Accueillir l'étranger : le test ultime de Noël !
Accueillir l’étranger : le test ultime de Noël !
Prédication du dimanche 14 décembre 2025, par la pasteure Sophie Ollier.
Lectures bibliques :
- Ephésiens 2, versets 11 à 19
- Hébreux 13, versets 1 et 2
Ce soir, j’ai fait le choix de ne pas prendre les textes du jour, je suis désolée pour celles et ceux qui les lisent assidument. Non pas parce qu’ils ne me plaisaient pas, mais les textes choisis coïncident avec la pièce de théâtre que les enfants nous ont présentée ce matin lors du culte « Noël avec les enfants », et par souci de communion nous prenons les mêmes le soir.
À travers la pièce qu’ils ont jouée, une même vérité a été racontée que dans ces textes d’Ephésiens et d’Hébreux autrement : celle d’un voyage, d’un éloignement, d’une quête de paix, de refus rencontrés en chemin et d’un accueil inattendu. Pour celles et ceux qui n’étaient pas là le matin, je ne vais pas raconter cette histoire de petit Palmino qui part de son pays détruit par les humains pour trouver un lieu où se vit la paix, et où il découvre le sens de Noël, mais ce soir je vais en déployer le cœur théologique. Car ce que cette pièce disait avec des images, des gestes et des voix d’enfants, ces deux textes bibliques le disent avec la densité de la foi chrétienne : Noël, ce n’est pas d’abord un décor, c’est un mouvement ; ce n’est pas une nostalgie, c’est une transformation ; ce n’est pas un événement figé dans le passé, c’est une venue qui engage le présent.
La lettre aux Éphésiens s’adresse à une communauté chrétienne née dans un monde profondément structuré par des frontières, des distinctions, des exclusions et des hiérarchies qui semblaient aller de soi. Il y avait ceux qui appartenaient au peuple de l’alliance et ceux qui en étaient exclus, ceux qui pouvaient se réclamer d’une histoire, d’une promesse, d’un statut, et ceux qui restaient des étrangers, des gens de passage, tolérés au mieux, soupçonnés ou méprisés au pire. Ces frontières n’étaient pas seulement sociales ou religieuses, elles étaient aussi politiques, culturelles et même physiques.
À Jérusalem, ces divisions étaient inscrites dans l’architecture même du Temple. Un mur séparait la cour des païens du reste de l’espace sacré, et une inscription avertissait clairement que tout non-Juif qui franchirait cette limite mettrait sa vie en danger. Autrement dit, la séparation n’était pas que symbolique. Lorsque Paul parle du Christ qui abat le mur de séparation, il ne parle donc pas d’une belle image spirituelle destinée à apaiser les consciences, mais d’un bouleversement radical, presque scandaleux, qui remet en cause l’ordre établi, les sécurités religieuses, les identités figées.
C’est dans ce contexte que Paul ose écrire à des croyants venus du paganisme : « Vous qui autrefois étiez loin, vous avez été rapprochés. » Il ne commence pas par un reproche moral. Il ne dit pas : vous étiez coupables, ignorants ou indignes. Il dit : vous étiez loin. Et ce mot est fondamental. Être loin, dans la Bible, ce n’est pas seulement être éloigné géographiquement, c’est vivre dans une forme de séparation intérieure, relationnelle, spirituelle. C’est vivre dans un monde où la relation à Dieu est brouillée, où la relation aux autres est fragilisée, où la peur et la méfiance prennent souvent le pas sur la confiance.
Cette expérience de l’éloignement n’est pas abstraite. Elle se manifeste dans nos vies personnelles, dans nos sociétés, dans notre manière d’habiter le monde. Ce matin, elle a été racontée de manière imagée à travers une histoire de jardin abîmé, de création blessée, de vie rendue inhabitable par la violence humaine. La Bible n’oppose jamais la rupture avec Dieu et la rupture avec la création : les deux vont toujours ensemble. Être loin de Dieu, c’est aussi être loin de la manière juste, paisible et responsable de vivre avec les autres et avec le monde.
