peut-être aussi apprendre à vivre plus simplement, plus solidairement, plus pleinement.

L’urgence, ce n’est pas demain. C’est ici, maintenant. Avec ceux et celles que Dieu met sur notre route.

L’urgence, c’est de nous tenir ensemble, avec nos moyens, notre essentiel, notre amour. Être signes d’une espérance, d’une présence, d’une humanité qui nous dépasse.

Alors oui, je reprends les mots de Jésus : Ne vous inquiétez pas. Croyez en Dieu, croyez qu’il vous donne bien plus que l’essentiel — pour que vous puissiez le partager.

Croyez que dans chaque rencontre se trouve déjà quelque chose de Dieu à l’œuvre. Cherchez d’abord la dignité humaine, et tout le reste vous sera donné.

AMEN.