Le bonheur est dans le pré — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Le bonheur est dans le pré

Prédication du dimanche 12 novembre 2017, par le pasteur Christian Baccuet

Lectures

  • Psaume 23
  • Marc 6, 30-44

 

Ecouter la prédication

 

Le bonheur est dans le pré… cette expression m’est venue en lisant le récit de la multiplication des pains dans l’évangile de Marc ; ce récit se trouve six fois dans les évangiles, mais il y a une précision qui se trouve seulement dans celui de Marc 6 : les gens sont installés sur de « l’herbe verte » (v. 39). La foule est nombreuse, elle a faim, il est tard, le lieu est désert, il n’y a pas suffisamment à manger… tout cela est important, et puis ce détail qui paraît insignifiant : on les fait asseoir sur l’herbe verte ! Pourquoi cette précision ?

 

« Le bonheur est dans le pré » est la première phrase d’un poème de Paul Fort, que vous connaissez sans doute :

« Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite.

Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. 

Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite.

Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.

Dans l'ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite.

Dans l'ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.

Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite.     

Sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.

Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite.     

Sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.

De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite.     

De pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.

Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite.

Saute par-dessus la haie, cours-y vite. Il a filé ! »

 

Magnifique poème qui dit la quête du bonheur et aussi sa difficulté, sa précarité, quand il passe puis file avant qu’on l’attrape. Nous courons tous après le bonheur, sans forcément trop savoir ce que c’est. Depuis l’antiquité, les philosophes réfléchissent à cette notion difficile à définir. Est-ce un état débarrassé de toute sensation, un nirvana détaché du monde et de ses souffrances, une sorte d’éternité enfin atteinte ? Alors le bonheur c’est fuir la vie… Ou, au contraire, est-ce un état de plénitude sensorielle, aussi rare qu’éphémère, dont il faut profiter au maximum quand il passe ? Alors le bonheur s’enfuit de la vie… Utopie repoussée dans l’éternité ou jouissance de l’instant, les deux nous laissent insatisfaits.

Ce qui est sûr, c’est que nous cherchons à être heureux, que le bonheur est le contraire du malheur et que celui-là, le malheur, nous éprouvons bien, chacun à notre manière, ce qu’il signifie. Ce qui est sûr également, c’est, comme l’écrit Paul Fort, que le bonheur risque toujours de filer devant nous. Mais je ne veux pas ici entrer dans une réflexion théorique sur le bonheur. Je veux juste laisser le texte de l’évangile résonner, notamment en rapport, aujourd’hui, avec le thème de l’engagement qui est sera celui de notre échange tout à l’heure, et en particulier selon le point de vue des disciples de Jésus. Ce récit propose trois dimensions à nos engagements.

 

1 – Parole

La première dimension est la centralité de la Parole. Il y a quelque chose du bonheur éprouvé quand l’essentiel est présent dans une vie. Cet essentiel est bien sûr d’avoir du pain pour manger, mais il est aussi de recevoir une parole. Notre récit articule les deux dimensions.

Les apôtres viennent de revenir de mission, et Jean-Baptiste vient d’être exécuté par Hérode. Fatigués, ils sont réunis autour de Jésus pour se reposer, partager la parole et manger. Ils cherchent à se mettre un temps à l’écart, dans une sorte de retraite, pour bénéficier de la présence de Jésus et de ses paroles. Mais Jésus voit la grande foule qui veut le rencontrer, qui l’a suivi, qui l’a devancé, qui a faim d’entendre ses paroles. Il est ému par ces innombrables personnes qui cherchent un sens à leur vie, alors il se met à « leur enseigner quantité de choses ». Il les nourrit de sa parole, il les nourrit existentiellement, spirituellement, fondamentalement, comme il le fait d’habitude avec ses disciples.

Au départ, il y a la parole. Parole reçue, parole partagée. Et puis, parce que la foule a faim, elle va être nourrie matériellement, avec du pain et des poissons. Avoir de quoi manger est un besoin fondamental. Le bonheur, c’est de recevoir une parole et de recevoir du pain. Les recevoir, c’est être au bénéfice d’une grâce.

