Moi = nous ou nous = moi ?
Moi = nous ou nous = moi ?
Prédication du dimanche 22 juin 2025, par la pasteure Sophie Ollier.
Lectures bibliques :
- Luc 9, versets 18 à 24
- Galates 3, versets 26 à 29
Il y a des dimanches, comme celui-là, où les textes tombent pile poil ! Ce matin nous avons vécu le baptême de la petite Hortense, 10 mois, et la confirmation d’Alice, 22 ans. Lorsque nous avons regardé ensemble les textes pour aujourd’hui il y a quelques semaines, on s’est dit que c’était vraiment des textes faits pour ce genre de temps en Eglise, parce qu’ils ont été invités à répondre à cette question que Jésus pose : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », et avec ce texte de Galates nous touchions à l’universalité qui leur parlait tout particulièrement !
Mais au milieu de tout cela, une question peut se poser : leurs témoignages sont-ils ceux de l’Eglise, ou l’Eglise se reconnait-elle dans leurs témoignages ?
Mais nous pourrions nous poser la question autrement : « Qui suis-je, moi, pour être ici, dans cette Église, dans cette communauté ? Qui suis-je, moi, pour croire ? » Ou « Qui sommes-nous, nous, Église du Christ, communauté de croyants aux visages si divers ? ».
Ces questions touchent à ce qui est en nos cœurs et non en nos têtes, ce qui est dans nos fois et non simplement dans des traités théologiques. Ces questions nous appellent à la fois à dire notre foi — avec nos mots, nos hésitations parfois, nos élans aussi — et à entendre la foi des autres, qui ne sera jamais exactement la mienne. Ces questions viennent chercher notre foi incarnée, celle qui se forme à la croisée de notre histoire personnelle et de notre chemin communautaire.
Car cette question de Jésus ne cherche pas une bonne réponse unique à cocher, elle ne vise pas le consensus ni l’uniformité. Elle ouvre au contraire la porte à l’expression personnelle, au témoignage sincère, à la singularité de notre relation à Dieu. Et c’est là, paradoxalement, que l’universalité de l’Église prend forme.
Pierre répond par exemple : "Tu es le Christ de Dieu." Et cette déclaration, aussi forte soit-elle, ne clôt pas le dialogue. Elle l’ouvre. Car suivre le Christ ne consiste pas à trouver la bonne réponse et s’y tenir, mais à oser marcher derrière lui, à porter sa croix chaque jour, à risquer de se décentrer de soi pour accueillir une vie élargie, enracinée, offerte. Une vie qui porte une part du Christ.
Et nous ne sommes pas seuls à répondre à cette question. Nous sommes un peuple.
C’est là que l’épître aux Galates fait irruption avec une puissance libératrice : "Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ." Cette unité n’efface pas nos identités, elle ne gomme pas nos différences, nos histoires, nos sensibilités, nos genres ou nos cultures, mais cette unité les accueille, les honore, les relie. Elle est un tissu tissé de nos singularités. Cette unité est l’Église. Cela veut dire qu’aucune de ces identités ne prend le dessus sur notre identité première : nous sommes enfants de Dieu.
Mon témoignage personnel, avec ses limites et sa lumière, prend tout son sens dans cette communauté de visages et de voix diverses. Si je viens dire qui est le Christ pour moi, ce n’est pas pour imposer un récit mais pour le déposer, en toute humilité, parmi d’autres récits. C’est ce tressage qui rend l’Église plus belle, plus vaste, plus vivante.
Il y a dans notre tradition luthéro-réformée cette exigence de la parole personnelle, de la liberté de conscience, mais aussi ce rappel constant que la foi n’est jamais isolée. Nous avons besoin des autres pour entendre Dieu nous parler. Leurs accents, leurs doutes, leurs convictions nous déplacent, nous réveillent, nous nourrissent.
C’est aussi pour cela qu’en Eglise nous ne vivons pas seulement le temps du culte, mais aussi des partages bibliques, de la catéchèse, des temps de conférences, de partages, de convivialité, pour que nos individualités se rencontrent, se mêlent, se déplacent ensemble.
Notre foi, si intime soit-elle, ne s’accomplit que dans la relation. Je suis fortifiée par la foi de l’autre, et certainement que lui aussi reçoit quelque chose par la mienne. C’est ça, le mystère et la beauté de l’Église : ce lieu où chacun, avec son histoire, ses mots, ses blessures aussi, peut apporter une part de lumière.
Ma foi personnelle est une note dans une symphonie. Elle a besoin des autres pour chanter pleinement. Oui, nous avons besoin des autres pour croire. Pas parce que nous serions incapables seuls. Mais parce que la foi est relation. Relation à Dieu, relation aux autres, relation au monde. Et parce qu’elle est don, elle circule, elle se partage, elle se déploie.
Il y a cette belle idée chez Paul Tillich : " L'amour est ce qui pousse vers la réunion ce qui est séparé. » Voilà ce que l’Église incarne quand elle est fidèle à l’Esprit : non pas une uniformité, mais une communion. Non pas des clones spirituels, mais une chorale de voix singulières.
Ce n’est pas à force de ressembler les uns aux autres que nous devenons Église, c’est en nous recevant chacun et chacune comme un don que l’universalité du corps du Christ devient visible.