Mais Paul introduit alors une rupture décisive dans le récit : « Mais maintenant… » Ces deux mots portent tout l’Évangile. Mais maintenant, quelque chose de nouveau est arrivé. Mais maintenant, la distance n’est plus une fatalité. Mais maintenant, ce qui semblait figé est mis en mouvement. Et ce changement ne vient pas d’une amélioration morale progressive de l’humanité, mais d’un acte de Dieu. Dieu lui-même a pris l’initiative de traverser la distance.
C’est précisément ce que nous attendons pendant l’Avent. Nous attendons un Dieu qui vient. Le cœur de la foi chrétienne n’est pas l’élévation de l’humain vers le divin, mais l’abaissement de Dieu vers l’humain. Dieu ne se contente pas d’envoyer un message, il se met en route. Il ne reste pas dans la hauteur, il se fait voisin. Il accepte la vulnérabilité, la dépendance, l’exposition au refus. Il se rend proche sans garantie d’être accueilli. Noël, que nous célébrerons dans une dizaine de jours, est l’annonce que Dieu a choisi ce chemin-là.
Paul poursuit en disant : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage, vous êtes membres de la maison de Dieu. » Cette image de la maison mérite que l’on s’y arrête. Dans le monde antique, la maison n’est pas simplement un lieu privé. Elle est le centre de l’identité sociale, le lieu où l’on reçoit un nom, une protection, une reconnaissance. Dans le monde de l’époque, et c’est très certainement aussi une image véhiculée dans la société, être sans maison, c’est être sans statut, sans sécurité, sans avenir. Dire que l’Église est la maison de Dieu, ce n’est donc pas dire qu’elle est un espace fermé réservé à quelques privilégiés, mais qu’elle est appelée à être le lieu où ceux qui étaient sans place en trouvent une.
Cette image interroge profondément nos représentations ecclésiales. Une maison n’est pas une forteresse. Elle ne se définit pas par la hauteur de ses murs, mais par la possibilité d’ouvrir sa porte. Une maison qui ne s’ouvre jamais finit par étouffer ceux qui y vivent. De la même manière, une Église qui se protège au lieu d’accueillir finit par trahir sa vocation.
C’est ici que la parole de la lettre aux Hébreux vient donner à cette réflexion une densité supplémentaire : « N’oubliez pas l’hospitalité, car en l’exerçant, certains ont accueilli des anges sans le savoir. » Dans la Bible, l’hospitalité n’est jamais un simple supplément d’âme, une vertu facultative réservée aux personnes particulièrement généreuses. Elle est un lieu de révélation, un espace où Dieu se donne à reconnaître.
Le mot que la lettre aux Hébreux traduit par hospitalité est, en grec, philoxenia. Philos qui est l’ami, l’amour, l’affection, et xenos qui est l’étranger, l’inconnu, celui qui vient de loin. Xenos qui donnera xénophobie. Il signifie littéralement : aimer l’étranger. Non pas le tolérer, non pas le supporter, mais l’aimer. Et c’est exactement ce que Dieu a fait pour nous : alors que nous étions des étrangers, des gens de passage, Dieu nous a accueillis dans sa maison.
Et le texte ajoute que certains, en accueillant ainsi l’étranger, ont accueilli des anges sans le savoir. Ange signifie simplement messager. Autrement dit, Dieu aime venir à notre rencontre sous des formes ordinaires, à travers des visages inattendus, à travers ceux que nous n’aurions pas choisis. Accueillir l’autre, ce n’est pas seulement un geste moral ; c’est parfois un lieu de rencontre avec Dieu lui-même.
Dans le livre du Lévitique (19, 33) on peut lire : Si un immigré vient séjourner avec vous dans votre pays, vous ne l'exploiterez pas. Vous traiterez l'immigré qui séjourne avec vous comme un autochtone d'entre vous ; tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été immigrés en Egypte. Je suis le Seigneur (YHWH), votre Dieu.
Abraham accueille trois étrangers sous le chêne de Mamré, sans savoir qui ils sont, et découvre qu’il a accueilli Dieu lui-même.
Lot, à Sodome, ouvre sa maison à des inconnus menacés et, à travers ce geste risqué, la vie est sauvée.
La veuve de Sarepta partage le peu qu’il lui reste avec le prophète Élie, et découvre que la jarre ne se vide pas.
Rahab, à Jéricho, accueille des espions étrangers et devient, contre toute attente, partie prenante de l’histoire du salut.