Et si l’herbe verte nous disait tout simplement que cet événement se déroule alors que le printemps commence, que les réserves de l’hiver sont terminées mais que la récolte nouvelle n’a pas encore eu lieu, et que la foule se trouve en dépendance totale de Jésus ? La parole qui nourrit les disciples, la grâce qu’ils ont reçue, qu’ils vivent au quotidien avec Jésus, voilà qu’ils vont la partager.

Alors que nous allons, tout à l’heure, échanger sur l’engagement, cela ne nous dit-il pas qu’au départ de tout engagement, il y a une parole reçue, du pain reçu, quelque chose qui nous construit et que nous pouvons partager sans crainte de le perdre ? Que si nous pouvons donner, c’est d’abord parce que nous avons reçu. Au départ de tout engagement, il y a la parole et la présence de celui qui s’est engagé pour nous, le Christ !

 

2 – Relation

Qui dit parole partagée dit nécessairement relation. C’est une deuxième dimension de l’engagement.

« Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer ». Le poème de Paul Fort est bucolique, il paraît enfantin, naïf. Pourtant, il n’en est rien. Il a été écrit en 1917, et il évoque les soldats qui, en pleine guerre, tapis au fond des tranchées et du désespoir, devaient sauter par-dessus les fortifications et courir sous les balles ennemies, le plus vite possible. Et qui, pour beaucoup en cette année 1917, n’aspiraient qu’à sauter hors de la tranchée pour fuir l’horreur inutile et retrouver le pré paisible de leur vie d’avant la guerre, avant qu’il ne soit trop tard. Il y a quelque chose de déchirant dans ce poème qui dit l’horreur de la guerre et de la mort, le refus de continuer. Il y a dans ces paroles de la contestation, de l’insoumission. Il y a dans l’engagement une dimension de refus, de résistance à tout ce qui empêche la relation, la vie.

Dans notre récit, les disciples en ont, des raisons de ne pas s’engager. J’en vois quatre, qui sont aussi les nôtres. Première excuse : ils sont rassemblés autour de Jésus et la foule les dérange, ils cherchent un lieu à l’écart et toujours la foule les devance, les entoure, les sollicite. Nous connaissons bien ce sentiment d’être dérangés, d’aspirer au calme, au repli, au repos. Mais les appels sont là, les besoins, les urgences d’une foule en manque. Alors deuxième excuse : s’ils ont faim, ils n’ont qu’à aller s’acheter eux-mêmes quelque chose à manger ; tentation du repli chacun sur soi, que chacun se débrouille avec ses problèmes… Troisième raison : cela coûterait trop cher, de nourrir cette foule ; deux cents deniers, cela correspond à environ sept mois de salaire… Et puis dernière tentative : de toutes façons on n’a pas assez, seulement cinq pains et deux poissons, on est dépassés, cela n’est pas raisonnable, c’est au-dessus de nos forces. Autant d’excuses mortifères, car elles empêchent la relation, et par là-même le partage de la parole et du pain.

 

Mais Jésus n’accepte pas ces raisons, même si elles sont légitimes aux yeux des disciples. Car il est ému devant cette foule, ces personnes qui sont, nous dit le texte, « comme des moutons qui n’ont pas de berger », c’est-à-dire des hommes et des femmes qui se sentent abandonnés. Alors il pousse ses disciples à s’engager, à ne pas rester tranquillement autour de lui à l’écart, à ne pas se désolidariser de ceux qui appellent, à ne pas se décourager devant l’ampleur de la tâche et la faiblesse des moyens. Il les pousse à s’engager : « donnez-leur vous-mêmes à manger ! ». Il ne le leur demande pas, il le leur ordonne, il les engage : la foi est fondamentalement liée à l’envoi vers les autres. Elle est fondamentalement relationnelle. Jésus a confiance dans ses disciples, son appel est une manière de les engager à la joie de la relation.

Parce qu’elle est relation, la foi est résistance. S’engager, c’est refuser de se soumettre à ces injonctions égoïstes qui nous font nous replier sur nous-mêmes, c’est déserter le repli sur soi, s’insoumettre devant la fatalité, s’ouvrir aux autres, partager ce que l’on a reçu pour que d’autres puissent en vivre aussi. Dans l’engagement, il y a quelque chose de fondamentalement relationnel. Quel que soit l’engagement que l’on a, c’est toujours pour d’autres, avec d’autres, souvent à contre-courant, toujours dans un échange.