Je n’ai pas la même histoire que mes voisins de banc. Je n’ai pas la même façon de prier, ni les mêmes questions. Et pourtant, dans cette diversité, je me sens à ma place. Dans cette diversité Hortense, plus tard avec ses mots aura sa place. Dans cette diversité, Alice, ses mots, sa foi, ses questionnements, ont toute leur place !
L’Église ce n’est pas un lieu d’uniformisation, ce n’est pas un lieu où on nous dit ce qu’il faudrait dire, croire, faire et penser, mais c’est un atelier vivant, où chacun construit, démolit parfois, reconstruit, ajuste. Si les Déclarations de foi de notre Eglise ont évolué au fil du temps c’est parce que l’Eglise s’est laissée rejoindre par celles et ceux qui la composaient.
Et dans ce mouvement, chacun trouve sa place comme un élément vivant dans un corps qui respire, qui espère, qui s’ouvre. Ce que j’apporte à l’Eglise enrichira le nous, et le nous, qu’il soit institutionnalisé ou pas, a cette capacité à faire ressentir chacun et chacune.
Nous sommes tous appelés, ensemble, à répondre à la question du Christ. Et ce "ensemble" ne se construit pas malgré nos différences, mais grâce à elles. Il ne s’agit pas de nous effacer pour faire Église, mais d’oser être pleinement ce que nous sommes, chacun et chacune, à la lumière du Christ. C’est ainsi que nous portons, tous ensemble, son visage dans le monde.
Alors oui, témoigner de sa foi n’est pas chose évidente. Mais à nous d’entendre comment passer d’une foi à consommer à une foi à incarner.
Et c’est aussi ce que Pierre a fait dans ce texte d’Évangile : il pose un mot fort, immense : "Tu es le Christ." Et pourtant, à peine a-t-il dit cela que les choses se tendent. Jésus lui demande de se taire, puis parle de souffrance et de mort. Pierre proteste. Et Jésus le rabroue avec cette parole sévère : « Arrière, Satan ! »
Pourquoi ? Peut-être parce que, comme pour nous aujourd’hui, la foi ne se limite pas à un mot, à une étiquette posée sur le Christ ou sur nous-mêmes. Elle est appel à une cohérence, à un engagement profond.
Quand Pierre dit "Tu es le Christ", il ne mesure pas ce que cela implique. Il projette sur Jésus une image du Messie triomphant. Et Jésus lui répond en exposant une réalité bien différente : le chemin de la croix, le don de soi, l’abaissement. La foi, ce n’est pas confesser un Christ à notre image, mais accepter d’être transformé par lui. Et chacun de nous sera transformé à sa manière.
Il ne s’agit ni de se fondre dans la masse et de devenir des clones, ni d’être Eglise dans un brouhaha inaudible et sans points de rencontres.
Le cœur de notre Eglise est le Christ, le Ressuscité, et tout comme les disciples au fil des Evangiles, chacun de nous dit, vit et exprime le Christ à sa manière.
A savoir quand même que pour vivre tout cela nous ne sommes pas seuls. L’Esprit souffle. Il y a 2 semaines encore nous avons célébré Pentecôte, cette descente de l’Esprit sur les disciples pour que chacun porte une voix de témoignage des merveilles de Dieu. Et cette semaine j’ai eu la joie d’avoir un paroissien qui m’a inspiré justement à ce sujet pour parler de l’Esprit, qu’il soit pour nous personnellement ou d’un point de vue communautaire.
Passionné de voile il m’a expliqué qu’il y avait 3 vents différents :
Le vent réel, le vent physique et naturel.
Le vent vitesse, celui que tu créé en te déplaçant
Le vent apparent, qui lui est la combinaison des deux, de ce vent physique qui vient de l’extérieur et de celui que tu créé.
Et je me suis dit que cela était très vrai pour expliquer notre témoignage dans ce monde par le souffle, l’Esprit. Entre ce souffle de Dieu qui nous fait avancer, nos propres forces et voix mises au service de la Bonne Nouvelle et ce que cela créé dans ce monde lorsque les deux se rencontrent, lorsque nous utilisons nos dons respectifs, nos voix respectives, portés par l’Esprit et que cela crée un élan commun qui nous porte plus loin.
Si nous pouvons témoigner de cette universalité dans la diversité au cœur même de l’Eglise du Christ, nous saurons alors comment en témoigner à l’extérieur de nos murs, non pas dans un dogme à asséner, mais dans une Parole à partager, non pas dans un rejet justifié par la différence, mais dans un accueil porté par l’amour de l’autre, pleinement. Un témoignage qui se refusera à l’exclusion mais qui sera une image du visage du Christ. De ce Christ Messie, Seigneur, frère, Fils, Parole, Esprit, don de soi, résurrection, envoi, pardon, ou tout autre mot, réalité, que chacun et chacune de nous mettons derrière lorsque nous témoignons de lui.
Alors aujourd’hui, que cette parole du Christ vienne nous rejoindre : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?" Et que notre réponse ne soit pas une formule figée, mais une vie donnée, enracinée dans une Église vivante, faite d’individualités appelées à s’unir sans se confondre. Et si nous cherchons parfois comment incarner cette foi dans le monde, souvenons-nous que notre témoignage n’a pas besoin d’être parfait. Il a besoin d’être vrai. Humain. Incarné.
Qu’ensemble, dans nos diversités, nous sachions répondre non pas en chœur parfait, mais en symphonie vivante. Car nous sommes, tous, fils et filles de Dieu.
Amen.