Plus tard, dans l’Évangile, Jésus dira que ce qui est fait à l’étranger, à l’affamé, au nu, c’est à lui qu’on le fait.
Et après la résurrection, les disciples d’Emmaüs ne reconnaissent le Christ qu’au moment où ils l’accueillent à leur table.
À chaque fois, Dieu se révèle dans l’hospitalité, jamais dans la fermeture. Ce thème-là traverse absolument toute la Bible.
Hébreux reprend toute cette tradition biblique et affirme que Dieu aime passer incognito, se cacher dans le visage de l’autre, de l’étranger, de celui qui arrive sans prévenir et qui dérange nos habitudes. Et l’étranger peut être à l’autre bout du monde, mais aussi, très simplement, mon voisin, celui ou celle que je croise dans la rue et que je ne connais pas qui, finalement, m’est étranger. Mon voisin de banc, là tout de suite, peut m’être étranger si je ne le connais pas. Ne pas oublier d’aimer cette personne c’est ce qui nous est demandé avec Paul. C’est une parole profondément dérangeante, parce qu’elle signifie que Dieu ne se laisse pas maîtriser, qu’il ne se laisse pas enfermer dans nos cadres religieux, mais qu’il surgit là où l’on accepte de faire de la place.
Noël est profondément scandaleux pour cette raison. Dieu ne choisit pas le centre, il choisit la marge. Il ne choisit pas la puissance, il choisit la vulnérabilité. Il ne choisit pas l’évidence, il choisit la discrétion. Jésus naît loin des palais, loin des temples, loin des lieux de pouvoir. Ce matin, cela a été raconté à travers l’image d’un être petit, fragile, rejeté par ceux qui brillent mais accueilli par ceux qui ouvrent leur porte, petit palmier rejeté par des Grands palmiers, accueilli par des jardinières. Ce soir, nous pouvons entendre la même vérité théologique : Dieu se rend présent là où l’on accepte de faire de la place.
Comme le Christ à Noël, Dieu arrive sans garantie d’être reçu, dépendant du regard, de la confiance et de l’ouverture des autres. L’Avent nous rappelle que cette venue de Dieu n’est jamais confortable, qu’elle dérange nos sécurités, mais qu’elle est porteuse de vie. Oh combien !!
Dès lors, une question s’impose à l’Église, et à chacun et chacune de nous, en ce temps d’attente. Si nous avons été rapprochés, si nous avons été accueillis, si nous avons reçu une place dans la maison de Dieu sans l’avoir méritée, qu’allons-nous faire de cette grâce pendant ces jours qui nous conduisent vers Noël ? Allons-nous en faire un privilège à défendre ou un don à partager ? Allons-nous transformer la maison en musée ou en lieu de vie ?
L’Église célèbre vraiment Noël lorsqu’elle accepte de se laisser déranger, déplacer, transformer par la rencontre avec l’autre, avec l’étranger, avec celui ou celle qui ne correspond pas à ses attentes, et non quand elle construit des murs que le Christ a déjà abattus.
Et oui, les enfants nous l’ont rappelé ce matin, et Paul aussi à travers ces textes, accueillir l’étranger, le proche ou le lointain, celui ou celle qui me semble étrange, c’est le test ultime de Noël, c’est très certainement déjà là que nous entendrons pleinement ce Dieu qui se fait proche de nous, qui se révèle dans le petit, qui s’incarne dans le visage de celui ou celle que l’on n’attend pas !
Peut-être que l’Avent nous laisse finalement avec cette question simple et redoutable, une question qui ne demande pas une réponse théorique mais un engagement concret : qui est, aujourd’hui, l’étranger que Dieu me confie pendant ce temps d’attente ? Qui est celui ou celle à travers qui, sans le savoir, je pourrais accueillir un ange ? Car là où un cœur s’ouvre, là où une porte s’entrouvre, là où quelqu’un qui était loin devient tout près, là où une relation nouvelle devient possible, Noël est déjà en train de naître.
Et peut-être que l’Avent est précisément ce temps-là : non pas seulement attendre une fête, mais apprendre à faire de la place.
N’oubliez pas l’hospitalité, n’oubliez pas d’aimer l’étranger.
Amen.