Ici, la mention de l’herbe verte fait penser au Psaume 23, ce psaume de relation que nous avons prié tout à l’heure, cette prière de confiance où le psalmiste dit sa reconnaissance au Seigneur qui, comme un berger, marche avec lui, l’accompagne, le guide, le protège, le fait coucher « dans des prés d’herbe verte » ; ainsi, dit-il, « le bonheur et la fidélité m’accompagneront tous les jours de ma vie ».

S’engager, c’est recevoir la Parole de Dieu qui nourrit l’existence, et c’est la partager dans une relation avec d’autres : donnez-leur à manger !

 

 

3 - Espérance

Qui dit parole et relation dit espérance. Troisième dimension de l’engagement.

« Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. » Il y a du mouvement dans le bonheur que donne l’Evangile. Ni état statique dans une éternité immuable, ni instant fugace qui passe et s’oublie, le bonheur est une mise en route.

Nourris par la Parole de Jésus, engagés par le Seigneur dans une relation à ceux qui les entourent, les disciples deviennent acteurs d’un événement inouï : cette foule en manque de parole et de pain va être rassasiée ! Au-delà de leur modeste engagement – dans ce récit, ils ne font qu’installer les gens par groupes, en rangées, puis leur distribuer le pain –, les disciples vont permettre que chacun puisse recevoir ce dont il a besoin. Cinq pains, deux poissons, cinq mille personnes, et douze paniers de restes quand tout le monde est rassasié. Pour eux, le bonheur est au-delà de leurs craintes, il est de contribuer à nourrir des hommes et des femmes qui en ont besoin ; ils vivent le bonheur d’être associés à quelque chose de plus grand qu’eux !

Ce récit est une belle image de ce que le partage même le plus insensé peut donner, de ce que le peu de moyens peut produire, de ce que le plus petit engagement peut donner comme fruits ! Ce texte est un encouragement énorme à l’engagement de chacun, non pas comme un dévouement ou un sacrifice, mais comme la participation modeste à quelque chose de miraculeux : la parole qui se partage, la relation qui se multiplie, l’espérance qui s’ouvre. Car il est bien question d’une espérance dans ce récit. L’espérance qu’il est possible que, dans notre monde, les foules en quête de pain et de parole reçoivent ce qui est nécessaire pour être nourries physiquement et spirituellement. L’espérance que nous pouvons partager la parole reçue dans une relation de fraternité.

Non seulement c’est possible, mais c’est le signe même de l’Evangile. Cette espérance prend sa source en Christ, dans ses gestes au moment où il prend les pains et les poissons : il lève les yeux vers le ciel, il prononce la bénédiction, il rompt les pains et les donne à ses disciples pour qu’ils les distribuent. Gestes quotidiens du début d’un repas, gestes qui résonnent pour nous en écho dans le dernier repas de Jésus avant sa mort, le premier repas de communion à sa mort et à sa vie, dans l’espérance du Royaume qui vient. Faites ceci en mémoire de moi, dira-t-il alors : poursuivez ce partage, cœur de votre foi, source pour le monde, témoignage d’espérance pour les hommes et les femmes de cette terre.

Le bonheur est dans le pré. Oui, il y a du bonheur à s’engager pour d’autres, avec d’autres, quel que soit le type d’engagement : pour faire vivre la communauté, pour aider quelqu’un, pour une action de solidarité, pour témoigner de sa foi. Il y a du bonheur à cela, quelle que soit la petitesse de nos moyens ou de nos compétences, de nos quelques pains et poissons, car c’est le Seigneur qui nous le demande, et qu’il a besoin de nous pour distribuer ce que nous avons reçu.

Et si la mention de l’herbe verte nous rappelait fondamentalement que, cet épisode ayant lieu au début du printemps, c’est le temps de Pâques qui s’approche ? Dans ce lieu désert et pour cette foule affamée, s’il nous disait que, quand un geste de partage se met en place, alors c’est comme de l’herbe verte : fraiche, confortable, pleine de promesse…

 

 

S’engager, c’est vivre la Parole reçue, la relation qu’elle suscite, l’espérance qu’elle construit. Parole, relation, espérance : trois mots fondamentaux. Trois lettres : P comme parole, R comme relation, E comme espérance. P-R-E, « pré »… Le bonheur de l’Evangile est dans le pré : cours-y vite !

Amen.

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